IRAN – Dans une lettre envoyée depuis la prison d’Evin, activiste kurde condamnée à mort, Varisheh Moradi déclare que son cas représente une lutte plus large contre la répression de l’État en Iran et ajoute : « Je veux renverser le destin qui se répète toujours. La résistance, c’est la vie » (le célèbre slogan kurde « Berxwedan Jiyan e ».
Dans une lettre envoyée depuis la prison d’Evin à Téhéran, la travailleuse humanitaire iranienne Varisheh Moradi, condamnée à mort, a déclaré que son cas représente une lutte plus large contre la répression de l’État en Iran.
« Pour nous, les femmes combattantes emprisonnées, cette sentence ne concerne pas seulement moi et mes codétenues : elle représente un verdict contre une société entière », écrit Moradi.
Bien qu’elle soit condamnée à mort, la lettre de Moradi suscite une certaine résistance, soulignant le soutien national et international croissant en faveur de l’abolition de la peine de mort en Iran.
Elle a souligné que les récentes frappes au Kurdistan témoignent d’une résistance civile généralisée contre le régime.
« La société nous soutient, et cette solidarité est une expression puissante de la lutte civile en cours contre la tyrannie du régime en Iran », écrit Moradi.
Moradi a été condamnée à mort en novembre par le tribunal révolutionnaire de Téhéran pour « rébellion armée ».
Ses ennuis judiciaires ont commencé le 1er août 2023, lorsque les forces de sécurité du renseignement l’ont enlevée alors qu’elle voyageait de Marivan à Sanandaj.
Selon l’organisation de défense des droits humains, Hengaw, Moradi a subi de graves tortures au centre de détention du département du renseignement de Sanandaj, notamment au cours d’un incident au cours duquel elle aurait vomi du sang et perdu connaissance.
Après avoir passé cinq mois en isolement dans le quartier 209 de la prison d’Evin, contrôlé par le ministère du Renseignement, Moradi a été transférée dans le quartier des femmes en décembre 2023.
Voici sa lettre :
« J’ai été condamnée à mort, et nous aussi. Pour nous, les femmes combattantes emprisonnées, cette sentence ne concerne pas seulement moi et mes codétenues : elle représente un verdict contre toute une société.
C’est le rêve du régime pour nous tous : supprimer (lire : exécuter) toute la communauté. Mais, sans aucun doute, il rencontrera une résistance. Le soutien national et international à l’abolition de la peine de mort s’est accru et nous a apporté un soutien considérable.
Nous n’avons pas cédé aux accusations et aux pressions infondées imposées par l’appareil de sécurité, et nous avons résisté. La société nous soutient, et cette solidarité est une puissante expression de la lutte civile en cours contre la tyrannie du régime en Iran. La récente grève du peuple du Kurdistan est un autre exemple de cette résistance commune, et elle mérite d’être saluée.
En prison, parce que la lutte est active et de première ligne, et parce qu’elle concerne directement tout le monde, les questions de fond prennent naturellement le pas sur des questions comme les appartenances politiques ou nationales, qui occupent une place secondaire. Il s’agit d’une véritable résistance contre les tentatives de marginalisation des questions fondamentales des détenus.
Une résistance remarquable se poursuit contre le déni et la violation des droits humains dans les prisons iraniennes. Nous, les femmes, avons entrepris cette résistance, d’une part en raison de l’oppression aggravée à laquelle nous sommes confrontées dans le système patriarcal et misogyne actuel, et d’autre part en raison de notre détermination inébranlable à obtenir la liberté.
Chaque mardi, la campagne « Non aux exécutions » se déroule dans plusieurs prisons iraniennes, un acte fédérateur qui met en lumière l’essence fondamentale et humaine de notre lutte. Il s’agit d’une revendication collective visant à mettre en avant le droit à la vie et à demander l’abolition de la peine de mort en Iran. Ces « mardis non aux exécutions » représentent la solidarité humaine contre les exécutions commanditées par l’État, qui sont utilisées comme un outil pour instiller la peur et la terreur dans la société.
Cette oppression est le résultat d’un système débridé qui a pour objectif de mener le monde vers la destruction et d’éroder l’essence même de l’humanité. L’humanité, le cœur de notre existence commune, est ce pour quoi nous luttons. Notre lutte n’est pas seulement la nôtre : elle est menée au nom de toute l’humanité, de toute la société et pour la défense de notre nature collective.
En tant que « femmes combattantes emprisonnées », notre rôle nous donne la force de parler des revendications de toute une société. Adopter une position de principe donne aux chercheuses de vérité sociale le pouvoir de lutter pour elle. C’est cette « vie libre » qui doit remplacer la « fausse vie », que nous devons transformer et nous l’avons transformée.
Le système patriarcal qui domine le monde, dans toutes ses dimensions, est fondamentalement en contradiction avec l’essence de l’existence humaine et avec l’humanité elle-même. Il constitue, par essence, un défi à la vie. Nous avons redéfini ce système, nous libérant de ses interprétations sexistes, classistes et dogmatiques, pour nous concentrer plutôt sur la vérité de son existence.
Depuis des millénaires, ce système s’est écarté du chemin de l’humanité, s’attaquant aux femmes – et, par extension, à la vie elle-même – avant de soumettre les hommes et plus tard d’agresser la nature. Le but ultime de ce système ? Le profit maximum. Une cupidité alimentée par un esprit déformé.
Et quelle est la réponse ? Sans aucun doute, la résistance. C’est là que réside le point de divergence : certains s’intègrent au système, cherchent à obtenir leur part et justifient son existence, tandis que les esprits libres et les libertaires s’opposent et tentent de corriger le cours des choses.
Tout au long de l’histoire, ces assoiffés de liberté ont cru en une vie en harmonie avec la nature, mère de toute vie. Ils ont adapté leurs croyances aux conditions de leur époque et au pouvoir auquel ils étaient confrontés, luttant avec détermination pour atteindre leur but ultime : une vie humaine. Une vie bonne, vraie, belle et libre.
Nos prédécesseurs, chacun dans leur domaine intellectuel, ont cherché à définir le problème et à lutter pour le résoudre. Ils ont parfois fait face à l’oppression par la foi, parfois par le raisonnement philosophique, parfois par l’expression littéraire, et parfois par des arguments fondés sur la classe sociale.
Dans tout cela, les femmes ont toujours été présentes, toujours parmi les opprimées, toujours parmi les victimes. Pourtant, elles ont rarement été le sujet central de ces luttes – elles n’étaient qu’une partie périphérique du récit de l’oppression, plutôt que ses principales victimes.
Aujourd’hui, nous avons laissé derrière nous les vieux paradigmes. Nous pensons que le défi le plus crucial de la vie contemporaine est la question du genre à laquelle nous sommes confrontés. Ce n’est qu’une fois que l’inégalité entre les sexes sera résolue que d’autres défis auront une chance d’être relevés. Le système épistémologique dominant s’efforce sans relâche de déformer et de détourner le problème central et d’éviter les vraies solutions. Mais ce siècle est le siècle des femmes, et les femmes ont acquis la force intellectuelle et pratique de lutter pour leurs droits. Les progrès de la technologie et de la science sont également devenus des alliés de tous les combattants de la liberté, y compris les femmes.
Les femmes, armées de nouvelles connaissances scientifiques et d’une volonté forgée par le besoin de libération et de liberté, ont fait des progrès considérables dans la lutte pour l’égalité. Des efforts des femmes penseuses, scientifiques, écrivaines et artistes aux femmes ordinaires qui tentent de vivre dans la dignité et de ne pas être considérées comme des marchandises. Ces gains collectifs constituent une base solide pour faire avancer la liberté.
Les femmes kurdes ne sont pas en reste dans cette lutte. S’appuyant sur leur riche héritage culturel et social, elles ont participé à cette « lutte pour la vie » et ont contribué à enrichir la résistance et la solidarité. Aujourd’hui, les femmes kurdes sont devenues des symboles de la lutte et de l’effort féminins.
Le 26 janvier marque l’anniversaire de la libération de Kobané des forces de l’EI, un événement largement reconnu comme « le début de la fin de l’EI ». L’aube qui a suivi cette obscurité a apporté les premiers rayons de lumière. Les femmes kurdes, au vu et au su du monde, ont participé à cette guerre et ont défié le paradigme patriarcal. Elles sont allées encore plus loin et sont devenues les commandantes du combat. Elles se sont battues comme des phares de lumière et d’espoir contre l’obscurité et l’oppression et ont montré la puissance de la lutte déterminante du siècle – le « défi des femmes ».
J’ai personnellement participé à la guerre de Kobané pendant cette période et j’ai subi des blessures qui me font encore souffrir aujourd’hui. Cette douleur me rappelle constamment le prix que j’ai payé pour l’humanité. Peut-être que cela satisfait un peu ma conscience de savoir que j’ai, dans une certaine mesure, rempli mon devoir envers l’humanité.
Je suis un camarade de ceux qui, après une vie de lutte, ont dit au moment de leur martyre : « Écrivez sur ma pierre tombale que j’ai quitté ce monde en étant encore redevable à mon peuple. » D’eux, j’ai appris que lutter pour la vérité et l’humanité est une dette que chacun de nous doit payer, sans rien attendre en retour.
Chaque fois que la victoire de Kobané est célébrée, la joie et la fierté qui naissent de cette attitude digne renouvellent ma détermination. L’une des accusations portées contre moi aujourd’hui est d’avoir résisté aux ténèbres. Je suis l’ami de ceux qui ont sauvé l’humanité. Cette vérité simple mais profonde met en évidence de quel côté se trouvent ceux qui m’accusent.
Le système patriarcal ne peut tolérer la résistance des femmes, et encore moins leur victoire et leurs célébrations contre une force obscure et anti-humaine. Nous avons été les premières à reconnaître le danger qui menaçait l’humanité et nous y avons fait face sans hésitation, ce qui a permis à l’humanité de remporter une victoire significative. Aujourd’hui, elles cherchent à se venger de leur défaite de diverses manières.
Ce moment est particulièrement significatif car il coïncide avec la conclusion du centenaire des plans conçus pour notre région. Nous sommes les héritiers blessés de Sykes-Picot, les enfants d’un peuple qui a subi jusqu’au plus profond de lui-même l’oppression de Lausanne. Nous avons été pendus à des cordes, tués par toutes sortes d’armes, soumis à des attaques chimiques et avons vécu le génocide dans tous les recoins de notre patrie fragmentée. Et maintenant, accablés par une multitude de problèmes politiques et sociaux, nous sommes entrés dans l’ère de la technologie et de l’intelligence artificielle.
Mais nous sommes résolus à ce que, dans ce siècle, non seulement nous prévenions le génocide physique, mais nous définissions aussi le « génocide culturel » et le combattions de toutes nos forces. « Femme, vie, liberté » est notre slogan et une manifestation symbolique de notre paradigme idéologique – un paradigme qui aborde directement les questions fondamentales du monde et de l’humanité d’aujourd’hui.
Ce paradigme refuse de se limiter aux frontières nationalistes, sexistes ou de classe. Il cherche à aborder les problèmes de manière globale et avec une perspective élargie. De nombreux problèmes étant devenus mondiaux, la mondialisation de la lutte est l’approche la plus logique. Certains problèmes sont communs à toute l’humanité, il est donc naturel que notre combat soit fondé sur des valeurs communes.
Femme, Vie, Liberté reflète les aspirations universelles de la plupart des habitants de cette planète : une vie libre et démocratique. C’est pourquoi le monde soutient les femmes emprisonnées. Le monde, témoin de notre combat pour les valeurs universelles, est à nos côtés. Et nous, à notre tour, continuerons à avancer sur cette voie.
La région est en train de se remodeler. De nombreuses forces dessinent la carte politique et sociale de la région. L’absence de volonté populaire dans cette nouvelle configuration est flagrante. Maintenant que les forces populaires ont gagné en force et sont en mesure de s’exprimer, il faut renforcer ce front : le front de la société et du peuple. La région est empêtrée dans de nombreuses compétitions et conflits, et parallèlement à cela, d’importantes stratégies sont proposées. Il est essentiel que cette lutte passe également par la recherche de solutions aux problèmes sociétaux.
Notre problème n’est pas personnel. Être emprisonné et risquer la peine de mort sur le chemin de la lutte politique et sociale fait partie intégrante du parcours. Par conséquent, nos réflexions et nos actions concernant la résolution des problèmes politiques et sociaux s’inscrivent dans ce contexte.
C’est ainsi que nous donnons un sens à notre vie. Nous quittons le moule individualiste pour nous fondre dans le collectif, en poursuivant un objectif collectif. Le concept de « nation démocratique » est la thèse et la doctrine qui incarnent tous ces objectifs. Dans le cadre de cette solution, les besoins de toutes les personnes et de toutes les classes sociales sont satisfaits. C’est une solution qui profite à tous et ne nuit à personne. C’est la voie par laquelle nous pouvons donner un sens à la vie.
Je crois que la vie ne doit pas être vécue avec un sens ou une transcendance. De nombreux projets visant à donner un sens à la vie ont fait l’objet d’attaques hostiles et les pionniers de ces efforts ont sacrifié leur vie pour atteindre leurs objectifs. Cependant, ces sacrifices n’ont pas instillé la peur mais ont plutôt créé l’espoir de continuer la lutte et la vie. Moi aussi, j’ai emprunté ce chemin et j’ai fait face à ma situation actuelle.
Lors de mon interrogatoire, le même interrogateur qui avait interrogé Farzad Kamangar s’est assis devant moi et m’a dit qu’il y a 15 ans, Farzad était resté assis au même endroit mais n’avait rien pu faire et s’était créé la mort. Je lui ai dit que si je suis assis ici aujourd’hui, c’est le résultat des efforts et de la lutte de Farzad. Farzad, par sa mort, a tracé pour nous le chemin d’une « vie qui a du sens ».
Il nous a redonné la vie. Si un Farzad a été pendu, des centaines d’autres ont suivi son chemin. Car Farzad, Shirin, Farhad, Soran et nous tous croyons que chaque pas sur le chemin de la liberté peut être une épreuve, et qu’en sacrifiant notre vie pour la liberté, nous sortons victorieux de cette épreuve.
Aujourd’hui, je pense plus à notre lutte qu’à ma condamnation, à mon peuple, au peuple et aux jours qui attendent notre région. La lutte est notre préoccupation principale, et notre condamnation n’en est qu’une partie. Le soutien que nous apportons et l’opposition à notre condamnation font partie de la lutte précieuse que l’humanité mène pour une vie humaine, noble, belle, juste et libre.
Sur ce chemin, le principe directeur de ma lutte est le suivant : « Je veux renverser le destin qui se répète toujours dans les pièces tragiques de la vie en faveur de la liberté. Dans cette pièce intitulée Vérité, qui ne peut être achevée que par la lutte, le destin échouera cette fois-ci. »
Femme, vie, liberté
La résistance, c’est la vie
Une prisonnière condamnée à mort –
Quartier pour femmes de Varisheh Moradi, prison d’Evin
28 janvier 2025
Via Iran Wire