BRUXELLES – Le journaliste Chris Den Hond a interrogé les représentants du Rojava / Syrie du Nord et d’Est en Europe sur la situation politique en Syrie ainsi que les pourparlers engagés entre les autorités kurdes et Damas au sujet de l’autonomie locale du Rojava. Voici l’interview réalisée par Chris Den Hond.
La « nouvelle » Syrie : dernières nouvelles
Voici les dernières informations sur la situation politique en Syrie que j’ai récoltées après un entretien ce mercredi avec des responsables du bureau Rojava de Bruxelles/Europe.
En Syrie, les discussions se poursuivent entre Iham Ahmed et Mazloum Abdi pour les autorités politiques et militaires du Nord et l’Est de la Syrie d’un côté et Al-Chibani, ministre des affaires étrangères syrien et le président Ahmed Al Charaa pour le gouvernement de Damas.
Autonomie militaire ?
Il y a quelques jours, lors d’une réunion à Amman, Tom Barrack, envoyé spécial des États-Unis pour la Syrie a fait volte-face et plaide maintenant pour une Syrie décentralisée. C’est le contraire de ce qu’il avait dit il y a deux ou trois mois quand il s’était mis sur la position turque : « pas de fédéralisme, une nation, une langue… » Tom Barrack a ajouté à Amman que les YPG et YPJ (milices kurdes syriennes) ne sont pas liées au PKK et qu’ils sont des alliés des États-Unis. Il a suggéré aussi que Mazloum Abdi, le chef militaire des FDS, devrait pouvoir discuter directement avec Fidan Hakan, le ministre turc des affaires étrangères.
Une chose est désormais très claire : Mazloum Abdi, Ilham Ahmed, Salih Muslim et autres responsables du Rojava ont déclaré sans ambiguïté « qu’un retour à la situation comme avant 2011 n’est pas négociable, c’est exclu. » Donc pas une Syrie centralisée comme avant. Les FDS sont prêts à faire partie intégrale dans l’armée syrienne comme bataillon autonome, lié à l’armée de Damas, avec une coordination avec Damas, mais militairement autonome. Même Tom Barrack a déclaré: « Les FDS ont une grande expérience. Elles devraient pouvoir se déployer dans tout le territoire syrien. » Ce n’est pas l’ambition des FDS, mais c’est sûr que l’organisation politique et militaire des FDS et AANES fait des jaloux du côté Druze et Alaouites.
Öcalan a déclaré cette semaine, concernant YPG et YPJ, que le Rojava est une ligne rouge. Tout le monde est prêt à défendre le Rojava. Les FDS gardent leurs armes parce qu’il y a Daesh et tous les djihadistes encore dans la région. Si on désarme les FDS maintenant, les Kurdes vont subir le même sort que les Druzes et les Alaouites. « Si Damas ou Ankara exigent le désarmement des FDS, on arrête tout le processus de paix en Turquie, » a-t-il déclaré. Même des responsables du Gouvernement Régional du Kurdistan en Irak ont dit que si le Rojava est de nouveau attaqué, « on va aider les frères. »
Lors des pourparlers avec les responsables kurdes, le président Ahmed al Chara a dit : « On peut discuter de toutes les formes, sauf de la séparation. » Ilham Ahmed était à Damas récemment pour discuter ce que ça veut dire concrètement. Est-ce que Damas accepterait maintenant des structures décentralisées et autonomes, malgré la pression de la Turquie? À voir.
Contrôle des frontières, éducation, les déplacés internes
Ilham Ahmed à Damas a aussi discuté avec le ministre Al-Chibani le contrôle des frontières avec une possible ouverture entre les villes jumeaux de Qamishli et Nuseibin et la réouverture de l’aéroport de Qamishli. L’Administration autonome du Rojava propose que ça soit des postes de frontière gérés en commun : AANES + Damas.
Un autre point de discussion concerne les universités : reconnaissance des diplômes. La langue kurde est de facto reconnue maintenant.
Retour des déplacés d’Afrin est lié au sort de Ashrafiye et Cheick Maksoud, les quartiers à majorité kurde à Alep. Ces quartiers sont liés et gérés conjointement avec Damas. Les milices syriennes pro-turques refusent de quitter Afrin et la zone entre Tal Abyad et Serekeniye. Normalement les familles vont élire un comité pour leur protection, mais ça ne se fait pas (encore), parce que sous pression de la Turquie, les milices pro-turques refusent de s’en aller.
Les récentes informations sur l’exportation de pétrole par la Syrie est à vérifier, parce que l’acheminement du pétrole de Rumeilan, Shuweidiya vers Tartous pour raffinage est normalement pour utilisation interne. C’est pas claire cette histoire.
Israël
Entre Israel et la Turquie, il y a des grosses tensions avec comme enjeu : qui aura quelle influence dans la nouvelle Syrie. Le PKK et Öcalan refusent l’aide d’Israël. Öcalan a déclaré que Ankara et Damas ont intérêt à accepter l’offre de paix des Kurdes, parce que leur but est le vivre ensemble entre les peuples. Si cette offre échoue, ça sera les États-Unis et Israël qui vont modeler la région, et leur but c’est la séparation des peuples. « L’Israël joue ses propres intérêts et est prêt à vendre même les Druzes s’il se trouve mieux demain », a déclaré Öcalan.
Chris Den Hond, avec le bureau Rojava à Bruxelles pour l’Europe