MEDIAS. La chaîne de télévision franco-allemande, ARTE, vient de salir son image de chaîne respectable en publiant un documentaire erroné sur le mouvement kurde sous le titre de « Le PKK en Europe – Lutte armée ou terrorisme ». En effet, le documentaire réalisé par la journaliste germano-turque Candan Six-Sasmaz tire à boulet rouge sur le PKK qu’il dépeint comme une organisation terroriste, omettant volontairement qu’il s’agit avant tout d’un mouvement de résistance née en réponse aux massacres et assimilation forcée des millions de Kurdes par l’État colonialiste turc. Une jeune Franco-kurde qui a contacté Kurdistan au féminin accuse ARTE d’être infiltrée par des journalistes à la solde du président Erdogan, tandis qu’un journaliste cité par Medya News écrit que « ce film n’est guère plus qu’une réinterprétation de la ligne officielle et n’aide en rien les personnes qui tentent de comprendre véritablement les courants sous-jacents du PKK et le malaise kurde ».
Voici l’article complet de Medya News:
Le documentaire d’ARTE « Le PKK en Europe – Lutte armée ou terrorisme » [en allemande: Die PKK in Europa – Freiheitskämpfer oder Terroristen?] est vivement condamné pour ses prétendues préjugés, ses inexactitudes historiques et son recours à la propagande d’État, dans cette analyse approfondie, dans laquelle le journaliste spécialisé Emrah Erdoğan soutient que le film déforme l’histoire du PKK, néglige les changements idéologiques clés et renforce les stéréotypes négatifs.
Le documentaire « Le PKK en Europe – Combattants de la liberté ou terroristes ? » de Candan Six-Sasmaz tente de décrire les caractéristiques plus spécifiques du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en prétendant offrir une exploration approfondie de l’organisation, de son contexte historique et de son influence en Europe. Mais il s’agit d’un parfait exemple de propagande étatiste-bourgeoise.
Bien que le film soit basé sur des recherches, l’histoire du PKK et son évolution idéologique ainsi que son rôle dans la lutte kurde sont présentés de manière unilatérale. L’examen des convictions politiques et des antécédents professionnels de la réalisatrice du documentaire, Candan Six-Sasmaz, soulève des questions quant à l’objectivité du film. En particulier, leurs publications sur les réseaux sociaux et leurs liens avec le Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir en Turquie, suggèrent qu’ils n’ont peut-être pas la distance nécessaire pour aborder un sujet aussi sensible que celui du PKK, ce qui soulève la possibilité que le contenu du documentaire ait été façonné par des opinions politiques.
Toutefois, conformément aux principes fondamentaux du journalisme, nous nous abstiendrons de procéder à un examen détaillé des opinions personnelles et du passé de Six-Sasmaz, et nous nous concentrerons plutôt sur l’évaluation du contenu du documentaire lui-même.
La crédibilité du film en tant qu’œuvre journalistique sérieuse est mise à mal par le fait qu’il s’appuie sur des allégations infondées et sur son programme anticommuniste évident. Au lieu de fournir une analyse équilibrée, le film renforce les préjugés et les idées fausses sur le PKK et ne parvient donc pas à fournir une présentation réfléchie de l’organisation et de la question kurde au sens large.
Cette analyse cherche à mettre en lumière les problèmes susmentionnés, en se concentrant particulièrement sur une distorsion de l’histoire kurde, une simplification excessive de l’évolution idéologique du PKK et une représentation discutable de l’organisation dans le contexte des politiques de l’État turc moderne.
Déformation du contexte historique : la fondation du PKK réduite à un récit simpliste
L’un des défauts les plus flagrants du documentaire est sa simplification excessive et sa déformation de la compréhension des origines du PKK. Le film commence par l’histoire de la création de l’organisation par Abdullah Öcalan, le leader fondateur du PKK, en 1979. Non seulement il minimise l’environnement sociopolitique plus large dans lequel le PKK a vu le jour, mais il passe également sous silence les efforts d’un certain nombre d’autres militants kurdes et turcs qui ont joué un rôle déterminant dans sa formation. Dans les années 1970, la Turquie était soumise à une forte répression politique contre les minorités ethniques et les mouvements politiques de gauche. La population kurde était soumise à une discrimination systématique, à des politiques d’assimilation culturelle et à une répression violente de toute forme d’expression politique. Après le coup d’État militaire de 1980, des milliers de dissidents politiques, dont de nombreux Kurdes, ont été arrêtés, torturés et exécutés.
C’est dans cette atmosphère de peur et de répression que le PKK est né, non pas comme le produit d’une ambition individuelle, mais comme une réponse à des décennies de violence étatique et à la lutte du peuple kurde pour l’autodétermination. En ignorant ces faits historiques très importants, le documentaire reconstruit un récit biaisé et dépeint la lutte armée du PKK comme un acte de violence gratuit et irrationnel contre l’État turc. Ce faisant, il justifie encore davantage la représentation que le gouvernement turc fait depuis longtemps du PKK comme une organisation terroriste, ce qui bien sûr omet commodément de mentionner toute trace de la violence et de l’oppression parrainées par l’État qui ont donné naissance au PKK.
De plus, le documentaire présente une image très partiale de la résistance kurde. Par exemple, s’il évoque les attaques du PKK contre des cibles militaires et policières turques, il ne parvient pas à aborder de manière adéquate les graves violations des droits de l’homme commises par l’État turc contre les Kurdes, notamment les massacres, les déplacements forcés et la destruction de villages kurdes. Le film omet notamment le massacre de Dersim de 1937-1938, au cours duquel des milliers de Kurdes ont été tués par l’armée turque et beaucoup d’autres déplacés, ce qui constitue l’un des exemples les plus flagrants de violence étatique contre la population kurde. Cette omission reflète une tendance plus large du documentaire à minimiser ou à ignorer les griefs légitimes qui ont alimenté la résistance kurde au fil des décennies.
L’évolution idéologique du PKK : une vérité qui dérange le documentaire
L’évolution idéologique du PKK est une vérité qui dérange le documentaire. Un autre défaut majeur est qu’il ne montre pas comment le PKK a changé et développé son idéologie au fil des ans. Si le film décrit brièvement les origines marxistes-léninistes du PKK, il passe presque complètement sous silence l’évolution de son idéologie dans les années 1990 pour devenir un mouvement inclusif et démocratique. Ce changement idéologique n’est pas une simple note de bas de page dans l’histoire du PKK ; il constitue une part importante du développement de l’organisation et caractérise ses stratégies politiques et sociales actuelles. Dans ses premières années, le PKK était fortement influencé par la pensée marxiste-léniniste et promouvait un Kurdistan qui serait à la fois indépendant et socialiste. Cependant, avec le changement de paradigme sur la plateforme politique mondiale et les leçons tirées d’une décennie de lutte armée décrite ci-dessus, le PKK a commencé à réévaluer son approche.
C’est dans les années 1990 que le PKK, par l’intermédiaire d’Abdullah Öcalan, a adopté le confédéralisme démocratique, une théorie politique qui met l’accent sur l’autonomie locale, la démocratie populaire, l’égalité des sexes et la durabilité écologique.
Le confédéralisme démocratique est un pas en avant par rapport au cadre marxiste-léniniste du PKK. Il rejette la notion d’État-nation avec un pouvoir centralisé et prône à la place un système dans lequel différentes communautés ethniques et religieuses peuvent cohabiter amicalement sous un même toit politique. Cette nouvelle ligne idéologique a également conduit le PKK à œuvrer pour une solution politique à la question kurde, d’abord par des pourparlers de paix avec le gouvernement turc, puis par des actions pacifiques. Mais l’omission de cette évolution idéologique dans le documentaire n’est rien d’autre qu’une tentative flagrante de présenter une vision simpliste, voire fossilisée, du PKK comme une organisation rigide et dogmatique. En négligeant de montrer les efforts réels du PKK pour s’adapter à l’époque, pour trouver des solutions politiques et pour agir en conséquence, le documentaire continue d’ajouter l’insulte à l’injure pour dénigrer la lutte kurde, échouant ainsi à servir son public.
L’anticommunisme comme instrument brutal : renforcer les stéréotypes négatifs
Mais l’aspect le plus problématique du documentaire est peut-être la manière dont il tente de discréditer le PKK par le biais d’une rhétorique anticommuniste. Tout au long du film, les racines ouvertement marxistes du PKK sont soulignées à plusieurs reprises, ce qui implique qu’il existe une idéologie intrinsèquement dangereuse et extrême au sein de l’organisation. Une telle tactique est intellectuellement paresseuse et joue sur la peur du communisme de la guerre froide, qui n’a que peu de pertinence dans le paysage politique moderne.
Le problème est que le documentaire utilise l’anticommunisme comme arme pour délégitimer complètement le PKK, en ignorant la position idéologique actuelle de l’organisation. Comme indiqué ci-dessus, l’adhésion du PKK au confédéralisme démocratique fait référence à des valeurs telles que l’égalité des sexes, la durabilité environnementale et la démocratie populaire, des valeurs qui plaisent à de nombreux mouvements progressistes dans le monde. En se concentrant sur le passé marxiste du PKK, le documentaire cherche à saper ces valeurs et à renforcer les stéréotypes négatifs sur l’organisation.
Ce parti pris anticommuniste est encore renforcé par la manière dont le documentaire dépeint les partisans et sympathisants du PKK. Le film établit un lien unilatéral entre tout soutien aux objectifs du PKK ou toute déclaration de solidarité avec la lutte kurde et une idéologie extrêmement dangereuse et extrémiste. La culpabilité par association est non seulement une tactique injuste mais, plus important encore, un autre moyen efficace de museler les expressions politiques valables et les voix dissidentes.
Il est également clair que l’agenda anticommuniste du documentaire est en partie représenté par les interviews et les sources. Les personnes qui apparaissent dans le film sont identifiées comme des voix anticommunistes bien connues, tandis que les voix ayant une vision plus nuancée, voire même sympathique, du PKK sont laissées de côté ou au mieux marginalisées. Cela en soi sape la crédibilité du documentaire en remettant en question les motivations qui ont présidé à sa construction.
Allégations non fondées : manque de preuves et de crédibilité
Le plus grand point faible de ce documentaire est peut-être le manque de documents pour étayer ces allégations. Parmi les autres accusations graves portées contre le PKK dans ce film figurent celles de trafic de drogue, de recrutement d’enfants soldats et de liens avec le terrorisme international. En fait, ces allégations reposent sur des témoignages peu fiables, faits par des soi-disant « initiés » dont les références n’ont pas été suffisamment vérifiées.
Le traitement insatisfaisant de ces allégations dans le documentaire est profondément problématique d’un point de vue journalistique. Dans toute enquête sérieuse, et encore plus lorsqu’elle porte sur des questions sensibles et complexes, il faut des preuves vérifiables pour étayer toute accusation.
Dans ce documentaire, le spectateur est simplement censé prendre ces accusations au pied de la lettre, sans vraiment les analyser ni les corroborer. Par exemple, le documentaire répète à l’envi que le PKK est impliqué dans le trafic de drogue, une accusation qui fait partie du discours de l’État turc depuis des décennies. Cependant, il n’apporte pas la moindre preuve concrète pour étayer cette affirmation, s’appuyant plutôt sur des « sources » anonymes et des allégations vagues.
Outre ce manque de rigueur journalistique, le documentaire présente une histoire à sens unique qui sert les intérêts de l’État turc plutôt que l’analyse indépendante. La présentation du recrutement présumé d’enfants soldats par le PKK est également très inexacte dans le documentaire. S’il est vrai que des mineurs ont rejoint les rangs du PKK, dans la plupart des cas pour fuir la violence ou chercher une protection, l’organisation a nié avoir jamais autorisé des enfants à participer à des combats armés. Cependant, le documentaire fait écho au récit de l’État, en se concentrant sur les témoignages émotionnels des parents, la plupart du temps sortis de leur contexte, pour tenter de démontrer l’exploitation systématique des enfants par le PKK.
Mais un tel sensationnalisme ne sert qu’à déformer la réalité et détourne l’attention d’une réflexion plus significative sur les défis auxquels sont confrontées les communautés kurdes dans les zones de conflit.
Le recours massif à des allégations non vérifiées et l’incapacité à accorder un poids égal à chaque version de l’histoire en disent long sur les graves problèmes éthiques de ce documentaire. En présentant de telles allégations sans aucune analyse critique ni preuve, le film parle en réalité de propagande d’État, renforçant les stéréotypes négatifs sur le PKK et la lutte kurde. Le manque d’intégrité journalistique est un mauvais service rendu au public, mais compromet également l’objectif plus large de promouvoir la compréhension et le dialogue sur des questions politiques complexes.
Le timing du documentaire et ses implications politiques
La sortie du documentaire intervient à un moment critique, alors que l’incursion militaire turque dans la région du Kurdistan irakien continue de s’intensifier, donnant lieu à de nombreuses accusations de crimes de guerre, notamment le meurtre de journalistes, l’incendie de forêts et le déplacement forcé de villageois. Ce contexte est crucial pour comprendre l’impact potentiel du documentaire, qui peut servir à justifier ou à occulter ces violations des droits de l’homme en cours.
En présentant un récit qui vilipende le PKK et, par extension, la résistance kurde dans son ensemble, le documentaire risque de renforcer la justification donnée par l’État turc à ses actions militaires en Irak et en Syrie. Cela est particulièrement préoccupant compte tenu des implications géopolitiques plus vastes des actions de la Turquie, notamment son rôle dans la déstabilisation de la région et sa posture de plus en plus agressive envers ces mêmes forces kurdes qui ont joué un rôle si important dans la lutte contre l’EI.
Conclusion : une occasion manquée pour un journalisme objectif
En fin de compte, le documentaire (…) est loin d’être à la hauteur de l’idéal d’un journalisme objectif. Le film déforme l’histoire du PKK, ignore son évolution idéologique, se fonde sur une rhétorique anticommuniste et s’appuie sur des rumeurs. Au lieu de permettre une véritable compréhension du PKK et de la lutte des Kurdes, le documentaire ne fait que renforcer les préjugés et les malentendus et contribue ainsi à la diabolisation du mouvement de libération kurde. Ce film n’est guère plus qu’une réinterprétation de la ligne officielle et n’aide en rien les personnes qui tentent de comprendre véritablement les courants sous-jacents du PKK et le malaise kurde.
Il faut aller au-delà de ces représentations partiales et adopter des points de vue plus équilibrés et éclairés, qui représentent l’ensemble des facteurs historiques, politiques et sociaux en jeu. C’est seulement à cette condition que l’on pourra parvenir à une compréhension juste et équitable de la lutte kurde et de la place qu’y occupe le PKK.