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« Pas de paix en Syrie sans la reconnaissance des droits des minorités »

PARIS – Dans une tribune publiée sur le site de l’Huma, les coprésident.e.s de l’association France-Kurdistan, Pascal Torre et Roseline Kisa demandent à la France de soutenir le modèle pluraliste et démocratique du Rojava initié par les Kurdes syriens menacé par le régime islamiste d’al-Sharaa.

Voici leur tribune : 
 
 

Le 11 juillet 2025, dans le sud de la Syrie, à la suite d’une embuscade bédouine, un marchand de légumes druze est arrêté, roué de coups et sa cargaison dérobée. Le lendemain, un engrenage répressif entre les communautés s’installe avec des enlèvements qui débouchent sur des affrontements armés. Les forces gouvernementales entrent en action aux côtés des tribus bédouines profitant de cette opportunité pour imposer leur présence dans une zone qui échappe à leur contrôle. Les exactions se multiplient fournissant à Israël un prétexte pour procéder à des bombardements meurtriers au motif fallacieux de défendre la minorité druze. À l’issue d’une semaine de combats, un accord de cessez-le-feu est conclu sous l’égide des États-Unis et des puissances régionales.

Le bilan actuel fait état de 1400 morts dont une majorité de civils druzes exécutés sommairement. 128 000 personnes ont dû fuir leurs habitations pillées en l’espace d’une semaine sous les bombardements et les humiliations.

Les causes de ce déchaînement de violence sont multiples s’inscrivant dans le temps long sans éluder la responsabilité du pouvoir actuel.

La Syrie s’organise autour d’une mosaïque de peuples et de confessions qui structure la vie sociale et politique. Cependant le pouvoir n’a jamais reflété cette diversité. Lors de la domination ottomane mais aussi sous le mandat français, ces puissances occupantes se sont appuyées sur le fait communautaire afin de diviser la société et d’imposer leur autorité. Le régime des Assad a amplifié ce phénomène afin de permettre à un clan minoritaire et kleptocrate de confisquer le pouvoir par la sauvagerie. Cela a façonné une société fragmentée entre Sunnites, Kurdes, Alaouites, Chrétiens, Chiites, Bédouins… À la survie des uns répond la revanche des autres.

Les espoirs suscités par la chute de Bachar el Assad auront été de courte durée. Depuis l’arrivée au pouvoir des islamistes, le président intérimaire autoproclamé Ahmad el Chareh n’a eu de cesse de concentrer tous les pouvoirs au profit des milices d’Hay’at Tahrir al-Cham (HTC). S’instituant porte-parole des Sunnites, longtemps persécutés, il exclut les minorités en dépit d’un discours lissé et inclusif. Majoritaires, les Sunnites ne constituent en rien un bloc homogène. Un courant islamiste porte un discours victimaire, réactionnaire, suprémaciste et intolérant. D’autres ne se reconnaissent pas forcément dans ces options qui suscitent une colère croissante d’autant que toutes les politiques d’exclusion ont respectivement conduit au désastre. Pour A. el Chareh, les territoires kurdes, alaouites et druzes sont autant de zones qui échappent à son contrôle et qu’il faut reprendre par la force et le sang.

Depuis la terreur a fait sa réapparition faisant ressembler cruellement la nouvelle ère à l’ancienne. En mars, 1700 Alaouites sont massacrés par les forces gouvernementales. En mai, des affrontements meurtriers visent les Druzes à Jaramana tandis que le mois suivant une église chrétienne est détruite, à la suite d’un attentat. La récurrence de ces événements dramatiques ne relève pas du hasard conjoncturel mais apparaît comme systémique. Le président A. el-Chareh, qui n’a pas souhaité rassembler tous les Syriens, porte l’entière responsabilité de cette violence exterminatrice. On peut parfois lire qu’il ne contient pas ses milices, ce qui est inquiétant… mais s’il les contrôle cela est d’une gravité extrême. La commission nationale chargée de remettre un rapport sur le massacre des Alaouites vient de rendre ses conclusions avec plusieurs semaines de retard favorisant l’impunité des criminels et la récidive.

Le pouvoir d’A. el Chareh sort affaibli de cette séquence alors qu’une triple stratégie de reconnaissance internationale, de mainmise sur les institutions et d’instrumentalisation de la

rancœur pour faire plier les minorités par des opérations militaires semblaient lui sourire il y a encore quelques jours. Soueida marque pour HTC une première défaite dans la mesure où les factions druzes ont repris le contrôle de la ville tandis que les tribus bédouines et les forces gouvernementales ont été contraintes de se retirer. Après les frappes israéliennes, alors que Damas négociait avec Tel Aviv une éventuelle normalisation des relations, cet aveu de faiblesse du pouvoir central pourrait être rédhibitoire pour la base sunnite et les franges les plus radicales d’HTC qui accusent déjà A. el Chareh de trahison. Cette perte de crédibilité accroît les pressions étrangères notamment celles des États-Unis qui agissent sous la pression de l’Arabie saoudite et de la Turquie qui, elles, misent sur un pouvoir fort en Syrie pour stabiliser la situation et défendre leurs intérêts. Elle permet également à Israël, qui commet un génocide à Gaza, d’intervenir, dans une perspective opposée, afin de creuser les divisions confessionnelles pour rendre irréversible un effondrement syrien. Un ministre israélien a même appelé à éliminer A. el Chareh. En refusant une transition démocratique inclusive et en jouant du confessionnalisme, le président intérimaire a pris le risque de perdre le contrôle du terrain.

Une telle politique ravive légitimement la crainte des minorités et accentue le fossé entre les communautés.

Au sein de l’espace druze, le début de la guerre civile en 2011 et l’arrivée des islamistes au pouvoir ont suscité des réactions diverses et un processus de repli. Contrairement à une idée reçue, les Druzes, dans leur ensemble, n’ont pas été favorables au régime de Bachar al Assad. Comme les Kurdes, ils ont opté pour une troisième voie pour protéger leur communauté contre les forces de Damas et une opposition confessionnalisée. Leur spectre militaire se divise en trois principaux ensembles. Le « Conseil militaire de Soueida » unit plusieurs factions autour du cheikh Hikmat al-Hijri et se place dans une position de rupture avec Damas. Il s’oppose à l’installation des forces gouvernementales, au dépôt des armes et en appelle ouvertement à la protection d’Israël. À la faveur de l’intervention de Tel-Aviv, il a pris progressivement le contrôle de Soueida marginalisant les modérés. « Les Hommes de la dignité » regroupent des forces autour du cheikh Walid al Balous. Ils se sont montrés moins hostiles au nouveau pouvoir et avaient décidé d’intégrer les forces de sécurité syriennes. Avec les événements, ils se sont radicalisés et rejettent la présence de l’armée de Damas. Enfin, « Les Forces de la dignité » constituent, autour du cheikh Laith al Balous, des interlocuteurs du pouvoir syrien ayant collaboré sur le terrain opérationnel avec lui. Ils sont désormais presque marginalisés.

Les relations conflictuelles entre les Druzes et les 6 ou 7 tribus bédouines de la région sud ne datent pas d’hier et sont essentiellement liées à l’usage de la terre. Durant la guerre civile, ces tribus ont reçu le soutien de l’État Islamique. Elles entretiennent avec le nouveau pouvoir des liens qui oscillent entre l’ambiguïté et la proximité. Avec le déclenchement des hostilités, les autres tribus du pays, souvent lourdement armées, ont affirmé leur solidarité avec les Bédouins et des milliers de combattants ont afflué vers Soueida escomptant un appui gouvernemental. Avec la signature d’un accord, les forces syriennes leur ont barré la route d’accès à la province. Cette mobilisation a dépassé les frontières impliquant des tribus du Liban et de Jordanie qui depuis mai ont renforcé leur coopération. Dans le pays du Cèdre, les Druzes bouillonnent de colère devant les massacres et les humiliations faisant voler en éclat des décennies de bonnes relations avec les Sunnites.

Depuis plusieurs décennies, le Moyen-Orient est confronté à des guerres récurrentes, à des tueries de masse et à des luttes barbares pour le pouvoir. Les puissances régionales et des milices para-étatiques, animées de mentalités obsidionales, sont persuadées que les exterminations, les nettoyages ethniques et la force brute employée contre les peuples constituent l’unique solution à leurs préoccupations. Ces politiques ne résolvent aucun problème et aboutissent systématiquement

au fiasco. Elles attisent les ingérences, nourrissent le ressentiment qui s’exprime parfois dans l’islamisme quand les sociétés civiles ont été brisées par la disparition de forces politiques démocratiques et pluralistes capables de porter une vision fondée sur la citoyenneté et non sur le réflexe communautaire afin de bâtir un avenir commun. Ce chaos ne relève pas seulement de tensions confessionnelles et ethniques mais s’enracine dans des conflits de classe. La haine puise ses ressorts dans un système d’exclusion sociale, d’inégalités croissantes, d’injustices, de mépris que les politiques néolibérales exacerbent privant les individus des besoins les plus élémentaires.

Partout les logiques de violence et de haine s’imposent. Ainsi, les massacres des Alaouites et des Druzes font écho à ceux perpétrés par Israël contre les Palestiniens, par l’État Islamique ou les supplétifs djihadistes de la Turquie contre les Yézidis et les Kurdes.

Si les ingrédients de la violence ne sont pas prêts de disparaître, il n’y a pas d’autre solution que d’ouvrir des voies nouvelles en faveur de la paix qui n’a rien d’irréaliste. En Syrie, rien ne sera possible sans remettre en cause l’exclusion des minorités.

Dans le Nord et l’Est de la Syrie, l’Administration autonome du Rojava expérimente un modèle politique et social qui, même dans un contexte de guerre, tente de garantir une gouvernance efficace préservant la liberté, la sécurité, la pluralité politique, l’égalité femmes-hommes, un égal accès aux ressources, le respect de toutes les diversités confessionnelles, ethniques et linguistiques. Une nouvelle citoyenneté transcende, sans les nier, les identités sur la base de structures politiques laïques.

Cette expérience peut servir de matrice pour reconstruire une Syrie et éviter une marche vers l’abîme. Une majorité de Syriens est susceptible de soutenir cette démarche inclusive contrairement à la déclaration constitutionnelle émanant du pouvoir d’A. al Chareh qui ne vise qu’à confisquer et à concentrer les pouvoirs. Un haut responsable kurde syrien, Bedran Ciya Kurde a invité les autorités syriennes à reconsidérer leur approche vis-à-vis des différentes minorités du pays et à engager un dialogue national sérieux et responsable avec toutes les composantes « tout en respectant la spécificité et l’identité culturelle et religieuse de chacune d’elles ». Une Syrie unie et démocratique permettant aux minorités de disposer d’une plus grande autonomie, comme le demandent les Alaouites, les Druzes et les Kurdes est aujourd’hui la voie raisonnable pour retrouver la confiance, reconstruire le pays en favorisant la coexistence, le respect de l’altérité pour une paix durable.

La capacité d’influence de la France et de l’Union Européenne dans la région et particulièrement en Syrie est quasiment nulle. Cependant, E Macron a reçu depuis peu, et avec tous les honneurs, A. el Chareh suscitant la consternation des forces démocratiques et des Kurdes. Les liens établis devraient constituer un moyen de pression afin que les engagements pris par le pouvoir syrien entrent en vigueur. La France doit soutenir l’AANES, sans tergiverser dans son projet d’une Syrie unie, démocratique et respectueuse de toutes les diversités.