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Il y a 13 ans, le régime iranien exécutait 5 prisonniers politiques kurdes dans la prison d’Evin

IRAN / ROJHILAT – Le 9 mai 2010, le régime iranien a exécuté 5 Kurdes, dont 4 enseignants et une révolutionnaire accusé.s de « moharebeh » (« inimitié envers Dieu »). Il s’agissait de Shirin Alamhouli (une femme), Farzad Kamangar, Ali Heidarian, Farhad Vakili et Mehdi Eslamian. Les quatre premiers étaient accusés d’être membres du PJAK (un mouvement armée kurde du Rojhilat, le Kurdistan iranien). Le cinquième, d’être un membre du mouvement pro-monarchie « Assemblée du Royaume d’Iran ».

Shirin Elemhuli était une activiste et une révolutionnaire. Kemanger, Heyderiyan, Eslamiyan et Wekili étaient des enseignants. Il n’y avait aucune preuve tangible contre eux, mais il a fallu quelques minutes pour prendre la décision de les exécuter.
 
Comme beaucoup d’autres prisonniers politiques, ils ont été accusés d’être des « ennemis d’Allah ». L’opposition au régime iranien est interprétée par le régime comme « opposition à Allah ». Le régime s’identifie à « Allah ».
 
Le matin du 9 mai 2010, cinq prisonniers ont été exécutés à la prison d’Evin. (Depuis, il y a eu des milliers d’exécutions politiques que le régime utilise pour mater la population alors que la révolution « jin, jiyan, azadî » « femme, vie, liberté ») provoquée par le meurtre de la jeune Kurde Jina Mahsa Amini, à Téhéran en septembre 2022, à cause d’un voile « inapproprié » semble en mesure de chasser les mollahs du pouvoir.)
 
 
Au moment de sa pendaison, Elemhuli avait 28 ans. Dans la lettre qu’elle a écrite quelques jours avant son exécution, elle a souligné l’illégalité de cette décision et a déclaré qu’il s’agissait d’une décision politique.

 

« Aujourd’hui, le 2 mai 2010, ils m’ont ramené à l’interrogatoire … », ainsi commence la lettre.
 
« L’un des interrogateurs m’a dit : « Nous vous avons laissé partir l’année dernière, mais votre famille n’a pas coopéré avec nous. » En d’autres termes, je suis retenue en otage et ils ne me laisseront pas partir tant qu’ils n’auront pas ce qu’ils veulent, ce qui signifie qu’ils me garderont comme prisonnière ou qu’ils me pendront, mais ils ne me laisseront jamais partir».
 
Cette lettre a été écrite quatre jours avant son exécution. En parlant des trois années qu’elle a passées en prison, Elemhuli a remarqué qu’on ne lui avait même pas donné la permission d’avoir un avocat pour la défendre. Le résumé de sa vie en prison pourrait être dit en deux mots : « Torture et cruauté ».
 
Elemhuli qui a vécu des jours de torture, a écrit : « J’ai traversé des jours de souffrance dans les mains des forces militaires. Pourquoi m’ont-ils arrêtée ou pourquoi me pendraient-ils ? Parce que je suis kurde ? Je suis née kurde et parce que je suis kurde j’ai été torturée et battue ».
 
Les autorités iraniennes voulaient qu’Elemhuli nie sa kurdicité. La réponse d’Elemhuli était claire : « Si je fais quelque chose comme ça, je vais fondamentalement renier moi même. Ma langue est le kurde. J’ai grandi en parlant le kurde. Mais ils ne me permettent pas de parler ou d’écrire dans ma propre langue ».
 
Comme Elemhuli s’est adressée au procureur et au juge. Elle a souligné l’illégalité de tout le processus : «Comme je ne connais pas bien le persan, vous avez pris mes déclarations dans ma propre langue et vous ne pouvez pas comprendre ce que je vous ai dit. »
 
La lettre continue ainsi :
 
« La torture que vous m’avez infligée est le cauchemar de mes nuits, les peines et les souffrances de mes jours … Je souffre de maux de tête dus aux coups reçus lors de l’interrogatoire … Il y a des jours où je tombe tout simplement inconsciente. Je n’arrive pas à comprendre ce qui se passe autour de moi et je ne peux pas revenir à la raison pendant des heures … Un autre cadeau que vous m’avez donné à la suite de la torture est que j’ai presque entièrement perdu la vue. Vous ne m’avez donné aucun traitement.
 
Je sais que ce que vous avez fait à moi et à ma famille n’est pas seulement fait pour nous. Vous avez essayé ces tortures sur Zeyneb Jalaliyan, Rûnak Sefazade et beaucoup d’autres jeunes kurdes … Depuis des jours, des mères kurdes attendent leurs enfants. Chaque fois que le téléphone sonne, ils ont peur de penser à de mauvaises nouvelles : « est-ce qu’ils ont été pendus », se demandent-ils ?
 
Bien longtemps après, quelques jours avant le 2 mai 2010, ils m’ont de nouveau emmenée à la division 209 de la prison d’Evin pour l’interrogatoire et ont répété leurs allégations sans fondement. Ils voulaient que je coopère avec eux et ils ont dit qu’ils annuleraient la peine de mort. C’était inutile. C’est pourquoi je n’avais rien à dire sauf ce que j’ai dit devant le tribunal. À la fin, ils voulaient que je répète ce qu’ils ont dit devant les caméras. Mais je ne l’ai pas accepté. Alors ils ont dit : « Nous sommes arrivés à ce point parce que nous voulions vous aider, mais votre famille ne nous a pas aidés ». L’officiel a dit qu’ils m’exécuteraient alors. »
 

 

Ferzad Kemanger avait également écrit une lettre près d’un mois avant son exécution dans laquelle il disait espérer que les discriminations étatiques imposées aux Kurdes d’Iran prendraient fin. Voici sa lettre :

« Le but de cette lettre n’est pas d’insister sur les problèmes des kurdes et de nier les inégalités existant chez les Baloutches, les Turcs, les Persans et les Arabes. En faisant preuve de sympathie pour eux, en se comportant en camarades, on les considère comme des minorités religieuses ou ethniques et on reconnaît ainsi leurs souffrances. Nous aussi faisons partie du peuple.

L’histoire kurde, c’est l’histoire d’une femme qui n’obtient de son mariage qu’insultes et coups. Lorsque l’on demande à son mari : « Vous qui ne subvenez pas à ses besoins, et qui ne lui donnez aucune preuve d’amour, pourquoi la battez-vous et l’humiliez-vous au quotidien ? ». Celui-ci répond : « Si je ne le fais pas, comment savoir que je suis son mari ? »

Voici maintenant notre histoire. Dans le discours politique iranien, les mots Kurdes et Kurdistan signifient malheureusement séparatisme. Ils ont des connotations antirévolutionnaires et contraires à la sécurité régionale, comme si ces mots étaient des invités non désirés et n’avaient aucune affinité avec l’Iran.

La province du Kurdistan est devenue la base de certains malheurs. Le peuple kurde est privé de beaucoup de droits élémentaires, économiques, sociaux et culturels. Le sous-développement historique de la province a engendré la pauvreté, le chômage et la désillusion du peuple kurde.

Bien que les Kurdes, patriotes et aimables, aient opté pour une vie paisible en Iran et n’aient revendiqué que leurs droits basiques, la seule réponse à leurs demandes légitimes a été l’augmentation des arrestations politiques et civiles, l’exil et les exécutions. Voici le résultat de la perception négative et des préjugés habituels contre le peuple kurde.

La présence de minorités ethniques en Iran et dans le reste du monde n’est pas un nouveau phénomène. La pluralité ethnique, raciale et culturelle dans la société est une arme à double tranchant. Quand une région se développe et que des relations justes et égalitaires existent en son sein, la cohabitation des diverses ethnies n’est, non seulement plus un problème, mais c’est aussi une richesse culturelle pour cette société. Elle augment la tolérance et réduit les dogmes culturelles et l’étroitesse d’esprit. Aujourd’hui, à l’heure de la globalisation, où beaucoup de sociétés se sentent menacées par l’ombre de la monotonie culturelle, le multiculturalisme est un don qui doit être protégé et chéri.

Dans le même temps, quand les dirigeants d’une société ne prêtent aucune attention aux besoins et droits légitimes des minorités, il est inévitable que cela engendre d’importantes conséquences. L’un des droits fondamentaux auquel tout Iranien, Kurde ou pas, a droit, est la citoyenneté. Il s’oppose à l’isolement et à l’exclusion, deux sentiments qui proviennent de l’influence des réalités tangibles de la vie quotidienne, de la pauvreté à la lueur qui s’éteint dans les yeux d’un enfant famélique, du père embarrassé par ses poches vides à la table vide du dîner familial, jusqu’aux joues pâles et au regard miséreux d’une mère.

L’isolement vient d’une approche centralisatrice et sépare les problèmes et besoins du peuple kurde (la population marginale) de ceux des populations des régions centrales.

Bien sûr, les sentiments d’exclusion, d’isolement et d’aliénation ne se limitent pas aux minorités ethniques quand le sous-développement et la mauvaise gestion dominent la société. Ces sentiments affectent plus ou moins tous les membres de la société. Mais, en raison des inégalités structurelles, ils ont des implications plus profondes pour les minorités.

Ce ressenti provoque, dans tous les groupes, de la tension et des troubles, particulièrement en cas de pauvreté culturelle, conséquence de la pauvreté économique. Pourquoi ne pas oublier pour une fois l’approche sécuritaire pour s’occuper des problèmes élémentaires du peuple ? On pourrait ainsi les résoudre une bonne fois pour toutes. Mais il y a d’autres soucis.

N’existe-t-il pas d’autre solution civique pour combattre la contrebande que de tirer ou de tuer ? Si les besoins matériels de base sont remplis, un jeune risquerait-il sa vie pour faire passer en contrebande une boîte de thé ou quelques rouleaux de tissu ? Suivant la même politique aux critères doubles, l’approche sécuritaire mise en œuvre contre les prisonniers politiques et civils kurdes est sévère.

Les Kurdes doivent-ils continuer à porter l’étiquette de minorité ethnique y compris en prison, dans les châtiments, ressentir ces sentiments sombres d’isolement et d’exclusion ? Existe-t-il vraiment une différence entre un prisonnier kurde et un non kurde pour que le premier soit privé de nombreux droits reconnus par la loi comme l’accès à un avocat, la libération conditionnelle, la réduction de peine, l’amnistie ou la liberté ? Pourquoi, alors que la clémence a fait son apparition pour les prisonniers politiques de Téhéran et de quelques autres grandes villes (c’est-à-dire qu’ils sont libérés, ce qui est une grande source de joie et je souhaite que cela continue), l’attitude sévère et dure envers les prisonniers kurdes persiste-t-elle ? Au lieu d’essayer de résoudre les problèmes, la politique générale (du gouvernement) continue de tourner autour de la répression et des exécutions.

Malheureusement, certains utilisent la situation géographique de la province du Kurdistan comme prétexte pour justifier l’approche sécuritaire. Le régime continue sa répression des prisonniers politiques et des civils. Il exécute des personnes qui sont essentiellement des otages et des boucs-émissaires plus que des prisonniers purgeant une peine pour un crime commis.

Combien de temps cette vue sécuritaire perdurera-t-elle alors qu’elle a causé malheurs et divergences dans la jeunesse kurde ?

La population kurde victime a choisi la méthode la plus raisonnable pour résoudre ses problèmes : une vie non-violente. L’approche sécuritaire des Kurdes et du Kurdistan (par le gouvernement) ne sous-entend-elle pas que le peuple kurde est séparé de l’Iran et des Iraniens et qu’il doit par conséquent être traité comme des non Iraniens ? Je souhaite vraiment que cela cesse car, dans le cas contraire, cela engendrera de la violence, une conséquence qu’aucun esprit sain ne veut accepter.

J’espère la fin du traitement [discriminatoire] des prisonniers kurdes. En considérant de la même façon tous les prisonniers, on avancera (même si ce n’est qu’un petit pas) dans la résolution des problèmes de la région. J’espère vivement que l’histoire des Kurdes ne ressemblera pas à celle de cette femme dont le mariage se résume aux maltraitances quotidiennes que son mari lui inflige. »

Farzad Kamangar
Prison d’Evin, 10 avril 2010