PARIS – Le collectif de féministes kurdes du Kurdistan d’Iran, TAWAR condamne le massacre des femmes kurdes jusqu’en France et appelle à la solidarité internationale d’avec le mouvement de libération des femmes kurdes.
Voici le communiqué de TAWAR :
« Notre vengeance sera la révolution des femmes !
Nous n’abandonnerons pas notre combat contre le fascisme patriarcal !
Le vendredi 23 décembre, un homme de 69 ans a ouvert le feu sur le Centre culturel d’Ahmet Kaya dans le 10e arrondissement de Paris. Trois personnes ont été blessé.e.s et trois autres tué.e.s dont Emine Kara, connue sous le nom d’Evîn Goyî, une militante féministe appartenant au Mouvement de libération des femmes kurdes depuis 34 ans. Née en 1974 au Bakûr (Kurdistan de Turquie), elle adhère au PKK en 1988 et devient une militante très engagée en Turquie, en Irak et en Syrie. En 2014, après l’émergence de l’État islamique (EI) en Syrie, elle se rend au Rojava, région autonome dirigée par les Kurdes et rejoint le YPG (Unité de Protection du Peuple). Après la chute de l’EI en 2019, elle est blessée à son retour en Irak. Elle prend, pour se faire soigner, la route de l’Europe, puis dépose en vain sa demande d’asile en France.
Le jour du massacre, le tireur arrive au moment où est prévue une réunion d’une soixantaine de femmes kurdes. Celle-ci, finalement décalée au dernier moment à cause d’un problème de transport, portait sur la préparation de la commémoration du 10e anniversaire de la mort de trois militantes kurdes de Turquie (Sakine Cansız, Fidan Doğan et Leyla Söylemez), assassinées dans le même arrondissement de Paris, le 9 janvier 2013. Si l’implication des services secrets turcs (MIT) ne fait aucun doute, la justice n’a été jamais rendue. Avec l’assassinat d’Amine Kara, c’est la deuxième fois en dix ans que des militantes kurdes sont brutalement visées en plein cœur de Paris, alors même que leur vie entière a été un combat contre le patriarcat et le fascisme de l’État turc.
Ajoutons à cela les meurtres étatiques d’autres femmes kurdes par les régimes capitalistes, autoritaires, racistes, nationalistes, misogynes et homophobes. Au cours de ces derniers années, de nombreuses militantes kurdes de la région autonome du Rojava dans le nord-est de la Syrie ont été assassinées, soit par la Turquie, soit par l’EI. Ces militantes ont été ciblées parce qu’elles étaient des « Kurdes » mais surtout parce qu’elles étaient des « femmes ». Il y a quelques mois, le 16 septembre 2022, Jina (Mahsa) Amini, une jeune fille kurde de 22 ans, est tuée par la police des mœurs en Iran. Son meurtre déclenche un soulèvement dans les régions kurdes ainsi que dans l’ensemble de l’Iran, connu actuellement sous le nom de Jin, Jiyan, Azadi (Femme, Vie, Liberté), slogan scandé lors de ses funérailles. Du début de ce soulèvement à aujourd’hui, des dizaines d’Iraniennes, dont au moins quatre Kurdes (Minoo Madjidi, Kobra Shekhe, Sarina Saedi et Freshteh Ahmadi), sont assassinées par les forces de répression de la République islamique d’Iran. Ensuite, le 4 octobre 2022, Nagihan Akarsel, membre de l’Académie de Jineolojî (la science des femmes en Kurde) et rédactrice en chef de son journal, est tuée de treize balles au Bashur (Kurdistan d’Irak) par l’État turc.
Appartenant à la plus grande nation sans État du monde, les militantes kurdes sont souvent victimes de féminicides et de violences systématiques de la part des régimes qui les gouvernent, et ceci avec la coopération des puissances colonialistes et impérialistes mondiales. Pourquoi ? Pour la simple raison qu’elles développent une tradition de résistance basée à la fois sur la question du genre, de la classe et celle de la minorité ethnique et nationale.
Emine Kara, tout comme Sakine Cansız et Nagihan Akarsel, était à l’origine du slogan « Jin, Jiyan Azadi » qui incarne les longues luttes des femmes kurdes en Turquie ainsi que leur « révolution de genre » dans « le mouvement révolutionnaire de libération ». Héritier de ces pionnières, ce slogan s’est largement répandu au Rojava pour atteindre le Rojhelat (Kurdistan d’Iran) ainsi que d’autres régions du monde comme l’Amérique du Sud, l’Europe et actuellement la totalité de l’Iran.
Le mouvement de libération des femmes kurdes, dont Amina Kara faisait partie, a réussi à politiser des millions de femmes en Turquie mais aussi dans d’autres régions du Kurdistan. Fondé sur le triptyque écologie, féminisme et communalisme, leur militantisme a non seulement féminisé l’espace politique mais a aussi en quelque sorte transformé la société en fonction des rapports de sexe. La réponse nationale et transnationale au combat de ces militantes kurdes a pourtant souvent été la violence, la répression ou même leur élimination. Ce mouvement de résistance est particulièrement visé car il représente la plus grande menace pour le fascisme patriarcal dans la région. Cependant, comme le rappelle la déclaration du Mouvement des femmes kurdes en Europe (TJK-E) à la suite de la tuerie du 23 décembre : « aucune attaque n’arrêtera l’avancement de la révolution des femmes, notre colère discréditera les assassins. Le meurtre de la camarade Evîn [Amina Kara] n’est pas accidentel. Les systèmes patriarcaux pensent qu’en tuant les femmes, ils empêcheront leur lutte pour la liberté […] Mais, pour les femmes kurdes, la lutte est plus importante que le pain et l’eau. »
Quelle que soit la forme de féminisme à laquelle nous nous identifions, nous ne pouvons être indifférentes à un mouvement aussi déterminé, dont les militantes risquent partout leur vie, même dans les pays où elles émigrent comme réfugiées politiques. La justice pour les camarades qui ont perdu la vie ne s’obtiendra que par une solidarité transfrontalière des femmes, des féministes et des minorités de genre, dans un contexte où la droite et l’extrême droite de toutes sortes, de la Turquie à l’Europe, dominent le monde. Ces militantes assassinées étaient des figures précieuses qui ont non seulement contribué à visibiliser la cause des femmes en Turquie et au Moyen-Orient, mais ont également encouragé les féminismes révolutionnaires transnationaux.
Nous, en tant que féministes kurdes indépendantes du Rojhelat, nous invitons les militantes du monde entier à condamner cette violence systématique dont sont particulièrement victimes les femmes et à manifester à leur manière leur solidarité avec le mouvement transnational de libération des femmes kurdes. »
Collectif de Tawar