PARIS – Zekeriya Çelikbilek, un des agents turcs condamnés récemment en Belgique pour des projets d’assassinats de deux militants kurdes, mais aussi soupçonné d’avoir participé à l’assassinat de 3 femmes kurdes à Paris en janvier 2013, vit librement en France. Les journalistes Guillaume Perrier et Laure Marchand ont trouvé sa trace à Reims, en Champagne-Ardenne. Le titre « La France couvre-t-elle les crimes des services turcs ?« de leur article publié sur le site Le Point est en réalité une confirmation: Sans la complicité de l’État français avec les agents turcs impliqués dans des projets d’assassinats ou soupçonnés d’assassinat de militants kurdes en Europe, ne peuvent vivre librement en France.
Avant même qu’on retrouve les traces de cet homme à Reims, les militants kurdes dénonçaient la raison d’État bloquant l’avancement de l’affaire du meurtre de trois femmes kurdes par un espion turc le 9 janvier 2013 à Paris. Cet énième rebondissement ne fait que confirmer leurs dires selon lesquels, dès le début de l’assassinat de Paris, la France s’est rangée du côté de l’État turc (en échange de quoi on ne sait pas) contre les militants du mouvement de libération kurde installés en Europe et qui se retrouvent sur la liste des personnes à abattre dressée par les services secrets turcs (MIT).
Affaire de condamnation des agents turcs en Belgique
Récemment, la cour d’appel de Bruxelles a condamné par contumace deux membres d’un commando turc chargé d’assassiner des hommes politiques kurdes à Bruxelles. La tentative d’assassinat qui remonte à 2017 visait deux représentants du Congrès national du Kurdistan (KNK), Remzi Kartal et Zubeyir Aydar résidant en Belgique.
En 2017, une opération de la police belge a révélé un complot d’assassinat contre des militants kurdes dirigé par une équipe comprenant Zekeriya Çelikbilek, un ancien officier militaire turc et citoyen français ; Yakup Koç, qui a été retrouvé avec une carte d’identité de la police turque ; et Hacı Akkulak, un Kurde vivant en Belgique.
Remi Kartal et Zubeyir Aydar sont des militants actifs du KNK (Conseil National du Kurdistan) qui vivent en Belgique depuis plusieurs décennies. Ils figurent sur la liste rouge du régime turc. En 2017, la Turquie envoie Zekeriya C et Yakup K (un agent des services secrets turcs – MIT, ancien policier du service politique de la police d’Istanbul et ancien responsable de la sécurité de l’ambassade turque à Paris) préparer leur assassinat. Yakup K et Zekeriya C prennent contact avec un ouvrier kurde par l’intermédiaire de son employeur turc. Estimant que l’ouvrier kurde aura plus facilement accès aux cibles, ils espèrent le recruter comme exécutant contre une récompense mais Haci A décide d’informer les futures victimes. Celles-ci préviennent la police belge qui suit à la trace les préparatifs de l’attentat. En juin 2017, les deux agents et Haci A effectuent une reconnaissance devant les bureaux du KNK à Saint-Gilles (Bruxelles). Par ailleurs, il est établi que la plan prévoyait notamment l’utilisation d’une moto pour les meurtres qui serait ensuite cachée dans une camionnette.
Arrêtés avant d’avoir pu concrétiser leur action, Zekeriya C et Yakup K sont acquittés en première instance. Ils peuvent ainsi quitter le territoire belge avant d’être condamnés par contumace le mois dernier à 5 ans de prison en appel. Zekeriya C et Yakup K faisait partie d’un groupe d’environ 5 personnes en France qui recueillent des renseignements sur les personnalités kurdes. Ce groupe est probablement liée à l’assassinat en 2013 à Paris de Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Soylemez, 3 militantes kurdes.
Bien que Çelikbilek et Koç aient déjà quitté la Belgique au moment d’une opération policière ultérieure, leurs liens avec des responsables de l’État turc ont été suggérés par des photographies, notamment celles de Çelikbilek avec Ismail Hakki Musa, (l’ancien) ambassadeur de Turquie en France et au palais présidentiel turc.
Les révélations faites en Belgique pourraient ainsi relancer l’instruction dans l’affaire de l’assassinat des trois militantes kurdes à Paris en 2013, malgré la mort du principal suspect dans cette affaire, un homme du nom d’Ömer Güney qui se revendiquait également des Loups gris. Depuis plus de 11 ans, les représentants de la communauté kurde de France exigent des autorités françaises la levée du secret-défense afin que toute la lumière soit faite sur le triple assassinat. En décembre 2022, quelques semaines avant le dixième anniversaire des assassinats de 2013, trois autres militants kurdes ont été tués dans une attaque contre le siège du Conseil démocratique kurde en France (CDK-F) à Paris.
Les assassinats politiques de 9 janvier 2013 à Paris
Le 9 janvier 2013, trois militantes kurdes, Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez, ont été froidement assassinées, en plein jour, au coeur de Paris, par un agent du service de renseignement turc (MIT).
Plus d’onze ans après ce triple assassinat politique commis sur le sol français, les Kurdes de France vivent avec le sentiment d’impunité qui règne, le sentiment que la France cherche à jeter aux oubliettes ce crime politique, comme tant d’autres qui jalonnent son histoire contemporaine. Le lendemain du massacre, le ministre de l’intérieur de l’époque a paradé sur les lieux du crime et signifié aux médias l’engagement de la France à faire toute la lumière sur cette affaire. Pourtant, malgré toutes les preuves récoltées au fils des années qui ont suivi cet assassinat impliquant les services secrets turcs, la France a tout fait pour empêcher que la justice soit rendue aux Kurdes.
Les militants kurdes soulignent qu’au delà d’une simple affaire judiciaire, il s’agit là d’un crime terroriste dans lequel sont impliqués les services d’un État étranger (turc), comme le confirme le réquisitoire du Procureur de la République : « de nombreux éléments de la procédure permettent de suspecter l’implication du MIT dans l’instigation et la préparation des assassinats. »
Après les récentes attaques des Loups Gris ciblant la communauté kurde de Belgique à l’occasion du Newroz (nouvel-an kurde célébré le 21 mars) et les rebondissements liés aux condamnations pour projets de meurtres de militants kurdes montés par des agents turcs en Belgique, les Kurdes de l’Europe se sentent sacrifiés par les États où ils ont trouvé refuge au profit du régime turc qui commet des crimes de guerre dans plusieurs parties du Kurdistan (Rojava, Bashur, Shengal…).