Le monde, et en particulier le Moyen-Orient, est en mutation, et les Kurdes se préparent à l’avenir dans cette période critique. Ce faisant, ils tentent d’abord de nettoyer un terrain miné. Conscients des grands dangers, ils s’efforcent de construire un nouveau contrat social, non seulement pour les peuples de la région, mais aussi pour les forces progressistes du monde entier. C’est pourquoi il est essentiel d’éviter les approches simplistes et superficielles pour comprendre les enjeux actuels.
Depuis l’appel historique du dirigeant kurde Abdullah Öcalan, le 27 février, en faveur de la « paix et d’une société démocratique », une nouvelle phase a débuté en Turquie. La direction qu’elle prendra reste encore floue, mais les signaux en provenance d’Ankara indiquent que l’État turc n’a plus d’autre choix que de faire la paix avec les Kurdes. Les bouleversements régionaux et mondiaux remettent en question les frontières artificielles établies pendant la Première Guerre mondiale.
UN BESOIN DE NOUVEAU CONTRAT SOCIAL
En prison sur l’île d’Imrali depuis 1999, Öcalan analyse les évolutions régionales et mondiales en profondeur et effectue des mouvements stratégiques déterminés, tels des coups sur un échiquier. Dans son dernier message du 18 mai, il souligne la nécessité d’un nouveau contrat social entre Kurdes et Turcs.
« Il faut un nouveau contrat basé sur le droit de la fraternité. Ce que nous faisons représente un changement de paradigme majeur », a-t-il déclaré. Constatant que la relation fraternelle a été rompue, Öcalan a ajouté : « Nous nettoyons un à un les pièges et les mines qui ont détérioré cette relation ; nous réparons les routes et les ponts endommagés. »
Lors de son 12ᵉ congrès, qui s’est tenu du 5 au 7 mai, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a décidé de se dissoudre. Bien que cela puisse être interprété comme un simple abandon de la lutte armée, la stratégie d’Öcalan de « nettoyage des mines » vise en réalité à faire en sorte que l’État turc ne soit plus perçu comme une menace pour les Kurdes. En d’autres termes, ce processus vise également à désarmer l’État turc face aux Kurdes.
Une telle période de transformation historique comporte aussi de grands dangers, comme l’ont démontré les deux guerres mondiales. C’est pourquoi il est crucial de neutraliser des « mines » telles que le racisme, le colonialisme et l’hostilité, ce qui requiert un effort considérable et une profondeur stratégique.
DEUX CHEMINS DEVANT LA TURQUIE
Les récentes déclarations des responsables turcs indiquent que le pays est à un tournant historique. Le 20 mai, le président de l’Assemblée nationale, Numan Kurtulmuş, a évoqué l’effondrement des structures étatiques au Moyen-Orient et souligné que la Turquie n’avait que deux options : « Soit nous serons déchirés, soit les peuples de Turquie — Turcs et Kurdes — s’uniront pour contrer ce projet impérialiste. Nous avons choisi cette voie et nous continuerons à l’emprunter. »
Le 22 mai, Tuncer Bakırhan, coprésident du Parti de l’égalité et de la démocratie des peuples (DEM), principal parti représentant les Kurdes, a tenu un discours dans le même sens.
UN TOURNANT CRITIQUE AU MILIEU D’ÉVÉNEMENTS BRÛLANTS
Bakırhan a attiré l’attention sur les développements au Moyen-Orient, décrivant une situation « brûlante ».
Voici les points clés de son discours :
Un nouveau monde, un nouveau Moyen-Orient est en train de naître. À l’approche de la mi-2025, la politique mondiale et le Moyen-Orient cherchent une nouvelle orientation. L’Ukraine est en feu, Gaza saigne sous les attaques israéliennes. L’Irak est dans l’incertitude, la Syrie en ruines.
Dans ce Moyen-Orient, où les tensions sont multiples, notamment avec les attaques israéliennes et les politiques sécuritaires, l’Iran occupe une place centrale.
Des événements majeurs nous concernent tous. Le Moyen-Orient est redessiné par la guerre, avec les pays du Golfe en tête. Les anciennes alliances s’effondrent, de nouvelles se forment. Une nouvelle diplomatie et de nouvelles politiques sécuritaires sont en train d’émerger, avec en toile de fond les corridors énergétiques et les équilibres de pouvoir.
Dans ce contexte, il semble que ceux qui ne se transforment pas ne pourront survivre. Tout ce qui est rigide semble voué à se dissoudre. Il est crucial de reconnaître cette réalité.
La décision historique du PKK de se transformer découle d’une lecture de ces dynamiques mondiales. Il cherche à se frayer un nouveau chemin dans la tempête géopolitique qui secoue la Turquie, le Moyen-Orient et le monde.
À ce stade, deux options s’offrent à nous : soit la crise et le chaos se poursuivront, soit la Turquie pourra avancer sur une voie de paix. Nous sommes précisément à ce carrefour critique.
Nous faisons face à un choix historique : soit nous reconstruisons les relations turco-kurdes sur des bases démocratiques, soit nous serons emportés dans le scénario catastrophe du Moyen-Orient.
Dans son dernier message, M. Öcalan a une fois de plus insisté sur la nécessité d’un nouveau contrat et d’un droit de fraternité. Ce sont là les clés de notre avenir. Ce contrat n’est pas un simple document, mais un engagement sociétal. L’avenir démocratique de la Turquie ne peut se construire qu’à travers un tel contrat social.
La fraternité dont parle Öcalan repose sur l’égalité en droits. C’est la garantie d’une vie commune et démocratique.
Nous devons utiliser un langage de partage, pas de polémique. Un langage d’inclusion, pas d’exclusion. Un langage d’unité, pas de division. Une nouvelle ère commence.
Maxime Azadî