La question de l’identité est au cœur de la condition humaine. Qui suis-je ? À quel groupe j’appartiens ? Que signifie être kurde, arabe, juif, français, ou autre?
Dans les sociétés modernes comme au sein des communautés marginalisées, cette interrogation devient souvent une question existentielle. Le cas du peuple kurde, à l’instar d’autres peuples sans État, illustre combien l’identité peut être à la fois une source de fierté, de conflit, mais aussi de vulnérabilité.
Une identité fragmentée: entre revendication, rejet et contradiction
Chez les Kurdes, le rapport à l’identité est profondément contrasté. Certains s’affirment fièrement kurdes, même s’ils ne parlent pas la langue ou connaissent peu leur histoire. Pour eux, cette appartenance est avant tout un attachement affectif, un lien moral, parfois symbolique, mais sincère.
D’autres, pourtant parfaitement locuteurs du kurde et familiers des traditions, refusent de s’identifier comme kurdes. Ils se définissent par l’identité officielle de l’État dans lequel ils vivent; Turcs, Iraniens, Arabes, par choix personnel, stratégie, ignorance ou crainte.
Il y a enfin ceux qui vont plus loin : non seulement ils renient leur identité kurde, mais ils s’opposent ouvertement à ceux qui la défendent. En reprenant les discours des régimes oppresseurs, ils deviennent consciemment ou non les vecteurs de l’effacement culturel.
Une identité criminalisée: être kurde, un danger en soi
Ce rejet s’explique en partie par une réalité implacable : être kurde peut, en soi, représenter un risque. Dans certaines villes ou régions, parler kurde, chanter une mélodie traditionnelle, arborer un symbole ou même porter un prénom d’origine kurde peut entraîner l’arrestation, le harcèlement ou la censure.
Cette répression constante génère la peur. Elle pousse certains à se taire, à se fondre dans la majorité, à disparaître socialement. Mais si cette peur est bien réelle, elle ne saurait justifier l’oubli de soi, la soumission ou le reniement. À force de se taire pour survivre, on finit par ne plus exister.
L’opportunisme culturel: exploiter une culture sans la revendiquer
Un phénomène particulièrement douloureux est celui des artistes qui utilisent la culture kurde à des fins artistiques ou commerciales, tout en refusant de s’y identifier. Ils chantent en kurde, exploitent le folklore, séduisent un public kurde, mais se disent Iraniens, Turcs, ou prétendent être « apolitiques » dès qu’il s’agit de prendre position. La peur peut être comprise. L’hypocrisie, non. Bénéficier de la richesse culturelle d’un peuple tout en gardant le silence face à son oppression est une forme de trahison morale.
Le peuple juif en miroir: transmission contre oubli
Le peuple juif, bien qu’ayant vécu l’exil durant des siècles, a su préserver son identité grâce à une transmission rigoureuse : langue, religion, mémoire, éducation, solidarité. Même sans État, il a résisté culturellement.
En comparaison, les Kurdes, malgré leur enracinement territorial, ont vu leur identité se fragmenter, en partie à cause de la répression étatique, mais aussi du manque d’initiatives éducatives autonomes, de l’absence de structures solides, et parfois, d’un abandon volontaire.
Quand les Kurdes se retournent contre eux-mêmes
Le plus tragique, peut-être, est que certains Kurdes contribuent activement à l’effacement de leur propre peuple. Non seulement ils renient leur identité, mais ils attaquent ceux qui la revendiquent. Ils les accusent d’extrémisme, de nationalisme ou de séparatisme, reprenant exactement le langage des régimes qui cherchent à les faire disparaître. Quand un peuple se divise contre lui-même, il s’affaiblit. Et cela ne fait que servir ceux qui souhaitent sa disparition.
Conclusion: entre héritage et choix, défendre ou disparaître
L’identité n’est pas seulement un héritage. C’est aussi un choix, une responsabilité.
La question « Qui est kurde ? » renvoie à l’origine, à la langue, à la terre. Mais la question « Qui suis-je ? » va plus loin : elle interroge la conscience, la volonté, le courage.
On peut naître kurde sans jamais l’assumer, et on peut choisir de l’être pleinement, avec lucidité, dignité et engagement.
Dans un monde dans lequel l’on est discriminé simplement pour exister, affirmer son identité n’est pas un luxe, c’est une forme de résistance. C’est dire: je suis là, je connais mes racines, je connais ma valeur.
Le monde ne respectera jamais un peuple qui ne se respecte pas lui-même. Et ce respect commence par cette affirmation simple : je sais qui je suis.
Par la Plume de la Montagne*, un Kurde du Rojhilat réfugié en Suisse
*La publication des textes de la Plume de la montagne ne signifie pas nécessairement que le site Kurdistan au féminin partage systématiquement l’avis exprimé