Le 15 novembre 1937, Seyid Riza, un dignitaire alévi et chef du mouvement kurde pendant la rébellion de Dersim, fut pendu par l’État turc à l’âge de 74 ans avec son fils et plusieurs compagnons.
Parlant de la révolte des Kurdes de Dersim et de Seyid Rıza, l’académicien Sedat Ulugana a déclaré que: « les héros n’ont pas de tombes dans les colonies. Ils n’ont pas autorisé qu’ils y ait des tombes pour Cheikh Said, Seyit Reza et Khalid de Gibran. On dit aussi que les corps n’ont jamais été enterrés. Je suis également tombé sur des documents d’archives français selon lesquelles leurs corps avaient été brûlés. »
84 ans après l’exécution de Seyit Rıza et ses compagnons, on ne sait toujours pas où sont leurs corps. Cheikh Said et ses 46 amis, Halit de Gibran, Yusuf Ziya, Sayyid Abdulkadir, Kemal Fevzi et bien d’autres n’ont pas de tombe. Académicien Sedat Ulugana dit : « Il n’y a pas de tombes de héros dans les colonies ». Au 84e anniversaire de son exécution, le journal Yeni Yasam a interviewé le chercheur et historien Sedat Ulugana sur la révolte de Dersim et son chef Seyid Rıza.
Qui est Seyit Rıza ?
Nous ne connaissons pas la véritable date de naissance de Seyit Rıza. Puisqu’il a été exécuté en 1938 à l’âge d’environ 70 ans, on peut supposer qu’il est né dans le dernier quart de 1800. Il est né à Dersim. Contrairement à ce que prétendent certains partis, il a reçu une instruction. Bien sûr, l’éducation qu’il a reçue n’était pas une éducation des normes d’aujourd’hui. Au Kurdistan, les Kurdes sunnites et les Kurdes Kizilbash [Un Kizilbaş / Qizilbash est un disciple de l’ordre soufi chiite des Safavides. On appelle aussi Kizilbaş certains Kurdes alévis en Turquie] ont une tradition de madrasa [établissement islamique d’enseignement sunnite].
La tradition de la madrasa est très transitive. Autrement dit, un imam sunnite pouvait recevoir une éducation dans une médersa où se rendait également un pîr [dignitaire religieux] alévi. Par exemple, dans notre région de Kigi, les Kurdes yézidis ont envoyé leurs enfants dans les madrasas. Par exemple, Ahmedi Mizeyi dit : « Tous nos professeurs étaient des imams. »
Durant cette époque, jusqu’au milieu des années 1800, les codes entre les religions (…) au Kurdistan étaient très flous. Ce n’était pas aussi rigide qu’aujourd’hui. De même, comme nous l’apprennent les mémoires de Nuri Dersimi, Seyid Rıza a été éduqué par le père de Nuri Dersimi, Milla brahim.
Dans son témoignage dans les archives du tribunal, Seyid Rıza dit « Je sais lire et écrire ». Il peut lire le turc ottoman et apposer sa signature. Il y a deux signatures dans les lettres qu’il a envoyées à Sèvres, l’une est de Seyit Rıza et l’autre d’Alişer [un des dirigeants de la révolte de Dersim]. La signature d’Alişer est plus proche du turc ottoman, mais la signature de Seyit Rıza est entièrement écrite en alphabet latin.
En fait, la jeunesse de Seyit Rıza est passée dans des conflits intertribaux à Dersim. Mais avec la formation du nationalisme kurde après la deuxième monarchie constitutionnelle, [le nationalisme kurde] a reçu plus d’écho chez les Kurdes Kızılbaş par rapport aux Kurdes sunnites.
Pourquoi?
La contradiction du milieu kurde de Kızılbaş avec l’Empire ottoman était plus profonde. Le cas échéant, les tribus kurdes sunnites pouvaient s’entendre avec les Ottomans sur la base du sunnisme. Mais les tribus kurdes Qizilbash n’avaient pas une telle chance. Nuri Dersimi est une grande chance pour Dersim. Nous savons qu’il est allé à Istanbul et y est resté un certain temps. Nous savons qu’il était en contact avec la société kurde Teavün ve Terakki à cette époque.
Dersimi et quelques autres sont influencés par le nationalisme kurde à Istanbul. C’est aussi un point très intéressant. Le nationalisme kurde ne se forme pas au Kurdistan, il se forme à Istanbul. Le nationalisme kurde qui a émergé à Istanbul est transféré dans la région du Dersim par la main de ces cadres – étudiants.
Au bout d’un moment, Seyit Rıza se rend compte que les conflits entre les tribus ne leur apporteront rien. Avec la proclamation de la monarchie constitutionnelle, Seyit Rıza commence à montrer une attitude différente. Il dit que les problèmes peuvent être résolus par des compromis, pas par la vendetta ou le pillage. C’est Nuri Dersimi qui le dit. Après cela, nous rencontrons une autre visage de Seyit Rıza. La conscience kurde est très forte à Seyit Rıza. Seyit Rıza qualifie l’État turc de « Rom » [nom donné aux Ottomans et Turcs par les Kurdes]. « Nous sommes des Kurdes, ils sont des Roms », dit-il. Il est l’un des premiers chefs tribaux qui ont adopté le nationalisme kurde (…). Plus tard, ses relations avec Alişer le font devenir complètement politisé. (…)
Peut-on dire que les premières rébellions kurdes de la période républicaine sont venues des Kurdes alévis ?
Absolument. La série de révoltes ne commence pas avec le Koçgiri de 1921, mais avec la révolte de Bitlis en 1914. En 1914, personne en dehors du centre-ville de Bitlis ne soutint cette révolte. Peut-être que quelques cadres ont agi consciemment, ce sont Hamzayı Müksey et Halil Hayali. Tous les autres participants s’étaient inscrits au club pour protéger leurs propres intérêts. Les Russes en parlent aussi. Certains de nos chercheurs kurdes, sans aller trop loin, affirment que « Bitlis est un centre culturel ». En un sens, c’est un centre culturel, mais pas le centre du nationalisme kurde. Après la Première Guerre mondiale, en 1921, une rébellion basée sur le nationalisme kurde a eu lieu à Koçgiri. Il existe des noyaux de féodalité dans de nombreuses régions du Kurdistan, mais pas à Koçgiri. C’est une résistance organisée avec une méthode nationaliste kurde. La lettre que Seyit Rıza et Alişer ont envoyée à Sèvres est, en un sens, le manifeste du nationalisme kurde dans les années 1920.
Pouvez-vous le développer un peu ?
[Le manifeste d’Aliser et Seyid Riza] dit que les kémalistes sont des touranistes [des nationalistes turcs, panturquistes]. Il dit qu’ils combattent les Ottomans depuis des centaines d’années, qu’ils ne les ont pas laissés entrer dans Dersim, et il dit : « Nous parlons au nom de 8 millions de Kurdes », en considérant les Kurdes en tant qu’un peuple dans son ensemble, pas selon leurs religions. Elle rappelle aussi aux Français quelque chose d’historique : « Il y avait un Saladin alors, maintenant il y a des milliers de Saladin. » A à travers le kurdisme, le Kızılbaş Alişer reconnait comme étant un des siens Selahattin Eyyubi, qui est considéré comme le fondateur du sunnisme. Il révèle un nationalisme kurde holistique. Avec la fondation de la République, on peut dire que le nationalisme kurde et le patriotisme kurde étaient représentés par les tribus kurdes Kızılbaş.
Revenons à Seyit Rıza. Quel est exactement son rôle dans la résistance de Dersim ?
Après que Seyit Rıza ait envoyé cette lettre au Conseil des traités de Sèvres en 1920, il a abandonné son identité tribale. Seyit Rıza est désormais un leader du peuple kurde. Alisher a définitivement une influence sur lui. Car Alişer est le chef de branche de tout le club kurde de la région de Koçgiri. C’est ainsi qu’il appose sa signature. C’est aussi un très bon intellectuel. Dans une lettre qu’il a envoyée à la société kurde Teali d’Istanbul, il a écrit que les livres et les journaux que la société leur avait envoyés d’Istanbul ne leur étaient pas parvenus. En d’autres termes, ils pourraient suivre la situation conjoncturelle à la fois concernant la question kurde et le processus de Sèvres en développement.
En conséquence, après 1920, Seyit Rıza n’est plus un chef de tribu, mais un chef qui parle au nom de tous les Kurdes. 8 millions de Kurdes ne sont pas seulement des Kurdes Qizilbash, il y a des sunnites, des yézidis et même des chrétiens, qu’il appelle les tribus du Kurdistan. Il dit « le peuple kurde et les tribus du Kurdistan ». Ce qu’il appelle « les tribus du Kurdistan » sont les chrétiens, les Assyriens, les Chaldéens et même les Jitans. C’est une approche très holistique. En fait, ce testament présenté en 1919 est similaire au testament présenté par Öcalan. C’est cet aspect qui m’a beaucoup surpris. La volonté de Seyit Rıza dans cette lettre est la suivante : Nous respectons les droits de tous les peuples vivant au Kurdistan, nous n’avons pas de but impérial, nous n’avons pas de but moniste. Qu’eux aussi nous respectent.
Pouvez-vous nous parler un peu de ces lettres ?
Les lettres étaient écrites en turc ottoman, une langue très simple était utilisée, les demandes étaient très simples, mais il y a aussi des phrases montrant qu’elles ont été écrites par quelqu’un qui avait une connaissance de la langue diplomatique. Au début de la lettre, elles déclarent que Şerif Pacha est leur représentant. Il y a un portrait de Seyit Rıza qui connaît l’essence de la question kurde. Il y a un Seyit Rıza qui déclare que le Kurdistan ne compromettra pas sa liberté, et ils soulignent que, s’il le faut, ils défendront ces droits contre les Français. Dans un sens, ils montrent le bâton sous le manteau. Dans ces lettres, outre Seyit Rıza et Alişer, il y a les noms de 11 chefs tribaux de Dersim. Il y a même les noms de quelques marchands et chefs de tribus d’Erzincan.
Quelles demandes sont formulées ?
À partir de 1919, la société kurde Teali a été divisée en deux à Istanbul. Le groupe dirigé par Seyit Abdulkadir disait : « Ne poussons pas trop les Ottomans, demandons l’autonomie, même la couleur de leur autonomie devrait être culturelle, pas politique. » D’un autre côté, le groupe dirigé par Memduh Selim et l’émir Ali Bedirhan disait : « Non, nous ne voulons en aucun cas vivre avec les Ottomans. Nous voulons établir un Kurdistan indépendant. » Seyit Rıza et Alişer ont des relations solides avec le deuxième groupe. Seyit Abdulkadir se comporte plutôt comme un bureaucrate ottoman. Seyit Rıza et Alişer savent que l’Empire ottoman va s’effondrer. Ils ont deux problèmes. Premièrement, ils veulent que la frontière nord du Kurdistan passe par les montagnes du nord d’Erzincan et inclue Darende jusqu’à Koçgiri. Deuxièmement, ils ne veulent pas laisser Van aux Arméniens.
Les colonies n’ont pas de tombes de héros
On ne sait pas où se trouvent les tombes non seulement de Seyit Rıza mais aussi de Cheikh Said et Halit de Gibran. Ulugana raconte:
« Dès 1920, les kémalistes ont connaissance des lettres envoyées par Seyit Rıza. Ils avaient déjà mis Seyit Rıza sur la liste. Ils connaissent aussi la fameuse lettre que Seyit Rıza a envoyée en 1937. Elle est envoyée au ministère français des Affaires étrangères, et une copie est envoyée aux Britanniques.
Nous avons récemment partagé un document montrant que, dans le récépissé de renseignement, il y a un cachet et la mention « Lettre venant de Dersim », que cette lettre a été remise directement au consulat à Istanbul. Elle n’a pas été envoyée par les Bedirkhan d’Alep, comme certains le prétendent, mais traduite en français. À partir de 1930, il existe une connexion entre le mouvement Hoybun et Seyit Rıza. Seyit Rıza savait très bien ce qu’il faisait. Certaines personnes aiment dire « c’est un péché » [l’exécution de Seyid Riza], mais ce n’est pas le cas. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est gravé dans la mémoire du peuple. Le second est son attitude inflexible devant le tribunal. C’est leur marche intrépide vers la potence. L’État ne veut pas que cette mémoire reste, qu’elle devienne permanente. Les héros n’ont pas de tombes dans les colonies. Aujourd’hui aussi, le premier endroit qu’ils attaquent sont les cimetières. Ils n’ont pas autorisé qu’il y ait les tombes de Cheikh Said, Seyit Reza et Khalid de Gibran. On dit aussi que les corps n’ont jamais été enterrés. Je suis également tombé sur des documents d’archives françaises selon lesquelles les corps de rebelles kurdes ont été incinérés. » (La version turque de l’article est ici)
*******************
La lettre de Seyit Rıza, écrite en Dersim le 30 juillet 1937 et enregistrée par les autorités françaises le 2 octobre 1937, a été découverte par le chercheur Sedat Ulugana. « Je parle pour l’ensemble du Kurdistan », déclare Seyit Rıza dans sa lettre.
Traduction en français de la lettre de Seyid Riza:
Bordereau d’envoi du consulat français à Istanbul: