AccueilKurdistanBashurKURDISTAN. "Découvertes" (?) archéologiques assyriennes près de Duhok

KURDISTAN. « Découvertes » (?) archéologiques assyriennes près de Duhok

PARIS – Le 24 octobre dernier, la presse, reprenant un article de l’AFP, annonçait la « découverte de pressoirs à vin assyriens vieux de 2.700 ans » (1) dans la région kurde d’Irak. On apprenait que « Des archéologues italiens et kurdes irakiens ont annoncé dimanche la découverte en Irak de pressoirs à vin et de bas-reliefs sculptés dans les parois d’un canal d’irrigation, des vestiges vieux de 2.700 ans datant de l’époque des rois assyriens. » 

Nous avons demandé à la photographe française Roxane, qui a photographié plusieurs sites assyriens au Kurdistan, de nous dire pourquoi ces découvertes annoncées par cette équipe d’archéologues* qualifiées de « sensationnelles » par la presse ne sont pas nouvelles. Même si l’équipe* d’archéologues dirigée par Daniele Morandi Bonacossi a reçu deux prix internationaux l’année dernière pour ces « découvertes » qui datent de l’époque du règne du roi assyrien Sargon II** et de son fils Sennachérib*** 

Roxane: Déjà, la formulation de l’article crée une confusion entre deux sites. Les bas-reliefs, dégagés par les fouilles dans les parois d’un canal, sont situés à Fayda, non loin du Tigre, et les « pressoirs à vin » jouxtent le petit village de Khanis, ou Khinis, près de la rivière Gomel. 

Les premiers bas-reliefs de Fayda ont été découverts par un archéologue britannique au début des années 70, mais les conflits dans la région ne lui ont pas permis d’entreprendre des fouilles à l’époque (2). Celles finalisées par l’équipe italo-kurde, déjà annoncées début 2020 (3), ont mis au jour des grands bas-reliefs « commandés soit par Sargon II, soit par Sénnachérib ». « Chaque panneau représente le roi assyrien en train de prier devant les dieux », explique Daniele Morandi Bonacossi, avec « les sept divinités les plus importantes du panthéon assyrien, représentées sous forme de statues ». Si ces sculptures sont remarquables, « ce complexe d’art rupestre unique » (4) ne l’est pas, puisque des représentations identiques sont connues également près de la ville de Duhok, sur le site de la « grotte de Hilamta », où trois panneaux similaires ont été décrits et dessinés au XIXe siècle, notamment par Victor Place qui a remplacé Paul-Émile Botta sur le chantier de Khorsabad (5).

L’un des trois grands bas-reliefs d’Hilamta / Maltaï appelé « grotte de Hilamta ». Photo: Roxane Paris

En l’absence d’inscriptions, l’attribution des bas-reliefs à Sargon II, ou à son fils Sennachérib, reste une supposition, et l’identification de la scène (6) qui attribue le dragon de Babylone au grand dieu de l’Assyrie, Ashur, est surprenante, autant que l’affirmation qui met Sin sur un lion, le dieu de la Lune ayant toujours été associé à un bovin en Mésopotamie, notamment au taureau, les cornes de cet animal reproduisant la forme du croissant lunaire. 

Le second site, celui de Khinis, annoncé ce mois-ci comme une nouvelle découverte des archéologues italo-kurdes, jouxte le petit village du même nom, et ses habitants en connaissent évidemment l’existence depuis toujours. C’est une extension du site archéologique connu depuis le XIXe siècle (7), sous le nom de Bavian, et qui fait partie d’un vaste système d’irrigation mis en place par Sennachérib, pour approvisionner en eau sa nouvelle capitale, Ninive. Il y a fait sculpter plusieurs fois son image, des inscriptions en caractères cunéiformes, des statues à ciel ouvert, ainsi que des bassins pour canaliser l’eau descendant de la montagne, afin de la rediriger vers la rivière Gomel. 

 

Bavian au XIXe siècle. Sir Austen Henry Layard, 1817-1894

La « fabrique à vin de taille industrielle » (8) est située non loin, également à ciel ouvert, et n’est pas la découverte sensationnelle annoncée par la presse. Bien que le site ne soit effectivement pas très connu des touristes, éclipsé par la renommée des sculptures de Bavian, j’ai pu photographier ses bassins il y a déjà plusieurs années. Son identification à un site vinicole nécessiterait l’avis d’experts, et une étude plus poussée pour confirmer sa destination première, des analyses biologiques ayant peu de chances d’apporter de nouvelles indications s’agissant d’un site en plein air, et donc soumis aux précipitations depuis plus de deux millénaires. 

Cependant, le terrain même, composé de plaques de pierre naturelles favorisant l’écoulement de l’eau vers le Gomel, en fait plus probablement une partie du vaste système d’irrigation de Sennachérib (9), d’autant que le site archéologique présente les mêmes creusements artificiels. D’autre part, la configuration du terrain étant peu propice à la culture de la vigne, l’installation d’une fabrique à vin à cet endroit nécessiterait d’y monter le raisin avant de redescendre son jus, opérations inutiles si les fruits étaient traités directement plus bas, ou sur leur lieu de production.

De futures recherches nous en apprendront sans doute plus sur la probable destination du site…

 

Les « pressoirs » du site de Khenis / Khinis ou Khanis, à environ 5 minutes de Bavian. Photo Roxane Paris
Ruines de l’aqueduc de Jerwan, construit par Sennachérib, sur lequel subsistent de nombreuses inscriptions cunéiformes. Photo: Roxane Paris

 

L’un des nombreux réservoirs qui parsèment le site de Bavian. Photo: Roxane Paris
Vue générale de Bavian : à gauche un immense réservoir, à droite le grand bas-relief reproduit par Layard, au premier plan le Gomel. Selon Victor Place, ces grottes ont été creusées probablement par des chrétiens anachorètes. Photo: Roxane Paris
La montagne où est située le site de Khenis, près de Bavian. Photo: Roxane Paris

Découvertes exceptionnelles ou pas, grâce à cette publicité faite pour ces deux sites historiques, espérons que les autorités kurdes d’Irak protégeront enfin ces lieux qui sont actuellement utilisés comme plongeoir et lieu de piquenique, barbecue par la population.  

Et si vous voulez voir d’autres images de Khanis et de Bavian, mais aussi du Lalesh, ou Lalish, lieu saint du yazidisme, au Bahdinan, dans la région de Ninive, du Kurdistan… aller sur le site de Roxane Paris qui recèle de trésors photographiques de ces régions mal-connues de l’Occident. Il vous suffit de cliquer ici: Kurdistan Photo

* L’équipe de recherche se compose d’archéologues italiens et de leurs homologues de l’Autorité des antiquités de Duhok. Les fouilles font partie du projet archéologique « Terra Di Ninive » (Terre de Ninive), coordonné par Daniele Morandi Bonacossi de l’Université d’Udine avec le Département des antiquités Duhok, dirigé par Hasan Ahmed.
 
** Sargon II (assyrien Šarru-kīn ou Šarru-kēn), roi d’Assyrie de 722 jusqu’en 705 av. J.-C.
 
*** Sennachérib (ou Sanchérib dans l’Ancien Testament, en akkadien : Sîn-Ahhê-Erîba ou Sîn-aḫḫê-erība), ils de Sargon II, roi d’Assyrie de 705 à 681 av. J.-C.

*** Le site de Jerwan, dans la province de Duhok, est célèbre pour les ruines d’un immense aqueduc traversant la rivière Khinis, composé de plus de deux millions de pierres de taille et utilisant des arches de pierre et un mortier imperméable à l’eau. Il est considéré comme l’aqueduc le plus ancien du monde.

1. Notamment les sites Internet de La Croix, France 24, TV5 monde, Le Figaro
2. Dr Francesca Simi, membre de la mission, The Endangered Archaeological Site of Faida. 
4. Ibid., Dr Francesca Simi.
5. Le premier site assyrien qui a été découvert par les archéologues du XIXe siècle. Victor Place désigne le site sous le nom de Maltaï ou Maltayah, qui est celui d’un village également proche de Duhok. Ninive et l’Assyrie, Ministère de la Maison de l’Empereur et des Beaux-arts, Paris, Imprimerie impériale, Tome second, 1852, p. 153 et suivantes.
6. Ibid., Dr Francesca Simi.
7. Austen Henry Layard, Rock sculpture at Bavian, dans The monuments of Nineveh, Londres, 1849.
8. Et non des « pressoirs à vin » comme le titre improprement la presse, puisque c’est le raisin qui est pressé, et non le vin
9. Qui a également construit à quelques kilomètres l’aqueduc de Jerwan, qui est aujourd’hui le premier exemple connu au monde de ce type de construction.

www.terradininive.com/projects/the-archaeological-complex-of-faida/?lang=en

Dr Francesca Simi, The Endangered Archaeological Site of Faida: https://eamena.org/article/endangered-archaeological-site-faida