VIENNE – Persécutée par le régime turc pour ses écrits, l’écrivaine Meral Şimşek a dû se réfugier en Europe comme des milliers d’autres intellectuels, politiciens… kurdes. Hier, elle a dédié aux femmes kurdes le Prix Theodor Kramer qu’on lui a décerné.
Lors de la cérémonie de remise du Prix Theodor Kramer en Autriche, l’écrivaine kurde Meral Şimşek a déclaré qu’elle acceptait le prix au nom de toutes les femmes du Kurdistan qui ont été violées, assassinées, emprisonnées et celles qui luttent.
La cérémonie de remise du prix Theodor Kramer pour l’écriture pendant la résistance et l’exil a eu lieu vendredi à Niederhollabrunn, en Autriche. Les lauréats sont l’écrivaine kurde Meral Şimşek et le éditeur autrichien Gerhard Oberschlick.
Après la cérémonie de remise des prix, Meral Şimşek a déclaré dans un discours qu’elle acceptait le prix au nom des femmes du Kurdistan : « Et c’est pourquoi ce prix compte beaucoup pour moi. J’étais encore dans mon pays quand j’ai reçu le prix. J’ai été accusée pour ce que j’ai écrit. Il y a des poursuites contre moi devant les tribunaux turcs parce que je suis kurde. J’ai déjà été condamnée et les procès continuent. Je vis maintenant en exil à Berlin. Ma patrie Kurdistan est occupée depuis des siècles. En tant que Kurdes, nous sommes persécutés et victimes de génocide. Nous sommes violées, assassinées et expulsées de notre pays par nos occupants. Ce que nous voulons, c’est vivre comme les autres peuples avec notre langue et notre identité. Nous ne voulons pas mourir et subir un génocide. Tout comme vous, nous voulons pouvoir parler notre propre langue. Nous voulons les mêmes droits que les autres peuples. »
L’écrivaine kurde a remercié sa mère Xecê, sa sœur Mülkiyet Doğan, assassinée en 1993, et son frère Akif Doğan, assassiné en 1996, pour la force et la résilience qu’ils lui ont données : « Je leur exprime ma gratitude infinie, car c’est d’eux que j’ai appris à résister. Je remercie le ciel et ma patrie. J’accepte le prix qui m’a été décerné au nom de toutes les femmes kurdes qui ont été assassinées et violées au Kurdistan sous la domination coloniale arabe, perse et turque, qui aujourd’hui résistent dans les prisons et se battent dans les montagnes. »
Rébellion ligne par ligne
La Société Theodor Kramer, fondée en 1984, décerne depuis 2001 un prix pour l’écriture en résistance et en exil. L’accent n’est pas seulement mis sur la qualité littéraire, mais aussi sur l’attitude et le destin du lauréat.
Avec Meral Şimşek, une autrice kurde qui est politiquement persécutée en Turquie et qui écrit en turc est mise à l’honneur afin de la soutenir au maximum dans sa détresse et ainsi de suivre également un appel du PEN International. Autrice d’une œuvre lyrique primée dont la traduction est en préparation, elle s’insurge ligne par ligne dans sa poésie contre les puissances présentées comme fatidiques qui exigent la soumission, elle mobilise la tradition abrahamique, le monde des dieux grecs et les mythes zoroastriens pour son combat, en tant que femme et membre d’une nation opprimée pour mener une vie libre. C’est une poésie aux savoirs divers, qui en même temps redécouvre sans cesse le poétique du quotidien et des grandes choses de la nature.
Meral Şimşek : Persécution politique et récompense internationale
Meral Şimşek est une écrivaine et poétesse kurde de Diyarbakir (Amed), née en 1980 et mère de deux enfants. Elle a reçu neuf prix internationaux, notamment pour ses volumes de poésie Rêves de réfugiés, Nuages dans le feu et figues noires. Sa nouvelle Arzela a été publiée en 2022 et son roman autobiographique Nar Lekesi (Tache de grenade) en 2017. Elle est membre de PEN kurde et de l’Association des écrivains kurdes de Mésopotamie.
Un an après que Meral Şimşek a été enlevée en Turquie et forcée à travailler pour les services secrets turcs (MIT) en menaçant de détruire sa vie d’auteur autrement, elle a été arrêtée le 9 décembre 2020 dans la province de Malatya (Meletî), avec une interdiction de quitter le pays et inculpée en janvier 2021 pour « appartenance à une organisation terroriste [PKK]» et « propagande terroriste ».
L’acte d’accusation citait ses œuvres, ses appartenances littéraires, son poème pour le frère mort, sa nouvelle Arzela primée par PEN International, parue dans l’anthologie Kurdistan + 100. Dans cette anthologie, douze écrivains kurdes contemporains créent des scénarios pour un avenir dans lequel être kurde est possible sans persécution. « Et même répondre à la question d’un lecteur lors d’un événement à Batman est considéré comme une infraction pénale. Lorsqu’on m’a demandé pourquoi je n’écrivais pas en kurde, j’ai répondu que j’avais honte de ne pas pouvoir écrire dans ma langue maternelle. C’est dans l’acte d’accusation. C’est tragique», avait déclaré Meral Şimşek à ANF l’année dernière.
Meral Şimşek a été si gravement torturée sexuellement à l’âge de 13 ans qu’elle a dû subir une opération de l’utérus et a souffert de lésions rénales. Elle est sous traitement médical. Sa sœur et son frère ont été tués par les forces armées turques à trois ans d’intervalle.
En juin 2021, Meral Şimşek s’est enfuie en Grèce. La police grecque l’a arrêtée, a pris ses documents et son téléphone, l’a maltraitée, l’a jetée à la rivière frontalière Evros. Meral Şimşek, qui ne sait pas nager, a réussi à sortir de l’eau avec l’aide d’une amie et a été arrêtée et fait maintenant face à de nouvelles poursuites pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison pour avoir pénétré dans une zone militaire réglementée. Elle a depuis été acquittée d’être membre d’une organisation terroriste, mais a été condamnée à un an et trois mois de prison en octobre 2021 pour diffusion de propagande terroriste. La procédure d’appel n’est pas encore terminée.
Pour PEN International, Meral Şimşek est persécutée pour sa littérature et a appelé à plusieurs reprises à l’action en faveur de Simsek, plus récemment dans son appel à l’occasion de la Journée internationale de la femme 2022.
Kurdistan + 100 sera publié par les éditions Commapress en août 2022. La poésie et la prose de Meral Şimşek sont obsédantes, concrètes, impitoyables et, malgré tout, pleines d’espoir. Dans son roman autobiographique Nar Lekesi (Tache de Grenade), l’autrice raconte la persécution systématique, la torture et le meurtre, mais aussi la volonté de continuer à vivre et à écrire.
ANF