TURQUIE – En vingt ans de règne, le dirigeant turc Erdogan a eu le temps de bâtir un pouvoir sans partage, tout en évinçant ses compagnons de route (dont son mentor Fethullah Gülen) à mesure qu’il s’entourait de nouveaux laqués plus serviles que les précédents. Tout en dirigeant le pays d’une main de fer et en étouffant les voix critiques à l’intérieur du pays, il a décidé de ressusciter le cadavre de l’empire ottoman et parti à la reconquête des colonies perdues en priorisant les dépenses militaires au détriment du bien-être de son peuple.
A partir des années 2010, il a envahi le nord-ouest de la Syrie en profitant de la guerre civile syrienne, installé des centaines de bases militaires au Kurdistan irakien, dévasté plusieurs villes kurdes de « Turquie » quand il a perdu la majorité absolue aux élections de juin 2015, formé une coalition avec l’extrême-droite turque MHP, jeté en prison des dizaines de milliers de membres et partisans du parti politique HDP, renforcé l’islam politique des Frères-Musulmans au détriment des droits des femmes, tenu un langage anti-occidental, utilisé les réfugiés syriens comme un moyen de chantage contre l’Europe, s’est allié au président russe Poutine au nez et à la barbe des Etats-Unis et de l’OTAN dont la Turquie est membre, envoyé des mercenaires islamistes en Lybie, proféré des menaces envers ses voisins grecs et arméniens…
Erdogan a eu les yeux plus gros que le ventre et son règne à commencé à vaciller avec la dégringolade de l’économie turque. La société turque qui ne disait pas grand-chose quand les guerres d’Erdogan faisaient des victimes chez les « peuples ennemis », est devenu enfin mécontente du sultan à mesure que la pauvreté et l’inflation l’étranglaient. Mais Erdogan était décidé à rester au pouvoir coûte que coûte et personne n’était capable de prédire l’issus des élections présidentielles et législatives prévues en mai 2023. Il a fallu un tremblement de terre sur une des failles sismiques les plus dangereuses du pays pour que vacille enfin le système Erdogan.
Le 6 février 2023, un séisme d’une magnitude de 7,8 a frappé le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie. Des dizaines de villes ont été ensevelies sous les décombres des immeubles qui se sont écroulés comme des châteaux de carte, tuant des centaines de milliers personnes et laissant sans toit des millions d’autres des deux côtés des frontières turco-syriennes. L’État n’est pas intervenu rapidement pour secourir les sinistrés. La société civile s’est mobilisée en masse pour venir en aide aux rescapés tandis que les recherches des survivants sous les décombres ont été insuffisantes, à tel point qu’on dit que le gouvernement turc a délibérément laissé mourir les gens piégés dans leurs immeubles cercueils. Les survivants sont abandonnés dans le froid, même les tentes arrivent à compte goutte. Ce séisme et sa (non) gestion fut la dernière goûte qui a fait déborder le vase.
Aujourd’hui, les citoyens turcs tirent à boulets rouges sur Erdogan, notamment pour l’évaporation des milliards de dollars de taxe récoltées depuis plus de 20 ans en prévention et secours en cas de catastrophe, dont des séismes. « Ils graissent les mains de leurs copains avec des taxes sur les tremblements de terre. Où est cet argent? » a déclaré récemment le chef de l’opposition CHP, Kemal Kilicdaroglu, lors d’une récente visite dans les régions touchées par le séisme. Ils reprochent également à Erdogan d’avoir amnistié les constructions sans permis en 2018 (des amnisties qui avaient apporté des milliards de dollars au gouvernement turc) malgré les mises en garde des spécialistes sur les dangers sismiques que ces constructions faisaient peser sur leurs occupants et. Mais Erdogan en était fier et déclarait en 2019, lors d’un meeting à Kahramanmaraş, épicentre du séisme du 6 février 2023,: « Avec l’amnistie de la construction, nous avons résolu le problème de 144 556 citoyens à Kahramanmaraş » . Mais ces amnisties concernent également d’autres métropoles comme Istanbul, Adana, Antalya…
En parallèle à ces amnisties, de nombreux Turcs dénoncent la corruption au sein des sociétés de construction, les pots de vin, l’argent fonds de prévention. Dans les provinces touchées par le séisme, malgré l’état d’urgence décrété, le chaos règne, les habitants n’osent plus entrer dans leurs maisons, et ce malgré la parole officielle des autorités turques qui les assurent sur la solidité de leurs habitants après un « contrôle » hâtif… Il semble que ce séisme mortel ait ébranlé durement le règne d’Erdogan et certains analystes prédisent que la crise turque ne commence que maintenant.