PARIS – La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) dénonce les attaques ciblant le Barreau d’Istanbul et ses dirigeants suite à une déclaration publiée par le Barreau le 21 décembre 2024, attirant l’attention sur la mort des journalistes kurdes Nazim Daştan et Cihan Bilgin, tués par un drone turc le 19 décembre 2024 près du barrage de Tishreen, au Rojava /Syrie du Nord-Est.
Voici le communiqué de la FIDH concernant les attaques subies par le Barreau d’Istanbul:
Le 21 mars 2025, la deuxième cour d’assises d’Istanbul a rendu une décision de destitution de la direction élue du Barreau d’Istanbul, en vertu de l’article 77/5 de la loi sur la profession d’avocat. Cette décision ordonne la révocation du bâtonnier et du conseil exécutif du Barreau et la tenue de nouvelles élections. Cette mesure porte atteinte à l’indépendance de la profession d’avocat et bafoue les principes fondamentaux de la justice et de l’État de droit en Turquie.
Poursuites pénales contre les dirigeants du barreau
Parallèlement, le bâtonnier d’Istanbul, İbrahim Kaboğlu, et dix membres du conseil exécutif ont été inculpés de « propagande pour une organisation terroriste par voie de presse » et de « diffusion publique d’informations trompeuses », le parquet demandant jusqu’à 12 ans d’emprisonnement et des interdictions politiques.
Ces accusations et les procédures civiles qui en découlent découlent directement d’une déclaration publique du Barreau concernant le meurtre de deux journalistes, Nazim Daştan et Cihan Bilgin, en Syrie en décembre 2024, et appelant à une enquête indépendante sur leurs décès. Le fait qu’une association professionnelle fasse désormais l’objet de poursuites pénales pour une intervention aussi intègre et respectueuse des droits humains illustre les graves restrictions auxquelles sont confrontés les professionnels du droit en Turquie qui s’engagent dans la défense des droits humains.
Détention arbitraire d’un membre du conseil d’administration
La détention arbitraire de Fırat Epözdemir, membre du conseil du barreau d’Istanbul, illustre une fois de plus le harcèlement judiciaire dont sont victimes les dirigeants du barreau. Arrêté le 23 janvier 2025, à son retour d’une visite de plaidoyer au Conseil de l’Europe, Epözdemir a été inculpé d’« appartenance à une organisation terroriste » et de « propagande pour une organisation terroriste » en vertu d’un acte d’accusation daté du 8 avril 2025. Son maintien en détention et les poursuites engagées reflètent une répression croissante à l’encontre des professionnels du droit en Turquie qui contestent les politiques de l’État et défendent les droits humains.
Les attaques contre les avocats s’intensifient lors des manifestations de mars 2025
Depuis l’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, le 19 mars 2025, la Turquie a été le théâtre de manifestations généralisées et de l’arrestation de centaines de personnes à travers le pays. Les avocats qui ont répondu à ces arrestations massives pour apporter une assistance juridique sont eux-mêmes devenus la cible de la répression. À Izmir et Istanbul, plusieurs avocats ont été arrêtés alors qu’ils tentaient de soutenir les manifestants arrêtés, notamment l’ancien bâtonnier d’Izmir, Özkan Yücel, qui a été interpellé lors d’une perquisition à son domicile au petit matin. Le 28 mars 2025, Mehmet Pehlivan, avocat représentant Ekrem İmamoğlu, a également été arrêté puis libéré sous contrôle judiciaire.
Outre ces arrestations, les avocats qui souhaitaient représenter les personnes en garde à vue ont rencontré de sérieux obstacles pour contacter leurs clients et exercer leurs fonctions. Dans de nombreux cas, l’accès à leurs clients placés en garde à vue leur a été refusé ou les rencontres ont été restreintes, ce qui a compromis la confidentialité et l’efficacité de la représentation. Des rapports indiquent que des avocats se sont vu interdire l’accès aux palais de justice lors d’interrogatoires clés ou ont été informés que des audiences avaient eu lieu en leur absence. Dans certains cas, ils ont même été empêchés de confirmer le sort des personnes détenues. Le refus de reconnaître, de fournir ou de confirmer le sort ou le lieu de détention des personnes détenues constitue un élément constitutif du crime de disparition forcée.
Ces actions des autorités turques constituent une atteinte directe au droit à la défense, entravant l’accès à la justice et criminalisant davantage le soutien juridique aux manifestations pacifiques et à la dissidence. Elles marquent une dangereuse intensification de la pression sur la profession juridique et une érosion des garanties d’un procès équitable et de l’État de droit.
Appel à l’action