En l’an 2000, l’UNESCO a proclamé le 21 février « La Journée internationale de la langue maternelle ». Depuis, chaque 21 février, les Etats-membres qui siègent à l’UNESCO célèbrent cette journée pour promouvoir la diversité linguistique et culturelle et le multilinguisme. La Turquie fait partie des Etats siégeant à l’UNESCO mais elle refuse aux Kurdes d’avoir un enseignement dans leur langue maternelle à l’intérieur de ses frontières. Elle est même gênée d’entendre le kurde ailleurs dans le monde…
Les Kurdes victimes d’un génocide linguistique
Les Kurdes vivant dans les régions occupées par l’État turc où un génocide ethnique, culturel et linguistique est en cours depuis près d’un siècle, subissent de plein fouet l’interdiction de parler leur langue. En effet, les Kurdes ne peuvent recevoir un enseignement en langue kurde, ne peuvent faire leur défense devant la justice, etc. ni même prétendre qu’ils ont une langue qui s’appelle le kurde car la Turquie nie l’existence même de cette langue millénaire et la fait passer dans registres comme « langue X » (X comme pour dire « inconnue ») !
Pour « couper » la langue kurde à la racine, dès les années 1980, l’État turc avait décidé de créer des internats pour les enfants kurdes Dès l’âge de 7 ans, les Kurdes passaient leur année scolaire en internat à la merci des enseignants et des surveillants dont la mission était d’inculquer la langue turque à des enfants qui n’en connaissaient pas un mot et de les turquifier en les coupant de leur familles, leur culture, leur langue.
Cette décision mise en oeuvre a plutôt réussi, avec des effets dévastateurs qu’on peut facilement deviner sur le plan psychique et/ou socio-culturel chez les enfants kurdes et les adultes qu’ils sont devenus.
Dans les autres parties du Kurdistan, en Irak, Iran et Syrie, on avait à peu près les mêmes interdictions. Aujourd’hui, au Kurdistan autonome d’Irak et au Rojava, on enseigne en langue kurde tandis qu’en Iran, le kurde continue à être criminalisé… C’est pourquoi, aujourd’hui beaucoup de Kurdes, ceux en Turquie essentiellement, ne parlent plus leur langue mais ils sont nombreux à lutter pour avoir le droit de la réapprendre et de la parler; de s’approprier de nouveau leur musique, leurs us et coutumes, pillés et interdits par leurs colonisateurs. Le prix à payer pour les Kurdes, afin d’obtenir ce qu’ils veulent, reste très élevé. Cela coûte souvent des vies mais ils restent déterminés.
Pour finir avec les droits ou interdits concernant les langues, voici une histoire écrite par un écrivain kurde qui relate l’interdiction du kurde et ce qui nous attendait si on la bravait.
« Un pain en turc » ou comment interdire aux Kurdes de parler leur langue maternelle
Nous sommes dans les années 1980, dans une région kurde sous occupation turque. Un paysan court à la boulangerie de son village au retour de son champ et voudrait acheter un pain avant le coucher du soleil qui est proche, car dans cette région kurde, l’Etat turc a décrété un état d’urgence avec couvre-feu au couché du soleil. Le paysan lance à la hâte « ka nanakî, bi tirkî.* » en kurde, qu’on pourrait traduire en « un pain, en turc. » Ce pauvre paysan ne sait pas parler le turc mais il faut bien qu’il achète son pain d’une façon ou d’une autre.
Maintenant, imaginons un instant que cette scène ait lieu en France, pendant l’occupation nazi : Un paysan corrézien de retour de son champ, court à la boulangerie de son village. Le soleil va bientôt se coucher, or, il y a le couvre-feu à la tombée de nuit. Les Nazis ont interdit de parler le français et ont imposé la langue allemande dans tout le pays mais notre paysans corrézien ne parle pas un mot d’allemand. Alors, il dirait, vraisemblablement : « Un pain, en allemand. »
En effet, l’État turc avait interdit le kurde dans tout le pays, y compris dans les régions kurdes et ce, depuis la création de la Turquie en 1923. Même au sein de leurs foyers, les Kurdes ne pouvaient parler leur langue sous peine d’être arrêtés et/ou torturés, en plus de payer une amende. (L’Ėtat turc avait dépêché des fonctionnaires à cet effet dans tout le Kurdistan.)
Encore aujourd’hui, en Turquie, la langue kurde reste interdite, même si dans le cadre de la vie privée on peut la parler…
* « Ka nanakî bi tirkî / Bana türkçe bir ekmek ver » est le nom d’une nouvelle de Cezmi Ersöz, écrivain et journaliste kurde.