TURQUIE – La Cour de cassation (Yargitay) a annulé la peine de prison à vie aggravée infligée à Cemal Metin Avcı, l’homme reconnu coupable du meurtre barbare de l’étudiante kurde Pınar Gültekin en 2020. Alors qu’il l’avait brûlée vive et la coulé dans du béton, la Cour de cassation a jugé qu’Avcı n’avait pas agi avec des « sentiments monstrueux », un facteur qui avait conduit à une peine plus sévère dans le jugement du tribunal de première instance.
La 1ère Chambre pénale de la Cour de cassation a décidé qu’Avcı ne devait pas être condamné pour « meurtre avec préméditation » ou « meurtre avec sentiments monstrueux », mais plutôt pour « meurtre simple intentionnel » ou « meurtre avec torture ». De plus, une réduction de peine pour « provocation injuste » devait être appliquée.
Deux juges du panel de cinq membres ont exprimé leur désaccord avec l’opinion majoritaire.
La décision a suscité des réactions de la part de la famille de Gültekin, de ses représentants légaux et des associations de défense des droits des femmes. L’avocat de la famille, Rezan Epözdemir, a critiqué la décision, la qualifiant de honte juridique. « Si brûler quelqu’un vif ne constitue pas un ‘sentiment monstrueux’, alors qu’est-ce qui peut être qualifié de tel ? C’est incompréhensible », a-t-il déclaré.
Epözdemir a souligné que cette décision pourrait réduire considérablement la peine de prison d’Avcı. « Si cette décision est maintenue, Avcı pourrait être libéré dans sept ans. Nous poursuivrons notre combat juridique pour qu’il reçoive une peine juste », a-t-il ajouté.
Le père de Gültekin, Sıddık Gültekin, a également critiqué le jugement, affirmant que la justice n’avait pas été rendue. « Nous ne reconnaissons pas cette décision », a-t-il déclaré au journal BirGün. « Le rapport médico-légal indique clairement qu’elle a été brûlée vive, mais ils affirment que ce n’est pas ‘monstrueux’. Nous sommes indignés. »
« Je me bats depuis des années et maintenant ils rouvrent mes blessures. J’appelle la population à l’aide. Nous avons subi des injustices, mais je n’abandonnerai jamais ce combat », a-t-il ajouté.
Contexte de l’affaire
Pınar Gültekin, qui étudiait l’économie à l’université Sıtkı Koçman de Muğla, dans le sud-ouest de la Turquie, a été portée disparue le 16 juillet 2020, après avoir parlé pour la dernière fois avec sa sœur. Son corps a été découvert cinq jours plus tard dans une zone forestière, où elle avait été brûlée et placée dans un tonneau.
Avcı, l’ancien petit ami de Gültekin, a d’abord nié toute implication, mais a ensuite avoué après que des preuves ont fait surface. Il a admis l’avoir tuée dans sa maison de vigne et avoir tenté de se débarrasser de son corps en le brûlant. Son frère, Mertcan Avcı, a également été arrêté, mais a ensuite été libéré pour être jugé sans détention, accusé de falsification de preuves.
En 2022, la 3e Cour pénale de Muğla a condamné Avcı à 23 ans de prison, après avoir appliqué une réduction de peine en raison d’une « provocation injuste », malgré la demande des procureurs d’une peine de prison à vie aggravée.
Cependant, après appel, le tribunal régional d’Izmir a prononcé une peine de prison à vie aggravée. Cette décision a été annulée par la Cour de cassation.
Réactions des groupes de défense des droits des femmes
La décision de la Cour de cassation a suscité des critiques de la part des organisations de défense des droits des femmes, qui estiment qu’elle crée un précédent dangereux dans un pays aux prises avec des taux élevés de féminicides.
La plateforme Nous stopperons les Féminicides a déclaré : « Selon le tribunal, brûler vive une femme n’est pas monstrueux. Quel genre de provocation justifie un tel meurtre ? » L’organisation s’est engagée à poursuivre son combat contre les « décisions judiciaires misogynes ».
De même, le Conseil des femmes du Parti pour l’égalité des peuples et de a démocratie (DEM) a condamné la décision, la qualifiant de tentative de « légitimer le féminicide et d’exonérer les assassins ».
Selon le rapport 2024 de Bianet sur les violences sexistes, au moins 378 féminicides ont eu lieu en Turquie l’année dernière, en plus de 315 meurtres dont on n’a pas pu déterminer s’ils étaient ou non des féminicides. Les défenseurs des droits des femmes affirment que bon nombre de ces décès étaient également des féminicides, même si les enquêtes omettent souvent de le reconnaître. (Bianet)