PARIS – Aram Taştekin n’a que 32 ans, mais de ses épaules tombe une poussière centenaire chargée d’une tragédie nommée Kurdistan. Aram est le conteur kurde des temps modernes, assis sur une montagne d’histoires accumulées au fil des âges, faisant de lui le gardien de la mémoire collective kurde. Une mémoire orale qu’il retransmet au public en tant que comédien hors-pair, tout en la posant sur le papier en parallèle. L’enfant à mille et une blessures, Aram dont la devise est la résilience, s’est réfugié dans l’humour et les mots pour échapper aux maux qui le rongent depuis trop longtemps.
Aram Taştekin est un enfant kurde écorché vif, dont les yeux ont vu des horreurs semblables à celles qu’on voit dans des films de fictions interdits aux moins de 18 ans. En effet, l’enfant Aram a assisté à la torture des habitants de son village qui a été incendié par l’armée turque. Il a connu le génocide linguistique, l’exil forcé et de nombreuses arrestations à cause de son identité kurde. Et enfin, pour échapper à plus de 7 ans de prison à cause de ses activités artistiques au sein du théâtre municipal de Lice, dans la province d’Amed (Diyarbakir), il s’est réfugié en France avec l’aide d’un ami français, en 2017.
Aujourd’hui, « installé » à Paris, Aram ne sait plus où donner la tête entre son spectacle « Happy Dreams*, une histoire kurde » qui est joué dans plusieurs villes françaises, les invitations aux festivals, des cours de théâtres donnés à des artistes exilés à l’Atelier des artistes en exil et à des réfugiés à la Maison des Métallos, la rédaction de sa thèse universitaire pour son Master Théâtre qu’il suit à l’université PARIS VIII.
Révolté par l’interdiction faite par les autorités turques de parler sa langue maternelle, Aram s’est mis à écrire ses textes exclusivement en kurde, il s’est réfugié dans sa langue maternelle et a voulu la faire vivre envers et contre tous. Aujourd’hui, il écrit ses textes en français car il monte sur la scène en France.
Malgré sa souffrance due à sa condition d’exilé, Aram n’est pas un homme à pleurer sur son sort et à rester à ne rien faire. En effet, en plus de toutes ses activités artistiques actuelles, Aram a un projet de création théâtral qui a pour sujet la vie d’Evdalê Zeynikê, un grand dengbêj (barde) kurde qui a vécu au XIXe siècle et qu’on l’avait surnommé l’Homère kurde) à l’université Paris VIII pour la saison 2020-2021. Pour l’anecdote, lors d’un concours de contes, Evdalê Zeynikê a battu le conteur officiel du Shah de l’Iran qui a tué son conteur après sa défaite. Aram a également un projet de livre autour des récits kurdes et pourquoi pas un film à terme.
De quoi parle « Happy Dreams*, une histoire kurde » ?
Dans « Une histoire kurde », drôle et touchant à la fois, Aram Tastekin nous emmène dans son village montagneux de Xarabguryan, au fin fond du Kurdistan, où un gamin de 6 ans découvre que sa langue maternelle est interdite, qu’être Kurde l’est également. Il voit un de ses cousins rejoindre la guérilla kurde. Il apprend que, bien qu’il s’appelle Aram, il est « Ikram » pour l’Etat turc, que même la montagne de son village a deux « prénoms », un en kurde, l’autre en turc… Aram assiste à l’incendie de son village par les soldats turcs qui vident le village.
Aram doit s’adapter à sa nouvelle vie citadine à Diyarbakir (Amed). Un fois ado, il part en cachette à Antalya où il travaille comme animateur pour enfants de touristes dans le grand hôtel « Happy Dreams ». Un voyage qui se termine quand Aram rencontre une troupe de théâtre kurde…
Malgré son sujet lourd, « Happy Dreams, une histoire kurde » nous fait rire grâce aux anecdotes – parfois drôles, souvent absurdes – qu’Aram nous raconte. Par exemple, l’obsession d’être un « vrai » Kurde (même pour sa mère à la colère terrible qui est une arménienne « auto-assimilée »), l’histoire ubuesque de trois bouteilles de coca, le petit garçon qui doit dire aux soldats turcs qu’il ne parle pas le turc, mais en turc, le spectacle « Un Kurde sur Mars » de sa troupe de théâtre qui fait un tabac à cause de son titre que l’armée turque considère comme un message subliminal faisant la propagande du PKK…
Lors du spectacle, on peut aussi entendre Aram chanter, en kurde et en turc, accompagné par le musicien Neşet Kutas qui joue de la tembûr et des percussions.
On peut voir ce spectacle au théâtre Kibélé, à Paris, le 3 avril prochain.