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De retour de sa captivité en Turquie, Tuna Altinel reste mobilisé pour les droits du peuple kurde

LYON – Le 11 juin dernier, le mathématicien Tuna Altinel retournait à Lyon après plus de 2 ans de captivité en Turquie où il avait été poursuivi en justice pour avoir dénoncé la persécution et le massacre des Kurdes par l’État turc, notamment dans l’est du pays entre 2015 et 2016. A l’instar de l’écrivaine Asli Erdogan et l’universitaire Pinar Selek, Tuna Altinel était persécuté par le régime turc pour avoir osé, en tant que Turc, soutenir les droits du peuple kurde. Grâce à une mobilisation active menée en France par son comité de soutien, Altinel a pu quitter l’enfer turc et retrouver ses étudiants de l’université Claude Bernard Lyon 1.
 
Tuna Altinel est arrivé à Lyon le 11 juin dernier et dès sa descente de l’avion, il a tenu à remercier – lors d’une conférence de presse – tous ceux qui se sont mobilisés pour lui et rappelé pour quoi il s’opposait au régime dictatorial d’Erdogan, ajoutant que le drame kurde était toujours d’actualité. D’ailleurs, l’invasion du Kurdistan du Sud par l’armée turque depuis avril dernier et le meurtre de la militante du parti politique HDP, Deniz Poyraz sont les derniers exemples de la guerre turque sur le front kurde… 
 
Voici la déclaration de Tuna Altinel faite à la presse le 11 juin:
 
« C’est une victoire pour celles et ceux qui s’investissent pour le soutien des valeurs démocratiques et dans le monde où nous vivons ces valeurs sont en recul malheureusement, sont menacées. Et plus particulièrement dans mon pays d’origine la Turquie.
 
Cette victoire n’aurait pas été possible en fait sans une mobilisation internationale qui transcende toutes les frontières. Une mobilisation de solidarité en Turquie mon pays d’origine, en France mon pays d’adoption et dans d’autres pays aussi en fait. Puisque nous sommes en France je veux juste mentionner deux acteurs principaux de ce soutien, de cette solidarité, parce que je pense que c’est très important pour souligner le travail accompli.

Je commence d’abord par l’université Claude Bernard Lyon 1 qui m’a soutenu effectivement depuis le début de mes problèmes. Elle a envoyé des avocats pour me représenter à mes procès. Elle m’a soutenu par des déclarations, par l’envoi de lettres de soutien partout et peut-être plus important, le plus important de tout, elle n’a pas coupé mon salaire.
 
C’est très important parce que en effet c’était l’objectif cruel mais bien précis de l’État qui m’a retenu pendant deux ans sans passeport: c’est effectivement l’objectif de couper mes ressources de vie pour que je meurs comme on dit en Turquie par « la mort civile ». Et le rôle joué par l’université Claude Bernard dans ce sens a été essentiel. Et je suis reconnaissant. Et je profite de l’occasion pour souligner l’importance de l’Université, l’Université publique en France, parce qu’en Turquie, à l’instant le corps universitaire est en train d’être démantelé et parfois je vois avec consternation, de loin j’ai vu, j’ai observé cela qu’en France aussi [via] les collègues qui m’ont soutenu dans mon comité de soutien – parce qu’il y avait beaucoup de collègues qui se sont investis – ont été violemment attaqués pour leur prise de position démocratique et humanitaire en France aussi. Or en fait cette victoire que nous vivons aujourd’hui ça montre l’importance de l’Université, de l’Université publique en France et y compris dans le débat public.
 
Et le 2ème acteur de la solidarité autour de moi en France c’est le comité de soutien dans lequel se sont invertis des collègues, des camarades d’associations et finalement plus tard s’y est articulée la mairie de Villeurbanne en m’accordant la citoyenneté d’honneur. Je suis fier et je suis aussi conscient que ce qui a été fait me charge de responsabilités supplémentaires et j’essaierai de le faire le plus possible. Et le comité de soutien a mobilisé pour diverses occasions, pour diverses campagnes et sans cette mobilisation je pense que le soutien se serait déjà terminé avant longtemps.
 
Pour finir – j’ai beaucoup de choses à dire mais je ne veux pas vous ennuyer beaucoup trop – je pense qu’il faut que je me rappelle pourquoi j’ai vécu cela, pourquoi beaucoup de gens vivent cela. Parce que en fait ce n’est pas juste un combat pour Tuna Altinel. En Turquie et dans beaucoup d’autres pays, mais je souligne en Turquie, un pays aux portes de l’Europe, des milliers de cerveaux de haute qualité, de ressources humaines de haute qualité, il y a beaucoup d’autres, il y a des dizaines, des centaines, des milliers peut-être de Tuna Altinel sans aucun comité de soutien.
 
Ce qui nous montre que le combat que nous menons n’est pas du tout terminé, il en est bien loin, et il nous faut encore beaucoup, beaucoup, beaucoup d’autres victoires à gagner. Et dans mon cas particulier et je suis arrivé à ce point là j’ai passé ces deux dernières années en rétention, en diverses sortes de rétentions juste parce que j’étais intervenu dans une soirée légale, publique, organisée par l’association dont je suis fier d’être membre d’ailleurs Amitiés Kurdes Lyon et Rhône-Alpes dans des locaux de la mairie de Villeurbanne.
 
C’était une soirée sur les droits humains et mon intervention a été de tenir le rôle de traducteur franco-turc et d’ailleurs le fait que cette soirée soit concernée par les revendications d’un peuple, le peuple Kurde en l’occurrence, et que cette soirée questionne les crimes d’état était en fait la raison pour laquelle le consulat de Turquie à Lyon m’a dénoncé.
 
C’est franchement triste de voir que le consulat de son propre pays, de son pays d’origine ne serve plus à servir les gens mais plutôt se contente d’être un centre d’espionnage. Là où nous sommes, deux ans plus tard, oui on a gagné une victoire mais ce consulat continue à être ce qu’il était il y a deux ans.
 
Les souffrances du peuple [kurde], des gens dont on parlait au cours de notre soirée restent aussi brûlantes. En parler, malheureusement, en parler n’est qu’un acte dans le cadre de l’expression de la liberté de l’expression, mais dans mon pays c’est vu comme du terrorisme. C’est pour cela qu’il y a encore beaucoup, beaucoup d’autres victoires à gagner au monde.
 
Merci. »