AccueilKurdistanBakurL'inondation d'Hasankeyf : "Cela aura un prix", dit le NASA

L’inondation d’Hasankeyf : « Cela aura un prix », dit le NASA

TURQUIE / BAKUR – Le barrage Ilisu construit sur les rives du Tigre près de la région kurde de Batman a englouti un joyau de l’humanité nommé Hasankeyf : une ville antique de plus de 12 000 ans. Hasankeyf avait accueilli de nombreuses civilisations telles que les Sumériens, les Assyriens, les Babyloniens, les Byzantins, les Omeyyades, les Abbassides, les Artuqides, les Kurdes, etc. A Hasankeyf, la Turquie a commis un écocide doublé d’un ethnocide.

 
En plus d’Hasankeyf, où plus de vingt cultures ont laissé leur empreinte au fil de 12 000 ans d’histoire – que l’UNESCO aurait dû inscrire sur sa liste des sites protégés – le barrage Ilisu a également englouti près de 200 villages, chassant de leurs terres des dizaines de milliers de Kurdes, les ennemis jurés de l’Etat turc qui voudrait mettre fin à leur existence par tous les moyens…
 
Des vestiges de cultures passées ont été préservés pendant des milliers d’années à Hasankeyf, qui a été absorbé par l’Empire ottoman dans les années 1500 et est resté une partie de la Turquie depuis. Mais ces artefacts – des milliers de grottes artificielles et des centaines de monuments médiévaux bien conservés – pourraient bientôt engloutie sous les eaux du barrage Ilisu.
 
Situé à environ 56 kilomètres en aval d’Hasankeyf, le barrage d’Ilisu d’environ 135 mètres de haut devrait fournir 1200 mégawatts d’électricité (environ 1,5% de la capacité totale de production d’électricité de la Turquie). Le barrage fait partie du projet turc du sud – est de l’Anatolie , qui comprend 19 centrales hydroélectriques et 22 barrages sur les fleuves Tigre et Euphrate. L’effort est conçu pour aider à promouvoir la croissance économique et l’indépendance énergétique du pays. Mais il y aura également un prix.
 
Retenant l’eau du Tigre, le barrage d’Ilisu créera un réservoir couvrant 190 kilomètres carrés de terrain. Lorsqu’il atteindra sa capacité maximale, le réservoir submergera presque complètement Hasankeyf et déplacera plus de 70 000 personnes. De plus, le barrage réduira l’approvisionnement en eau de la Syrie et de l’Irak.
 
Les images en couleurs naturelles ci-dessus montrent Hasankeyf le 22 février 2019 (à gauche) et le 12 mars 2020 (à droite). Les images ci-dessous montrent la zone près du barrage d’Ilisu (situé plus en aval) aux mêmes dates. Le réservoir a commencé à se remplir en juillet 2019. Ces images ont été acquises par l’ Operational Land Imager (OLI) sur Landsat 8.
 
En février 2020, le niveau du barrage augmentait à un rythme d’environ 15 centimètres par jour. Le réservoir n’est rempli qu’à environ un quart et devrait augmenter encore de 50 mètres dans les prochains mois – suffisamment pour submerger des milliers de grottes à proximité et presque toute la forteresse Hasankeyf.
 
Certaines structures historiques (y compris une tombe, une mosquée et un ancien bain) et tous les résidents ont été transférés dans une nouvelle ville sur une colline voisine appelée Nouvelle Hasankeyf (ou Yeni Hasankeyf). Une fois le réservoir plein, un système de ferry fera la navette entre la nouvelle ville et ce qui reste au-dessus de l’eau à Hasankeyf. Image et info via NASA – La National Aeronautics and Space Administration (en français : l’Administration nationale de l’aéronautique et de l’espace)
 

Pourquoi le barrage Ilisu est un écocide doublé d’un ethnocide ?

Premièrement, Hasankeyf (Heskîf en kurde) est le patrimoine culturel de l’humanité avec ses plus de 12 000 ans d’histoire laissée par de nombreuses civilisations successives. Hasankeyf compte plus de 5000 grottes, 300 monticules et n’a pas encore livré tous ses secrets, fautes de fouilles archéologiques…
 
Deuxièmement, ce grand barrage d’Ilisu va chasser de leurs terres les populations qui vivent dans cette région depuis des millénaires. (On parle de plusieurs milliers de personnes ainsi déracinées de la région qui sera inondée par le barrage.)
 
Troisièmement, la réduction du débit des eaux du Tigre asséchera les marais située dans le sud de l’Irak causant une autre catastrophe écologique dans une région déjà dévastée par les changements climatiques et sécheresses répétées, tandis que la nature d’Hasankeyf sera engloutie par l’eau alors que la Turquie l’avait déclarée « zone de conservation naturelle » en 1981.
 
Quatrièmement, avec ce barrage, l’État turc prendra le contrôle des ressources en eau et sera en mesure de couper l’eau du Tigre à tout moment, affectant ainsi l’Irak. L’eau est très importante non seulement pour les Kurdes, mais aussi pour les Arabes et l’Irak. L’eau du Tigre ne doit pas être une arme de guerre laissée entre les mains du pouvoir turc.