Mesdames, Messieurs,
Depuis longtemps, les Kurdes sont victimes de violentes répressions politiques et culturelles. Désavoués par le traité de Lausanne de 1923, qui leur a retiré la possibilité de disposer d’un État kurde comme prévu par le traité de Sèvres de 1920, ils n’ont cessé, depuis lors, d’être la cible de différentes nations.
En Irak, la situation des Kurdes s’est considérablement détériorée à partir de 1969 suite à l’arrivée au pouvoir un an plus tôt du parti Baas et de Saddam Hussein au poste de Vice‑Président de la République irakienne.
S’en suit alors une politique intensive d’arabisation, de déplacements forcés des populations, d’exécutions ciblées et une situation de guerre par intermittence.
Ainsi, en mars 1971, la nouvelle charte du parti Baas décréta que les Kurdes devaient à partir de maintenant adhérer à « l’unité politique et sociale du pays », ainsi qu’« accepter l’Irak dans le cadre de la Patrie arabe. » Cette obligation fut même renforcée, par la proclamation de « l’identité arabe de la terre kurde » lors de la troisième Conférence dudit parti.
L’année 1972 fut, quant à elle, marquée par la nationalisation du pétrole, richesse essentielle de l’Irak, et par « l’arabisation » du gouvernorat de Kirkouk, se traduisant notamment par le licenciement de 2 500 salariés kurdes du secteur.
Après une intensification des tensions, la proclamation unilatérale de la loi sur l’autonomie kurde, prévoyant une administration mixte placée sous le contrôle du gouvernement irakien, déclencha en 1974 une deuxième insurrection kurde.
Rappelons qu’en 1970 le parti Baas s’était notamment engagé à reconnaitre le caractère binational de l’Irak, l’autonomie dans l’aire du Kurdistan, les Kurdes comme une composante à part entière de l’Irak et à créer une région kurde, dont la langue serait officiellement admise au sein des administrations régionales et des établissements scolaires.
En réalité, Saddam Hussein ne comptait pas accorder de tels avantages aux Kurdes, ces négociations ne servant qu’à gagner du temps pour renforcer la capacité d’action irakienne.
Alors que les Kurdes étaient soutenus par l’Iran et posaient des difficultés aux forces armées irakiennes, Saddam Hussein accepta le 6 mars 1975 de faire des concessions sur le Chatt el‑Arab à l’Iran contre la fin de son soutien aux Kurdes. De fait, le général Mustafa Barzani et ses hommes furent contraints de cesser les combats et de s’exiler.
Puis, pendant trois ans, plusieurs centaines de milliers de Kurdes furent déportés du nord de l’Irak vers d’autres parties du territoire, notamment vers le sud. Dans un mouvement contraire, les familles arabes furent, quant à elles, sommées d’aller peupler ces terres pour « arabiser » le Kurdistan.
Entre 1979 et 1983, suite à la prise de pouvoir de Saddam Hussein, une série de massacres fut perpétrée jusqu’au jour où 8 000 Kurdes de la vallée de Barzan, fief du leader de la « révolution kurde », furent exterminés.
Alors que les politiques irakiennes menées depuis 1969 ne parvinrent à régler définitivement « le problème Kurde », Ali Hassan Al‑Majid, cousin de Saddam Hussein, fut nommé en mars 1987 Chef du bureau des affaires du nord de l’Irak (Kurdistan) et investi des pleins pouvoirs pour exécuter la « solution finale ».
Dès cette nomination, les évacuations, les destructions de villages et les placements des populations dans des camps s’intensifièrent.
À partir d’avril, les premières expériences chimiques furent menées et se révélèrent concluantes, dont celles perpétrées dans vallée de Balisan entrainant la mort de 400 personnes, ainsi que de nombreux blessés abattus lors de leur fuite.
Le 26 mai 1987, Ali Hassan Al‑Majid réunit les responsables du parti et déclara même : « Dès que nous aurons terminé les déportations, nous commencerons à les attaquer [les pershmergas] de partout. (…) Nous les encerclerons alors en petites poches et les attaquerons avec des armes chimiques. Je ne les attaquerai pas avec des armes chimiques juste un jour, je continuerai de les attaquer pendant quinze jours. (…) J’ai dit aux camarades‑experts que j’ai besoin de groupes de guérillas en Europe pour tuer tous ceux [les opposants kurdes] qu’ils peuvent. Je le ferai, avec l’aide de Dieu. Je les vaincrai et les poursuivrai en Iran. Je demanderai alors aux Moudjahidines [du peuple iranien] de les attaquer là‑bas. »
Par la suite, Ali Hassan Al‑Majid prit une directive délimitant des zones interdites regroupant 1 000 villages kurdes et commandant aux forces armées de tuer tout être humain ou animal qui y serait présent. Cette directive a d’ailleurs été suivie d’une seconde faisant office de « feuille de route » du génocide.
Afin d’accélérer le processus et de démontrer l’efficacité de sa méthode, le Chef du bureau des affaires du nord de l’Irak lança les opérations Anfal (Butin qui provient des biens des « infidèles ») qui se sont tenues entre le 23 février et le 6 septembre 1988. Ces opérations ont constitué l’apogée du génocide orchestré à l’égard des Kurdes et se sont traduites par des déportations, des disparitions massives, des détentions arbitraires, des bombardements chimiques et des exécutions sommaires.
Le 25 août, 200 000 soldats irakiens, regroupés en 16 divisions et en un bataillon d’armes chimiques et soutenus par l’aviation, menèrent la « campagne de nettoyage final » au Bahdinan, province kurde à la frontière turque.
Malgré la fin des opérations Anfal, les destructions se poursuivirent, notamment, dans la ville de Qala Diza, qui constitua le dernier acte majeur permettant de régler « la question kurde » et qui entraina l’abolition du comité des affaires du Nord du Conseil de commandement de la révolution et la révocation les pouvoirs spéciaux dont bénéficiait Ali Hassan Al‑Majid.
Rappelons que dans les massacres de la ville de Halabja en mars 1988, située à quelques kilomètres de la frontière iranienne, 5 000 Kurdes périrent en quelques heures dans des attaques chimiques perpétrées par des chasseurs bombardiers Mig et Mirage de l’armée irakienne ; 3 200 victimes sans famille furent enterrées dans une fosse commune.
Si le monde prit conscience de ces massacres, aucune pression internationale efficace ne fut exercée sur l’Irak afin de prévenir et empêcher de nouvelles attaques.
Six mois après ce massacre les États‑Unis devaient, par ailleurs, accorder un milliard de dollars à Saddam Hussein, allié de l’Occident face à la République Islamique d’Iran.
Cet abandon international se renouvela lorsque les Arabes chiites et les Kurdes, incités à se soulever par le Président américain afin de faire tomber le pouvoir baasiste de Saddam Hussein, furent écrasés dans le sang et contraints à l’exil provoquant par là même des crises humanitaires en Iran et en Turquie.
Ce n’est que le 5 avril 1991 que le Conseil de Sécurité des Nations Unies adopta la résolution 688 visant à faire respecter une zone d’exclusion aérienne, stopper la progression de l’armée irakienne et permettre l’opération humanitaire « Provide Comfort », préfigurant la création d’une région semi‑autonome dans les montagnes kurdes.
Ces années noires font état d’un bilan abominable ; 90 % des villages kurdes et une vingtaine de bourgades et de villes furent détruites, tout comme les capacités liées à l’agriculture et à l’élevage furent rendues impropres en raison de la pose de 15 millions de mines. De plus, 1,5 million de paysans fut interné dans des camps. Au total, depuis 1974, ce n’est pas moins de 400 000 Kurdes qui périrent, dont la moitié furent portés disparus, ce qui représente 10 % de la population kurde irakienne.
De plus, les bombardements chimiques eurent d’importantes répercussions sur la santé des Kurdes (aveuglement, fausses couches et malformations congénitales).
Loin de simples opérations de contre‑insurrection, c’est le peuple kurde qui, dans sa totalité, devait faire l’objet d’une extermination.
En décembre 2005, les massacres contre les Kurdes ont été qualifiés de génocide par la Cour de La Haye et par le tribunal spécial irakien en juin 2007. Ali Hassan Al‑Majid, ainsi que deux autres dignitaires irakiens furent condamnés à la peine de mort pour génocide contre les Kurdes.
Même après la chute de Saddam Hussein, les Kurdes irakiens ont continué d’être victimes de violences, de discriminations et d’actes barbares, notamment de la part des soldats de l’État islamique et des milices chiites ; la volonté « d’arabiser » le peuple kurde et le Kurdistan irakien n’a toujours pas disparu.
La France, alliée du peuple kurde et qui sait peut‑être plus que d’autres pays ce que signifie le terme génocide, se grandirait à reconnaitre également un tel crime contre l’humanité.
Dans cette situation précise le mot génocide n’est évidemment pas galvaudé, puisque comme le précise Human Rights Watch dans son rapport : « Pour reprendre les termes de la convention ‑de Genève‑ sur le génocide, le but du régime a été de détruire en partie le groupe ‑des Kurdes irakiens‑, et il l’a atteint. Intentions et actes avaient été combinés, entraînant le crime consommé de génocide. »
La présente proposition de résolution invite donc le Gouvernement français à reconnaitre ce génocide et à favoriser la réparation des préjudices subis par les victimes et leurs ayants droit.
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu les articles 6, 7 et 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale,
Vu l’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
Vu le protocole de Genève de 1925 concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques,
Considérant les éléments matériels mobilisés, la planification et l’organisation misent en œuvre par le pouvoir irakien de Saddam Hussein,
Considérant les actions de discrimination, de classification, de déshumanisation, de marquage, de hiérarchisation, de déportation, de regroupement forcé et d’extermination dont ont été victimes les Kurdes irakiens,
Considérant le degré de barbarie des opérations Anfal, notamment des bombardements de la ville Halabja, et de tous les massacres perpétrés,
Considérant la volonté affirmée du régime irakien de l’époque d’éliminer en tout ou en partie le peuple kurde d’Irak,
Considérant le grand nombre d’archives attestant du dessein des responsables irakiens et de leurs crimes contre l’humanité,
Considérant la reconnaissance par la Cour de La Haye le 23 décembre 2005 d’actes constitutifs d’un génocide, en particulier ceux de Halabja en 1988, et la condamnation par le tribunal spécial irakien des principaux commanditaires de ces actes,
1. Reconnaît officiellement les violences perpétrées par les autorités de la République d’Irak à l’encontre des Kurdes d’Irak comme constitutives de crimes contre l’humanité et d’un génocide ;
2. Condamne ces crimes contre l’humanité et ce génocide et affirme son soutien au peuple kurde concerné ;
3. Invite le Gouvernement à reconnaître officiellement, et à condamner, les crimes contre l’humanité et le génocide perpétrés par la République d’Irak à l’encontre des Kurdes ;
4. Invite le Gouvernement à travailler, tant dans le cadre de ses relations multilatérales que bilatérales avec l’Irak, pour que les préjudices subis par les Kurdes et leurs ayants droit soient réparés.