TURQUIE / BAKUR – Alors que l’opinion publique internationale a les yeux rivés sur l’invasion militaire de la Turquie au Rojava et au Kurdistan du Sud, la Turquie a intensifié la violation des droits des Kurdes à l’intérieur du pays.
La principale victime de ces attaque, le parti démocratique des peuple (HDP) vient de publier un communiqué concernant les récents attaques visant la société civile kurde, les associations et partis politiques kurdes :
Dans un climat politique où toute critique du gouvernement est assimilée au terrorisme, les détentions et arrestations incessantes sont devenues des moyens routiniers d’intimider la société démocratique et la politique en Turquie. En tant que fief du HDP et centre politique de la région kurde en Turquie, Diyarbakir est la ville la plus ciblée par la répression gouvernementale.
Le mois dernier, le 22 mai, la police a violemment perquisitionné plusieurs domiciles et arrêté 18 personnes à Diyarbakir – 13 femmes et 5 hommes. Cette opération visait principalement les femmes politiques kurdes et les activistes de l’Association des femmes Rosa (RKD), du Mouvement des Femmes libres (TJA), du Parti démocratique des Régions (DBP) et du HDP. La police a également fait une descente au siège de la RKD et saisi les documents de l’association en l’absence de ses avocats. La RKD a été créée après que toutes les organisations de femmes de Diyarbakir aient été interdites et fermées sous le régime d’état d’urgence en 2016. C’était la seule organisation de femmes de la ville engagée dans le soutien aux femmes et la lutte contre les violences envers les femmes.
Plus récemment, le 26 juin, la police a arrêté au moins 42 personnes dans 7 villes lors d’une opération centrée sur Diyarbakir. 23 des détenus ont été inculpés et envoyés en prison le 29 juin. Parmi les détenus se trouvaient des administrateurs du DTK, du HDP, du DBP, de la RKD, et des membres de syndicats et d’ONG. Voici une liste de quelques détenus qui montre l’ampleur de l’opération :
Mme Jiyan Taş, membre du conseil présidentiel de la DTK
M. Hüseyin Kaya, membre du Conseil présidentiel de la DTK
Mme Rojda Barış, administratrice de l’Association des femmes de Rosa
Mme Naşide Toprak, Co-maire suspendue de Silvan (qui était déjà assignée à résidence),
Mme Sevil Rojbin Çetin, ancienne maire d’Edremit, membre du conseil des gouvernements locaux du HDP
Mme Leyla Bağatır, membre de l’assemblée du parti DBP
Mme Ayten Tekeş, administratrice de la Confédération des syndicats des employés du secteur public (KESK)
Mme Arin Zümrüt, membre du conseil d’administration de la Chambre des ingénieurs mécaniciens de Diyarbakır
Mme Makbule Özbek, membre de Mères pour la paix (72 ans, a de graves problèmes de santé)
Mme Selva Akkoyun, ancienne co-présidente du HDP dans le district de Kulp à Diyarbakir.
M. Suphi İzol, président du syndicat des employés de bureau (BES), branche de Diyarbakir M. Fesih Balbey, Conseiller municipal du district de Hazro (HDP)
M. Cahit Ay, Coprésident du HDP dans le district de Kocaköy, à Diyarbakir
La majorité des détenus étaient, là encore, des femmes. Et la police a été extrêmement violente. Nous aimerions ici attirer votre attention sur certains faits tirés du témoignage de l’ancienne maire HDP, Mme Sevil Rojbin Çetin, concernant les tortures et l’arrestation brutale dont elle a été victime. Avant d’être emmenée au poste de police, Mme Çetin a été torturée pendant trois heures et demie par une unité spéciale de la police dans son appartement où elle vit seule. La police a lâché deux chiens dans son appartement avant d’y entrer. Les chiens lui ont mordu les deux jambes, lui coupant presque la chair. Les policiers ont plaqué Mme Çetin au sol et l’ont battue à coups de crosse et de pied. Ils l’ont insultée avec un langage sexiste. Ils ont marché sur ses pieds et ses bras, l’ont cognée sur le visage, et l’ont rouée de coups. Ils lui ont fait des bleus sur tout le corps en la battant. Elle a une empreinte de pied sur le dos. Ils ont déchiré ses vêtements et l’ont photographiée à moitié nue, les yeux fermés. Les marques de torture sur son corps sont documentées dans un rapport médical.
C’est la deuxième fois en un mois que la police utilise des chiens pour torturer et détenir des personnes à Diyarbakir. Le 31 mai, la police a fait une descente avec des chiens dans la maison d’un couple avec trois enfants. Le couple a obtenu un rapport médical sur les morsures de chien et déposé une plainte pénale, mais en vain.
La criminalisation du DTK au cours des dernières années a finalement abouti à sa fermeture arbitraire dans le cadre de cette opération policière. Après la descente, la police a fermé le bâtiment du DTK, saisi ses biens et scellé ses portes, sans décision de justice. Fondé en 2007, le DTK a est une organisation faîtière dotée d’une assemblée générale pluraliste. C’est la plateforme démocratique la plus importante et la plus diversifiée de la région kurde. Parmi les délégués de son assemblée générale figurent des représentants de partis politiques tels que le HDP et le DBP, le mouvement des femmes, de nombreux syndicats, des organisations de la société civile, des conseils locaux, etc. Au cours des treize dernières années, il a mené des activités dans divers domaines allant de la santé publique, de l’éducation, de l’agriculture et de la démocratie locale aux droits des femmes, à la paix sociale et à la consolidation de la paix.
Le gouvernement a commencé à criminaliser le DTK et ses activités après la fin du processus de paix avec le mouvement kurde. La criminalisation a été alimentée pendant l’état d’urgence. De nombreux administrateurs du DTK ont déjà été arrêtés. Plus récemment, le 4 juin, sa coprésidente, Mme Leyla Güven, et un membre de son Conseil présidentiel, M. Musa Farisoğulları, tous deux députés du HDP, ont été déchus de leur mandat parlementaire et arrêtés (Mme Güven a été libérée plus tard). Malgré la criminalisation actuelle, le gouvernement AKP et les politiciens AKP ont communiqué avec le DTK en tant qu’interlocuteur légitime sur diverses questions politiques dans le passé. Par exemple, lorsque des pourparlers de paix secrets étaient en cours en 2012, M. Cemil Çiçek, alors président du Parlement turc, a officiellement invité le DTK à exprimer ses idées et suggestions pour une nouvelle constitution.
Nous considérons ces détentions et arrestations continues, l’augmentation de la violence d’État ou la fermeture d’un congrès dont les activités ont toujours été transparentes comme des signes du désespoir du gouvernement. Peinant de plus en plus à obtenir l’adhésion de ses citoyens et à reproduire sa légitimité démocratique, en particulier dans les provinces kurdes, le gouvernement a fait usage de la force brute pour maintenir son pouvoir. Comme nous l’avons déjà dit, nous nous attendons à ce que le gouvernement soit plus répressif envers l’opposition démocratique, le HDP et les Kurdes en particulier, en raison de l’aggravation des instabilités politiques et socio-économiques dans le contexte de pandémie. Alors que nous nous rapprochons de l’inévitable et ultime bataille politique avec le président Erdoğan et ses alliés, le HDP reste toujours plus engagé dans sa lutte politique acharnée pour un avenir libre, démocratique et pacifique.
Feleknas Uca et Hişyar Özsoy, Co-porte-paroles du HDP pour les affaires étrangères