Les Kurdes, privés d’un État souverain, sont confrontés à une situation complexe où ils doivent apprendre les langues imposées par les puissances dominantes – principalement le turc en Turquie et le perse en Iran – pour accéder à l’éducation, aux services publics et aux institutions étatiques ou toute simplement pour vivre. Cette réalité, qui perdure depuis des décennies, a engendré un processus d’assimilation culturelle et linguistique profond au cours du XXe siècle. De nombreux Kurdes ont ainsi perdu leur langue maternelle, le kurde, et certains en sont même venus à ressentir de la honte ou à dissimuler leurs origines. Cette dynamique a été exacerbée par des politiques étatiques répressives visant à nier l’identité kurde, notamment l’interdiction de l’usage public du kurde dans certains pays.
Même parmi les Kurdes qui se revendiquent comme activistes et résident dans des pays européens, où les libertés individuelles et culturelles sont théoriquement garanties, nombreux sont ceux qui peinent à se défaire complètement de l’héritage linguistique et culturel imposé par les anciennes puissances dominantes. Cette persistance témoigne de l’empreinte durable de décennies de marginalisation et de répression.
Ce phénomène s’accompagne souvent d’un complexe d’infériorité internalisé, qui se manifeste, dans certains cas, par une préférence marquée pour l’usage de la langue turque, même dans des contextes où les Kurdes sont majoritaires. Par exemple, dans des groupes mixtes composés principalement de Kurdes et de quelques Turcs, il n’est pas rare que les Kurdes optent pour le turc comme langue de communication, perpétuant ainsi une hiérarchie linguistique et culturelle qui place les Turcs en position d’autorité ou de modèle à suivre. Cette tendance reflète non seulement une internalisation des structures de domination, mais aussi une forme de dévalorisation inconsciente de leur propre culture et identité.
Dans ce contexte, il est crucial de souligner que les visions de gauche, bien que souvent perçues comme progressistes, ont parfois des effets négatifs sur les activités kurdes. En effet, certains courants de gauche considèrent que la défense de la langue et de la culture kurdes relève du nationalisme, une idéologie qu’ils critiquent fortement. Cette perspective place les Kurdes dans une position délicate : pour être reconnus comme de « bons » militants de gauche, ils sont souvent poussés à minimiser ou à critiquer leurs revendications culturelles et linguistiques, de peur d’être étiquetés de « nationalistes ».
Ainsi, pour mener une lutte efficace en faveur de la libération du Kurdistan, il semble essentiel que les Kurdes s’affranchissent d’abord de cette domination culturelle et linguistique. En continuant à adopter et à consommer la langue et la culture turques, ils risquent non seulement d’affaiblir leurs propres initiatives visant à promouvoir le bien-être de la communauté kurde et à défendre les droits du Kurdistan, mais aussi, involontairement, de renforcer les structures de pouvoir de leurs adversaires. En effet, chaque fois qu’un Kurde privilégie le turc au détriment du kurde, il contribue, même indirectement, à la perpétuation d’un système qui nie et opprime sa propre identité. C’est pourquoi, la revitalisation de la langue kurde et la réappropriation de la culture kurde apparaissent comme des étapes cruciales pour construire une résistance solide et un avenir autonome, tout en remettant en question les discours de gauche qui, sous couvert d’universalisme, tendent à invisibiliser les spécificités culturelles et linguistiques des Kurdes.
Texte signé par la Plume de la montagne