En 2009, Murat Durmaz devient maire d’Özalp, un district de la province kurde de Van. En 2012, alors qu’il est maire, ses services et tous ses activités démocratiques sont criminalisées et il est arrêté sous l’inculpation d’organisation terroriste, comme centaines d’autres maires et élus. Après avoir passé un an en prison, il a repris ses fonctions de maire. Ensuite sa Mairie a été réquisitionné comme d’autres mairies kurdes. En raison des procès intentés contre lui, il a été exilé en France à cause de 12 ans de procès finalisés et de procès en cours. Il est aussi connu par ses romans et peintures en Turquie. Ces trois romans ne sont pas encore traduits. (Via la Fondation Danielle Mitterrand)
Son témoignage a été partagé le 13 janvier lors du rassemblement pour la paix organisé à Marseille
En ces jours où la guerre nous est imposée et où les voix de paix sont réduites au silence, j’aimerais vous remercier d’avoir organisé cet événement pour la paix. En Turquie, la lutte pour une solution démocratique et pacifique à la question kurde dure depuis des décennies. Les kurdes veulent la paix, pas la guerre. À l’heure où la guerre nous est imposée, votre voix qui s’élève depuis l’Europe donnera une grande force aux peuples pacifiques de Turquie. Comme des centaines de députés et de maires kurdes victimes de ces politiques de guerre, je continue à me battre pour la paix. C’est pour ça que je suis ici aujourd’hui.
En 2009, j’ai été élu maire de la ville d’Özalp. Il n’y avait aucune infrastructure. Il n’y avait pas d’eau. Il n’y avait aucun espace vert. Les rues étaient plongées dans l’obscurité. En fait, il n’y avait rien, même la municipalité ne possédait pas d’équipement. Nous avons surmonté toutes ces difficultés par notre modèle de gouvernance transparente. Ensemble, nous avons accompli la transformation que l’on disait impossible. Par exemple, nous avons supprimé les collines dans le centre du district, nous avons valorisé près de 200 hectares de terres, nous avons acheté du matériel de construction, nous avons résolu les problèmes d’infrastructures et d’eau potable. Nous avons amené des dizaines de milliers d’arbres et de lampadaires. Nous avons créé des services quasi révolutionnaires. Avec notre modèle d’auto-gestion, nous avons revendiqué nos droits culturels. Nous avons donné de l’importance aux droits des femmes et à l’équilibre écologique, et nous avons réussi. En accordant de l’importance aux droits des femmes et à l’équilibre écologique, nous avons réussi.
Un proverbe kurde dit : derde dıleki jı bare deh milan girantıre.
Cela signifie : Un tourment dans ton coeur est plus lourd que dix fardeaux sur ton dos.
La ville dont j’étais maire était un district vieux de 65 ans, et nous avons pris sur nos épaules le fardeau de 65 ans de travail inaccompli. Nous avons travaillé et nous avons réussi. Mais notre amour pour la paix est resté dans nos cœurs. Nous avons été arrêté·es. Et nous continuons d’être arrêté·es et poursuivi·es pour terrorisme. Bien que le mandat d’un maire en Turquie soit de 5 ans, j’ai exercé pendant 4 ans. Mes ami.es après moi on siégé deux ans. Après la dernière élection, mes autres ami.es n’ont siégé que quatre mois. Au cours de la dernière décennie, près d’une centaine de nos maires ont été arrêtés et remplacés par des tuteurs. Neuf de nos députés nationaux ont été arrêtés et trente-huit ont été détenus. Près de trente mille membres de notre parti ont été arrêtés et nombre d’entre elles et eux ont été exilés. Malgré toutes ces injustices, nous appelons toujours à la paix.
Il n’y a aucun parti dans le monde qui a été dissous huit fois et qui ne décide néanmoins de continuer à appeler à la paix. Par le passé, des dizaines de milliers de personnes ont été arrêtées et tuées. Il y a eu 17 000 meurtres non résolus en Turquie dans les années quatre-vingt-dix. Nos proches ont été jetés dans des puits d’acide. Ils ont été enterrés dans des fosses communes. Des centaines de personnes sont mortes sous la torture, ce qui est un crime contre l’humanité, et nous luttons encore pour la paix.
Quand j’étais maire, j’ai été accusé à tort de terrorisme. J’ai été arrêté et emprisonné pendant un an. Ils m’ont condamné à 10 ans de prison et j’ai dû trouver refuge dans votre pays. Nous avons été arrêtés pour avoir voulu la paix, pour avoir été libertaires, féministes et écologistes, pour avoir défendu la liberté de pensée, pour avoir inclus des organisations de la société civile dans les décisions de nos municipalités. Et ils ont laissé derrière eux leurs propres hommes, comme tuteurs à notre place. Ils ont usurpé la volonté du peuple. Ils ont vu que nous nous gouvernions nous-mêmes et que nous avions beaucoup de succès, et ils ne voulaient pas de cela.
Et pourquoi ne veulent-ils pas cela ? Parce qu’ils ne veulent pas que les Kurdes existent. Un proverbe dit : « Si vous voulez détruire un pays, commencez par sa langue maternelle ». Ils ne veulent pas que nous vivions avec nos droits culturels. Ils veulent nous assimiler. Et nous sommes au parlement turc avec nos députés. Nous nous battons pour cela avec nos maires et les membres de nos partis. C’est pourquoi nous sommes arrêtés. Et c’est pourquoi nous sommes exilés.
Je vais maintenant vous montrer une photo, merci de la regarder attentivement. Le fils de la mère qui se tient à ma droite a été tué alors qu’il servait dans l’armée. Le fils de la mère à ma gauche a été tué alors qu’il était guérillero dans les montagnes. Cette photo a été prise quand j’étais maire, c’était la journée des femmes. Je leur ai offert des foulards blancs, car dans la culture kurde, le foulard blanc est un symbole de paix. Les enfants décédés des deux mères étaient mes camarades de classe. Je voulais réunir ces mères et mettre en lumière la paix. Mais deux semaines plus tard, j’ai été arrêtée. Même les services que nous avons rendus dans notre municipalité ont été considérés comme un crime.
Nous avons ouvert un centre d’aide à l’éducation et préparé les étudiants et les étudiantes à l’université. Beaucoup d’entre eux et elles sont devenus médecins. Beaucoup d’entre eux et elles sont devenus enseignantes et enseignants. Beaucoup d’entre eux et elles sont devenus avocats et avocates. Même cela a été considéré comme un crime et ils nous ont accusés de terrorisme et nous ont punis. Les gens meurent et sont arrêtés. Nous n’avons aucune nouvelle de M. Abdullah Öcalan. Ils veulent vraiment empêcher tout le travail démocratique que nous faisons et nous forcer à entrer en guerre. Le fait de ne pas avoir de nouvelles de M. Öcalan suscite une grande inquiétude. Cela fait en fait partie intégrante de la politique de guerre. Des grèves de la faim ont commencé dans les prisons. Les représentants du gouvernement veulent maintenir cette situations en imposant des politiques de guerre.
Mais les Kurdes ne veulent pas la guerre. Les Kurdes veulent la paix. Les Kurdes veulent la justice. Ce n’est que dans un tel environnement qu’une municipalité écologique, démocratique et féministe est possible.
Là où il y a la guerre, ces choses n’ont pas de sens. Parce que les gens meurent. Nous nous battons pour mettre fin à cette violence, à cette injustice.
Je vous invite à rejoindre cette lutte. Si nous nous donnons la main, nous pourrons faire entendre notre voix et parvenir à la paix.
Murat Durmaz