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IRAN. Le Kurdistan oriental frappé par une crise de l’eau

IRAN / ROJHILAT – Le Kurdistan de l’Est est menacé par une catastrophe imminente à cause de la sécheresse extrême qui sévit dans l’ouest de l’Iran, signale l’agence kurde ANF. Le lac Ourmia (Ûrmiyê) est presque rayé de la carte, les sources d’eau sont à sec et les villages se vident de leurs habitants. Les experts mettent en garde contre une crise existentielle aux conséquences irréversibles.

L’une des pires sécheresses de l’histoire de l’Iran menace le Kurdistan oriental (Rojhilat) et l’ensemble du bassin versant d’Urmia (Ûrmiye) de catastrophes écologiques et sociales. Selon des données récentes d’institutions spécialisées et d’organisations internationales, la forte diminution des précipitations, la mauvaise gestion de l’eau et des années de négligence politique sont les principaux facteurs de l’aggravation de cette crise.

Les précipitations ont diminué jusqu’à 90 %, l’agriculture est à bout de souffle.

Dans plusieurs provinces du Kurdistan oriental – notamment Sînê, Saqqez, Bokan et Hawraman– les précipitations ont diminué jusqu’à 90 % par rapport à la moyenne de long terme. Dans certaines régions, les cumuls mensuels sont inférieurs à deux millimètres, selon les rapports du ministère iranien des Ressources en eau. La moyenne nationale est d’environ 56 millimètres.

Les conséquences sont dramatiques : la production agricole est quasiment à l’arrêt, les rivières sont à sec et, dans de nombreux villages, le niveau des nappes phréatiques est descendu en dessous des seuils critiques. L’eau potable n’est souvent distribuée que par camion-citerne, fréquemment avec plusieurs jours de retard.

Le lac Ûrmiye s’est presque asséché.

La situation du lac Ûrmiye est particulièrement préoccupante. Autrefois le deuxième plus grand lac salé du monde, il couvrait environ 5 000 kilomètres carrés, soit dix fois la superficie du lac de Constance. D’après de récentes images satellites de la NASA, le lac est aujourd’hui presque entièrement asséché. Son niveau d’eau a baissé d’environ 95 % par rapport aux années 1970, et de vastes portions de son bassin se sont transformées en désert de sel.

 

La principale cause serait la construction de dizaines de barrages sur les affluents du lac, notamment sur les rivières Zarrineh et Simineh, qui fournissent à elles seules plus de la moitié de l’approvisionnement en eau du bassin d’Ûrmiye. Des sources scientifiques recensent une cinquantaine de barrages dans le bassin versant, dont certains ont de graves conséquences sur la disponibilité de l’eau.

Les tempêtes salées, une nouvelle menace

Avec l’assèchement du lac, un nouveau problème de santé publique et environnemental se pose : les tempêtes de sel. La poussière de sel, soulevée par le vent, se dépose sur les terres agricoles, réduisant la fertilité des sols et aggravant les maladies respiratoires, notamment chez les enfants. Selon des études sanitaires menées dans la région, le nombre de cas d’asthme et d’allergies est en forte augmentation.

Perte des moyens de subsistance agricoles et émigration

L’agriculture représente environ 92 % de la consommation d’eau de l’Iran. Au Kurdistan oriental, région déjà structurellement défavorisée, la crise frappe particulièrement durement les petites exploitations agricoles. Le bétail est vendu, le matériel agricole abandonné et les champs laissés en jachère. Dans de nombreux villages, les jeunes, notamment ceux âgés de 18 à 35 ans, ont déjà émigré, principalement vers Sînê (Sanandaj), Merîwan et Bokan. Certains villages sont complètement désertés pendant l’été, et leurs habitants ne reviennent qu’à la saison des pluies. Les sociologues parlent de « désintégration du tissu social » et de perte de continuité culturelle.

Répartition inégale de l’eau due à des raisons politiques

Outre la crise climatique, les organisations locales dénoncent les inégalités structurelles dans la répartition des ressources en eau. Alors que les centres urbains et les grandes entreprises publiques sont privilégiés, les villages kurdes ne reçoivent souvent que les miettes.

Des études menées par des centres de recherche internationaux, dont l’Institut international de l’eau de Stockholm (SIWI), confirment que la distribution de l’eau suit des priorités politiques et économiques, les régions minoritaires comme le Kurdistan oriental étant systématiquement désavantagées.

Les organisations internationales mettent en garde contre un effondrement

D’après des analyses conjointes de la Banque mondiale et du Programme des Nations Unies pour l’environnement, le niveau des nappes phréatiques dans les bassins du nord-ouest de l’Iran, notamment à Ûrmiye, baisse de plus d’un mètre par an. Dans certaines régions de l’est du Kurdistan, le taux de salinisation et de désertification des sols dépasse déjà 40 %.

Une étude de l’Université d’Oxford met en garde contre un point de basculement qui s’accélère : l’effondrement complet de l’écosystème d’Ûrmiye pourrait avoir des conséquences considérables s’étendant jusqu’à 100 kilomètres – allant de pertes de récoltes à grande échelle à des exodes forcés liés au climat.

La réhabilitation a échoué, le gouvernement reste inactif

Bien que le gouvernement iranien ait annoncé un programme de sauvetage du lac Ûrmiye dès 2016, aucun progrès concret ne s’est concrétisé. Selon les chiffres officiels, seulement 35 % environ des fonds promis ont été effectivement utilisés. Plus des deux tiers des mesures prévues restent à ce jour lettre morte.

Revendications : Accès à l’eau, participation locale, aide internationale

Les militants écologistes et les communautés locales réclament des réformes urgentes : une répartition équitable des ressources en eau, l’inclusion des acteurs locaux dans l’élaboration des politiques de l’eau, la transition vers des systèmes d’irrigation modernes et la mise en œuvre intégrale des programmes de protection et de réhabilitation. Sans une réorientation structurelle, préviennent les experts, une grande partie du Kurdistan oriental ne sera plus habitable de façon permanente d’ici 2035. (ANF)