TURQUIE / BAKUR – La nuit dernière, le pouvoir turc a arrêté deux députés kurdes élus démocratiquement, envoyant un message de guerre à des millions de Kurdes du pays en violant leur droit d’élire leurs représentants politiques.
« Nous sommes confrontés à un fascisme qui vise les tombes, les cadavres et l’existence des Kurdes. Face à ces actes, la levée de notre immunité parlementaire n’a pas beaucoup d’importance. Nous partageons toutes les souffrances de notre peuple. Nous avons vécu toutes sortes de souffrances avec notre peuple. C’est pourquoi il s’agit d’une crise de volonté, d’un fascisme et d’un coup d’État ». Leyla Guven
En Turquie, la lutte pacifique du peuple kurde a toujours été réprimée violemment par le pouvoir. Ceci, depuis la création de l’Etat fasciste turc qui ne reconnait que la « race » turque, la langue turque, l’islam sunnite… et qui détruit tous les peuples et minorités ethniques, confessionnelles, linguistiques du pays.
L’arrestation des députés kurdes d’HDP, Leyla Guven et de Musa Farisoğulları la nuit dernière n’est qu’une énième arrestation d’élus kurdes pour fermer la scène démocratique aux Kurdes de Turquie. Après les massacres de masses visant les Kurdes dans les régions de Dersim et de Zilan dans les années 1930, les Kurdes avaient réussi à entrer sur la scène politique « turque » à partir des années 1980, en élisant des députés et des élus locaux, malgré d’innombrables assassinats et arrestations de ses élus et la fermeture de ses partis politiques les uns après les autres.
De Leyla Zana à Leyla Guven, 30 ans de répression de la volonté démocratique du peuple kurde
La première députée kurde, Leyla Zana est devenue une personnalité emblématique kurde qui a passé 10 ans en prison pour avoir prononcé un message de paix en kurde (« Vive la paix entre les peuples kurde et turc ») lors de la cérémonie de prestation de serment de député en 1991.
30 ans après les persécutions vécues par Leyla Zana, une autre députée kurde qui porte le même prénom, Leyla Guven retourne en prison alors qu’elle a été emprisonnée de décembre 2009 à juin 2014, à la suite d’une opération visant les personnalités politiques, puis en janvier 20184, pour avoir critiqué l’invasion du canton d’Afrin. Elle a été libérée le 25 janvier 2019 après avoir été élue députée en juin 2018, et alors qu’elle menait une grève de la faim depuis novembre 2018, pour protester contre l’isolement imposé à Abdullah Öcalan. Une grève qu’elle a arrêtée en mai 2019.
Depuis la nouvelle vague d’arrestations qui frappent les députés et élus locaux du peuple kurde sous les étiquettes des partis HDP et son équivalant régional kurde DBP, des milliers d’élus municipaux, de responsables politiques ainsi que des députés d’HDP et des membres DBP ont été emprisonnés illégalement. Ils sont tous accusés de faire de la propagande terroriste ou de soutenir ou diriger des « organisations terroristes » car ils défendent les droits élémentaires du peuple kurdes, dont le droit de parler sa langue maternelle.
Ce nouvel offensif visant la volonté du peuple kurde ouvre la voie de nouveau à de nombreuses années de lutte armée, de conflit et de souffrance, car le pouvoir turc ne laisse aucun moyen d’expression démocratique aux demandes du peuple kurde en Turquie.
Ce jeudi 4 juin, le Parlement turc a approuvé la levée d’immunité parlementaire des députés du HDP (Parti démocratique des peuples) Leyla Güven, Musa Farisoğulları et le député du CHP (Parti républicain du peuple) Enis Berberoğlu. (Les trois députés ont été arrêtés hier soir.)
Leyla Guven avait déjà été emprisonnée par le passé et d’ailleurs, elle avait été élue députée d’HDP alors qu’elle était encore en prison où elle a mené une grève de la faim de près de 6 mois.
Avant son arrestation, Leyla Güven a qualifié la levée d’immunité parlementaire qui visait les 3 députés de « coup d’État » qui n’est qu’une énième tentative de chasser les Kurdes de la scène politique.
Güven a déclaré que cette décision s’inscrivait dans le prolongement du « plan d’effondrement » du mouvement politique kurde adopté lors de la réunion du Conseil national de sécurité (MGK) le 30 octobre 2014.
« La haine anti-kurde »
Rappelant le coup d’État du 2 mars 1994 contre les députés, dont Leyla Zana, du parti kurde DEP (Parti de la démocratie), Güven a déclaré : « La levée de l’immunité parlementaire est une continuation du coup d’État politique qui a commencé le 2 mars 1994, s’est poursuivi le 4 novembre 2016 (lorsque les coprésidents et les députés du HDP ont été arrêtés) et a récemment repris avec la saisie des municipalités du HDP. Il s’agit d’une politique de liquidation, d’inimitié envers les Kurdes et d’une tentative de couper la politique kurde des bases démocratiques. Elle vise à briser l’insistance des Kurdes pour la politique démocratique. C’est la limite imposée aux Kurdes : « vous n’êtes pas vous-même, vous existerez tant que vous vous déplacerez dans les limites que j’ai établies, sinon je ne reconnaîtrai pas votre volonté ». C’est une étape pour briser la volonté des citoyens d’Hakkari et d’Amed (Diyarbakır) ».
« L’alliance AKP-MHP encouragée par le CHP »
Güven a critiqué le CHP qui a voté « oui » pour la levée de l’immunité parlementaire lors de la session tenue à l’Assemblée générale le 20 mai 2016. Elle a déclaré : « Si le CHP avait évité une telle position avant le 4 novembre, s’il avait manifesté une attitude plus ferme, l’AKP et le MHP ne seraient pas en mesure d’oser cela aujourd’hui. Ils sont en effet encouragés par cet acte du CHP. Lorsque le Parlement a approuvé la révocation de l’immunité parlementaire avec le CHP comme partenaire, il était évident que ce que nous vivons aujourd’hui se produirait effectivement ».
« C’est un coup d’Etat »
Güven poursuivit : « Nous sommes confrontés à un fascisme qui vise les tombes, les cadavres et l’existence des Kurdes. Face à ces actes, la levée de notre immunité parlementaire n’a pas beaucoup d’importance. Nous partageons toutes les souffrances de notre peuple. Nous avons vécu toutes sortes de souffrances avec notre peuple. C’est pourquoi il s’agit d’une crise de volonté, d’un fascisme et d’un coup d’État (…) ».