TURQUIE / KURDISTAN – L’AKP a présenté un rapport sur la question kurde et évoque la démocratisation. Cependant, les réformes essentielles sont conditionnées au désarmement du PKK tandis que les aspirations à l’autonomie du Rojava sont perçues comme une menace généralisée.
Le parti au pouvoir en Turquie, l’AKP, a remis au Parlement son rapport sur la question kurde et le processus de paix et de démocratisation. Ce document de 63 pages, présenté notamment par le vice-président du parti, Mustafa Şen, et le vice-président du groupe parlementaire, Abdülhamit Gül, réaffirme d’anciennes positions sous une nouvelle rhétorique, mais l’accent reste mis sur le contrôle, le désarmement et les conditions unilatérales. Si l’AKP reconnaît explicitement la question kurde comme un problème structurel et politique, la qualifie d’« enjeu de démocratisation » et met en garde contre une approche purement sécuritaire, les points clés du rapport montrent clairement qu’aucun véritable changement de perspective n’a eu lieu.
Le désarmement comme condition préalable ; aucun dialogue sur un pied d’égalité n’est prévu.
Toutes les réformes politiques, juridiques et sociales sont conditionnées par le désarmement complet et vérifiable du PKK. Le rapport est on ne peut plus clair : sans cette mesure unilatérale, « aucun autre processus ne sera engagé ». Cette position compromet non seulement toute solution négociée réaliste, mais donne également l’impression que la démocratie et l’État de droit ne sont accordés que sous certaines conditions et ne constituent pas un droit inaliénable pour tous les citoyens.
Les mouvements autonomistes sont catégoriquement décrits comme une menace.
La position de l’AKP est particulièrement manifeste dans sa gestion de l’Administration autonome démocratique du Nord et de l’Est de la Syrie (DAANES). Son existence est qualifiée de « menace pour la sécurité » dans le rapport. L’expression « couloir de la terreur » est de nouveau employée, et toutes les structures politiques de la région sont catégoriquement présentées comme des organisations affiliées au PKK – une assimilation qui non seulement empêche toute analyse nuancée, mais sert également de fondement aux opérations militaires et aux menaces en matière de politique étrangère. De plus, l’AKP exige le démantèlement complet de ces structures et la mise en œuvre du prétendu Accord du 10 mars entre la DAANES et le gouvernement syrien, sans tenir compte de la légitimité ni de la volonté de la population locale.
Dommages économiques reconnus, mais causes ignorées.
Pour la première fois, l’AKP a identifié les coûts économiques colossaux de ce conflit qui dure depuis des décennies : environ deux mille milliards de dollars américains. Parallèlement, il reconnaît que le produit intérieur brut de la Turquie aurait pu tripler sans ces conflits. Ce qui manque cependant, c’est une réflexion sur les causes du conflit, sur la répression politique, l’anéantissement culturel et le mépris systématique des revendications démocratiques, non seulement du mouvement de libération kurde, mais aussi des représentants civils élus de la société kurde.
Cadre juridique : aucune garantie de participation politique
L’AKP propose une nouvelle loi qui, après un hypothétique désarmement du mouvement kurde, pourrait viser la « réintégration » des acteurs non violents. Cependant, les critères de définition de « non-violence » ou de « réintégration » restent flous, de même que les conditions de cette réintégration. Le rapport souligne que le droit pénal et l’autorité de l’État ne doivent être restreints à aucun stade du processus. Par ailleurs, l’AKP met en garde contre des amendements législatifs susceptibles de cibler sélectivement une organisation, non par souci de politique juridique, mais par crainte de « contradictions » au sein du système pénal. En guise d’alternative, il propose une loi spéciale dont le caractère vague soulève de nombreuses questions.
ouverture démocratique sous contrôle de l’État
Si le rapport affirme que les partis politiques qui se désolidarisent de la violence et agissent dans le cadre de la loi doivent être reconnus comme des acteurs légitimes, il souligne également que l’État s’arroge le droit exclusif de définir quelles voix sont considérées comme légitimes. Les revendications d’autonomie, d’autodétermination culturelle ou de structures fédérales demeurent en marge du discours dominant ou, comme dans le cas du nord-est de la Syrie, sont qualifiées de « terrorisme ». (ANF)