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TURQUIE. Nouveaux rebondissements dans l’affaire du meurtre de deux policiers

TURQUIE / KURDISTAN – Un rapport médico-légal récemment publié soulève de nouveaux doutes sur le meurtre en 2015 de deux policiers à Urfa/Ceylanpınar qui avait servi de prétexte au gouvernement turc pour mettre fin aux pourparlers de paix avec la guérilla kurde et la reprise des opérations militaires au Kurdistan du Nord.

Un rapport médico-légal récemment publié soulève de nouveaux doutes sur le meurtre en 2015 de deux policiers dans la ville de Ceylanpınar, dans le sud-est du pays, un incident cité par le gouvernement turc comme l’élément déclencheur de la fin des pourparlers de paix avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et de la reprise des opérations militaires à grande échelle, a rapporté l’agence de presse Mezopotamya.

Un événement tragique a bouleversé le pays : les policiers Feyyaz Yumuşak, de la brigade antiterroriste de Şanlıurfa, et Okan Acar, de la police antiémeute, ont été retrouvés morts par balles dans leur lit le 22 juillet 2015, dans le district de Ceylanpınar, au sud-est de la province de Şanlıurfa. Les deux hommes partageaient le même appartement.

Le gouvernement turc du Parti de la justice et du développement (AKP), qui menait des pourparlers de paix avec le PKK depuis 2013 dans le but de mettre fin au conflit qui dure depuis des décennies entre la Turquie et le PKK, a immédiatement accusé le groupe militant d’être responsable de l’attaque.

L’incident de Ceylanpınar a marqué la fin symbolique des pourparlers de paix entre le gouvernement de l’AKP et le PKK, entraînant la résurgence de violents affrontements dans le sud-est de la Turquie.

Le nouveau rapport médico-légal, ajouté au dossier de l’affaire devant la Cour suprême d’appel turque près de dix ans après l’attaque, identifie une empreinte digitale relevée sur les lieux du crime comme appartenant à un policier qui avait auparavant nié être entré dans l’appartement où les policiers ont été tués.

Le bureau du gouverneur de Şanlıurfa a déclaré à l’époque dans un communiqué qu’il n’y avait aucun signe d’effraction dans l’appartement que partageaient les policiers.

D’après des documents rapportés par Mezopotamya, une empreinte digitale étiquetée « L38 » correspond à l’auriculaire gauche de l’agent Burak Kuru, collègue des policiers tués.  Le même rapport conclut que cinq des dix empreintes digitales relevées au domicile appartenaient à Kuru.

Kuru avait affirmé lors de son précédent témoignage qu’il n’était jamais entré dans l’appartement. Les demandes des avocats de la défense visant à l’interroger lors du procès initial avaient été rejetées.

Le rapport médico-légal figurait parmi les deux nouveaux documents soumis à la Cour suprême d’appel le 2 décembre par le département des enquêtes médico-légales de la police. Ces documents comprennent des tableaux comparatifs confirmant la correspondance des empreintes digitales.

Moment clé dans l’effondrement du processus de paix

Quelques jours après les massacres, la Turquie a lancé d’importantes frappes aériennes contre les positions du PKK dans le nord de l’Irak. Les hostilités se sont intensifiées dans les villes à majorité kurde du sud-est, des couvre-feux ont été imposés et des combats urbains ont éclaté.

Deux jours avant la mort des deux policiers, un attentat à la bombe dans la ville de Suruç, dans le sud de la Turquie, avait fait 34 morts, principalement des militants et des étudiants kurdes. Le groupe extrémiste État islamique en Irak et au Levant (EIIL) avait été revendiqué.

Le PKK a décrit le meurtre des officiers comme une représailles à l’attentat à la bombe de Suruç, accusant les policiers de collaborer avec l’EI (DAECH).

Parallèlement, l’effondrement du processus de paix a coïncidé avec la perte de la majorité parlementaire par l’AKP lors des élections générales de juin 2015. Il s’agissait de la pire défaite électorale du parti depuis son arrivée au pouvoir en 2002.

Le Premier ministre de l’époque, Ahmet Davutoğlu, a déclaré que la Turquie avait besoin d’un gouvernement à parti unique pour lutter contre le « terrorisme », alors que le pays se préparait à des élections anticipées et que l’armée combattait les militants kurdes.

La reprise du conflit a conduit à des élections anticipées en novembre, au cours desquelles l’AKP a repris le contrôle du parlement.

Le Parti démocratique des peuples (HDP), principal parti d’opposition pro-kurde à l’époque, a accusé le président Recep Tayyip Erdoğan et son gouvernement d’exploiter la situation chaotique pour maintenir son emprise sur le pouvoir.

Malgré la portée politique de ces meurtres, l’enquête criminelle n’a jamais permis d’identifier un coupable. Sept suspects, accusés de liens avec le PKK et arrêtés après l’attaque, ont été libérés en 2018 puis acquittés faute de preuves.

La présence de l’agent contredit les anciens témoignages 

Mezopotamya a également fait état de parcours professionnels inhabituels chez les fonctionnaires impliqués dans l’enquête initiale. Le premier procureur en charge de l’affaire a été promu pendant la rédaction de l’acte d’accusation et muté au département informatique du ministère de la Justice, avant d’être nommé juge de première instance. Le juge qui avait initialement ordonné les arrestations, le procureur qui avait supervisé les autopsies et 22 policiers en service à Ceylanpınar à l’époque ont par la suite été arrêtés et révoqués de la fonction publique pour des liens présumés avec le mouvement religieux Gülen.

L’affaire reste non résolue dix ans plus tard

Ces nouvelles empreintes digitales soulèvent de nouvelles questions quant à la manière dont l’enquête a été menée et aux raisons pour lesquelles plusieurs pistes importantes n’ont pas été explorées. Près de dix ans après les faits, les meurtres de Yumuşak et Acar restent non élucidés, et aucun coupable n’a été identifié.

La Cour suprême d’appel devrait examiner les nouveaux éléments de preuve médico-légale dans le cadre de cette affaire, pendante devant la Haute Cour depuis près de six ans. On ignore pour l’instant si ce développement entraînera une réouverture plus large de l’enquête.

Cette nouvelle découverte intervient au moment où un processus de paix a été relancé avec le PKK, dans le cadre duquel le groupe a annoncé en mai qu’il déposerait les armes et se dissoudrait. (…)

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