En ces jours pas comme les autres, où nos habitudes sont chamboulées par un confinement forcé chez-soi, avec ceux qu’on aime ou seul, j’ai l’impression de voir ma vie se défiler devant mes yeux, comme si j’allais bientôt arrêter de vivre et que je devais mettre de l’ « ordre » dans ma vie et une envie pressante d’écrire jusqu’au tournis. Coucher sur le papier tout ce que je voulais que mes proches, surtout mes enfants, sachent. Tout ce que j’avais sur le cœur et qui devait sortir car c’était trop lourd à porter pour moi seule… Et des larmes qui coulent de mes yeux, sans que je sache pourquoi, accompagnées de poèmes que je n’attendais plus depuis longtemps déjà…
Coronavirus, mon amour
Et si l’arrivée du coronavirus n’était que la goutte qui a fait déborder le vase ? En effet, quand vous êtes une femme exilée, consacrant le plus claire de votre temps à créer et relayer l’actualité kurde axée sur la guerre et des massacres infinis au quatre coins du Kurdistan, vos nerfs en prennent un bon coup. Si, en plus, vous avez une vie de famille, des enfants, un train-train on ne peut plus classique, le moindre changement dans votre vie provoque un séisme. C’est ce que m’a fait le coronavirus.
Depuis le premier jour du confinement, je me sens comme un albatros privé de ses ailes, un cerveau en cage qui voudrait tourner à 200km/h, des mots qui se bousculent dans ma tête, chacun voulant sortir avant les autres. Oui, je « perds » mes moyens. Toutes ces choses que je voulais faire depuis si longtemps, mais que je différais ad-vitam aeternam sous des prétextes farfelus car en réalité je manquais de courage, m’ont coincée au pied du mur. Je n’ai plus d’échappatoire, je me rends et j’avoue : je suis une femme manquant de courage et qui ne bougerait pas le petit doigt, tellement elle a peur, tant qu’il n’y a pas « mort d’homme ».
Voilà, j’enlève mon masque, je ne suis pas une super-woman, je choisis juste l’honnêteté et l’avoue: je suis comme je suis avec mes faiblesses et mes blessures, avec un passé qui a du mal à passer. Mais je voudrais continuer à vivre, en prenant un peu plus de recul et ne pas avoir honte de ma fragilité. D’ailleurs, et si c’était cela la véritable force : l’aveu de sa propre fragilité ?
Une fois cette parenthèse du coronavirus fermée, je continuerai à faire ce que je sais le mieux faire : à militer pour le peuple du Kurdistan, pour ses femmes, ses enfants et ses hommes. Mais en attendant, je prends quelques instants de vie rien que pour moi.
Pour le paire d’oeils orphelins qui m’ont rappelé ce qui comptait le plus dans la vie: l’amour…
Keça Bênav / La fille sans nom (en kurde, Bênav signifie « sans nom » et Keç « fille »)
merci
et beau retrait