Quand on parle des femmes qui ont rejoint la lutte armée du mouvement national kurde, on s’arrête souvent à l’histoire du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), dont la cofondatrice, Sakine Cansiz fut à l’origine de la création de la branche armée féminine* du PKK en 1987. Pourtant, il y a une femme kurde qui a pris les armes en 1920, lors de la révolte de Koçkiri et de Dersim contre l’empire ottoman afin de libérer le Kurdistan de l’impérialisme turc, bien avant que le monde parle des femmes combattantes kurdes qui ont terrassé DAECH au Rojava, dans le nord de la Syrie…
Les révoltes de Dersim-Koçkiri : premiers soulèvements nationaux kurdes
Au lendemain de la chute de l’empire ottoman, le nouveau dirigeant turc, Mustafa Kemal (Ataturk), revient sur le Traité de Sèvres, conclu le 10 août 1920 et qui prévoyait un Etat kurde, en plus d’un Etat arménien, dans l’Est et le Sud-Est de l’Anatolie. Ataturk, dans la continuité de nettoyage ethnique et confessionnel de tous les peuples qui ne sont pas turcs et sunnites mis en place par les Jeunes Turcs**, dès les années 1890.
C’est dans ce contexte que des leaders kurdes tentent de s’organiser pour libérer le Kurdistan de l’impérialisme turc qui a déjà ravagé la région tant il a commis des massacres et des déportations contre les Arméniens, les Syriaques, les Yézidis, les Kurdes – dont les Kurdes-alévis Kizilbash – au fil des siècles. Ainsi, la révolte de Koçgiri*** – rejoint par les tribus de Dersim, entre dans l’histoire comme étant le premier soulèvement national kurde réunissant des tribus kurdes, quelques soient leur appartenance religieuse, grâce aux membres de la « Société pour la Naissance du Kurdistan (Kürdistan Teali Cemiyeti – KTC).
Zarife Khatun: La première femme combattante kurde
Lors de ce premier soulèvement kurde, on voit une femme apparaître pour la première fois sur la scène militaire kurde. C’est Zarife Xatun (Khatun). Elle est également l’épouse de l’officier kurde Alişer, le bras droit de Mustafa Paşa, le commandant général de la révolte de Koçgiri.
Zarife Xatun et ses compagnons d’armes ont mené une résistance héroïque face à la suprématie militaire turque, tant en nombre de soldats qu’en armes. Malgré l’écrasement de la révolte de Koçgiri, les leaders kurdes ont continuent la lutte notamment à Dersim qui fut à son tour écrasée par un génocide en 1938. La plupart des dirigeants de ces révoltes ont été capturés, certains ont été pendus, d’autres, dont Alişer et Zarife, le 9 juillet 1937, ont été décapités…
Alişer et Zarife
On rapporte que Zarife a montré une bravoure sans faille tout au long des combats et que Zarife et son époux Alişer s’interpellaient par le mot « heval » (camarade, au masculin) et « hevalê » (camarade, au féminin), comme pour montrer que la lutte de libération du Kurdistan était au-dessus de tout, y compris l’amour entre deux époux… C’est pourquoi, Zarife doit être considérée comme la première combattante kurde de l’histoire kurde, bien avant Sakine Cansiz qui a laissé un héritage féministe immense derrière elle.
*Sous l’impulsion du chef du PKK, Abdullah Ocalan, Sakine Cansiz a fondé l’Union des femmes patriotes du Kurdistan (Yekîtiya Jinên Welatparêzen Kurdistan, YJWK) en 1987.
Puis, lors du premier Congrès national des femmes – exclusivement féminin en 1995, les femmes combattantes d’YJWK ont créé les Unités des femmes libres du Kurdistan (Yekîtiya Jinên Azad a Kurdistan, YJAK), la branche armée strictement féminine. En 1999,elles ont fondé le Parti des femmes travailleuses du Kurdistan (Partiya Jinên Karkerên Kurdistan, PJKK), avant de changer de nom et de finalement devenir les unités de femmes libres (Yekîneyên Jinên Azad ên Star – YJA STAR) en 2000.
**Les Jeunes-Turcs étaient un parti politique nationaliste ottoman, officiellement connu sous le nom de Comité Union et Progrès (İttihat ve Terakki Cemiyeti – CUP)
***Même si certains présentent la révolte de Koçgiri comme un soulèvement alévi, on sait que ses dirigeants – bien qu’issus des tribus kurdes-alévis – exigeaient un Kurdistan autonome et qu’elle n’avait aucune motivation confessionnelle.
****La révolte de Koçgiri fut dirigée par Mustafa Paşa, chef de la confédération des Tribus du Koçgiri. Celle de Dersim fut dirigée par Cheikh Seyid Riza qui a été pendu avec un de ses fils.