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Le Rojava à l’heure de la pandémie du coronavirus

SYRIE / ROJAVA – A l’heure où toute l’humanité a le souffle coupé devant l’ampleur de la pandémie du Covid-19 qui continue à déjouer les « pronostiques », à l’heure où nous sommes confinés en masse en attendant que « ça passe », au Rojava, une région du monde où un nouveau modèle de société est né au milieu de la guerre et l’embargo, les Kurdes et leurs alliés tentent de se protéger du coronavirus en innovant aussi dans le domaine de la santé.

Voici un rapport détaillé réalisé par la journaliste India Ledeganck, dans la Syrie du Nord et de l’Est, pour voir qu’au Rojava, on prend la pandémie du coronavirus très au sérieux et on ne rechigne pas sur l’effort pour protéger la population :

La crise du coronavirus dans la Fédération Démocratique de Syrie du Nord

La Fédération Démocratique de Syrie du Nord se prépare à l’arrivée imminente du virus Covid-19 alors que le premier cas de contamination dans les régions propres au régime de Bachar a été confirmé à Damas le 22 février 2020. L’administration autonome a rapidement mis en place une série de dispositions afin de faire obstacle à l’introduction du virus au Rojava et à défaut de ralentir sa propagation.

La rédaction de cet article est basée sur les interviews de Mme. la coprésidente d’Heyva Sor a Kurdîstanê Mme. Jamîla Hamî et de Mr. le coprésident du comité de santé, le Dr. Mustafa Ciwan. Les informations ont été étayées d’un côté par la rencontre de journalistes et d’organisations locales, de l’autre par de précédents rapports effectués sur le terrain.

La situation de la Fédération Démocratique de la Syrie du Nord

A ce jour, parmi les 600 tests effectués sur les cas suspectés, aucun ne s’est révélé positif. Les inquiétudes sont cependant vivaces au vu de la crise sanitaire à venir. Un rapport du Rojava Information Center publié le 5 avril atteste des nombreuses difficultés auxquelles la fédération se confronte pour contrôler le coronavirus. Le manque de moyens et d’aide internationale, la présence de nombreux camps de réfugiés et de prisons surpeuplées où premièrement les conditions d’hygiène sont désastreuses et où deuxièmement la distanciation sociale ne peut pas être respectée rendent extrêmement difficile la non-prolifération du virus, l’identification de celui-ci et l’assistance aux personnes infectées.

En parallèle, la ville d’Hasake et ses régions aux alentours font face à de graves coupures d’eau depuis l’invasion de Serîkanîye par l’Etat turc. En effet, la station d’eau d’Allouk alimentant la ville est dorénavant sous son contrôle turc. Heyva Sor, le croissant rouge kurde, s’attend à devoir amener l’eau en camion, parfois depuis Qamîşlî, pour pouvoir alimenter ses dispositifs.

Il est très difficile pour l’administration autonome d’avoir une vue à long terme, car elle ne dispose pas d’informations fiables concernant la situation en Syrie. Mr. Ciwan Mustafa, le co-président du comité de santé, relève que les chiffres divulgués sont peu vraisemblables : « Un cas à Homs, un cas à Damas, … ce n’est tout simplement pas possible dans la logique d’une diffusion virale ». De plus, le nombre de cas semble assez désuet alors même que la Syrie entretient des liens étroits avec l’Iran, pays fortement touché par la pandémie.

Les actions menées

La Fédération Démocratique de Syrie du Nord a fermé le poste frontière entre l’Irak et le Rojava à Faysh Khabur depuis le 1er mars 2020. Les routes reliant les zones du régime et le Rojava sont elles aussi contrôlées. Les rues sont désinfectées et un confinement a débuté le 23 mars et est prévu jusqu’au 21 avril. Newroz, le nouvel an kurde qui se déroule le 21 mars a été annulé. Des campagnes d’une part de sensibilisation aux bonnes mesures d’hygiènes à adopter, d’autre part d’information sur le virus, son développement et sa transmission ont été effectuées, notamment au sein des camps de réfugié.e.s. Quatre numéros d’urgence et deux centres pour former les docteur.oresse.s et infirmier.ère.s ont été créés. Les deux centres sont basés à Hasake et Qamîşlî. Des respirateurs et des masques sont conçus dans le canton de Cêzîreh pour pallier le manque d’équipements. Effectivement, le Rojava ne dispose pour l’instant que de 27 respirateurs. Concernant la mise en quarantaine pour les futur.e.s malades, deux centres seront prêts dans les jours prochains. Heyva Sor a pu mettre à disposition 120 lits et le comité de la santé 200 lits.

Les tests effectués

Le personnel médical utilise des tests locaux, issus d’une collaboration entre le comité de santé et l’institut de recherche suédois PEAS. Développé initialement pour la détection de maladies respiratoires, ces tests ont par la suite été améliorés pour identifier le Covid-19, et ce avec un taux de fiabilité de 80%. Il s’agit d’un test salivaire qui affiche les résultats après 30 secondes. Si le test est négatif, un deuxième test est effectué 72 heures plus tard. Si celui-ci est positif, il sera confirmé par un test PCR (réaction en chaîne par polymérase), plus fiable, afin d’éviter les faux positifs. La confirmation est réalisée par deux analyseurs PCR fournit au Rojava le 12 avril par le Kurdistan irakien. Selon le Rojava Information Center, deux analyseurs PCR étaient présentes dans l’hôpital de Serîkanîye. Celles-ci ne sont malheureusement plus disponibles depuis l’invasion de la région par les forces turques.

Pour pouvoir confirmer l’immunité et en vue d’établir un diagnostic plus précis de certain.e.s patient.e.s, l’administration autonome s’est adressée à Damas pour tester des échantillons de sang dans les laboratoires de la capitale syrienne. L’Organisation Mondiale de la Santé, qui a servi de médiatrice entre la Fédération Démocratique de Syrie du Nord et le Régime syrien de Bachar al Assad, n’a cependant pas reçu de réponses de la part du régime. Ceci amène à politiser la pandémie dans une situation déjà sous tensions entre les deux parties. Le Rojava a de plus subi une énième provocation après l’atterrissage à l’aéroport de Qamîşlî de deux avions provenant de Damas, rompant donc l’accord entre les deux parties qui stipulait l’annulation des vols civils internes durant le confinement. Seuls 60 civils ont pu être testés par l’administration autonome sur les 300 personnes débarquées, ce qui fait craindre une probable contamination.

Recto et verso du test rapide avec la languette correspondante

L’aide internationale

Mme. Jamîla Hamî sait qu’ils.elles ne pourront compter que sur eux.elles-mêmes : « Nous rencontrons l’Organisation Mondiale de la Santé, ils nous font des promesses mais rien ne se passe. Par contre, l’OMS travaille avec le régime ». Comme le montre le rapport du Rojava Information Center, l’OMS a offert 1200 tests au régime, mais aucun à la Fédération autonome. « Ce n’est pas normal que l’OMS travaille juste avec Damas » a déclaré le Dr. Mustafa Ciwan. L’OMS, agence spécialisée des Nations-Unies, refuse d’aider directement la Fédération Démocratique de Syrie du Nord suite au manque de reconnaissance dont elle fait preuve par la communauté internationale. Le Directeur général de l’OMS, Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus, a pourtant appelé à la solidarité internationale : « Le virus se propage actuellement dans des pays dont les systèmes de santé sont faibles, y compris certains qui sont déjà confrontés à des crises humanitaires. Ces pays ont besoin de notre soutien – par solidarité mais aussi pour nous protéger tous et contribuer à éradiquer cette pandémie. ». En définitive, choisir d’apporter un soutien uniquement à Damas contredit l’objectif principal de l’OMS qui est la couverture de santé universelle.

Heyva Sor a Kurdistanê s’attend de son côté à recevoir dans les prochains jours une aide financière du Croissant Rouge installé dans les pays européens, mais elle reste très limitée comparée aux besoins. La situation d’autant plus critique que la majorité du personnel des Organisations Non-Gouvernementales ont fui en octobre 2019 lors de l’invasion de Sêrîkanîye et que 50% du budget du comité de santé est alloué au Covid-19.

Conclusion

 

Mr. le coprésident du comité de santé, le Dr. Mustafa Ciwan. A sa droite, Mme. la coprésidente d’Heyva Sor a Kurdîstanê, Mme. Jamîla Hamî.

Comme le souligne Mme. Jamîla Hamî, le Covid-19 n’efface en rien la guerre menée par l’Etat turc. Au contraire, le virus Covid-19 est utilisé par ce dernier à l’encontre des peuples du Rojava. Selon la coprésidente d’Heyva Sor a Kurdîstanê et le coprésident du comité de la santé, la Turquie a converti l’hôpital Roj de Serîkanîye en centre de quarantaine pour les personnes infectées du virus provenant de zones éloignées. Ces transferts de patient.e.s, qui ne seraient dès lors pas réalisés pour réguler les hospitalisations mais bien pour éloigner les contaminé.e.s des sols turcs, mettent en danger la population environnante. Pour le Dr. Ciwan, il s’agit d’un nouveau crime commis par l’Etat turc à leur encontre. 

« C’est une situation extrêmement difficile mais nous devons l’affronter. Nous ne pouvons pas nous asseoir et attendre de l’aide. Nous espérons qu’un jour nous pourrons penser à autre chose que la guerre : comment améliorer notre système de santé par exemple » déclare Mme. Jamîla Hamî. Il reste à l’Organisation Mondiale de la Santé de reconsidérer sa position de manière à proposer un soutien qui se veut juste et direct à la Fédération Démocratique de Syrie du Nord.