Cachez ce mot qu’on ne saurait voir. Le mot « Kurdistan » a été censuré dans la traduction turque du livre « Onze Minutes » de Paulo Coelho. Ce qui est le plus dangereux en Turquie, c’est quand ce sont les Kurdes qui disent « Kurdistan ». Alors, que se passe-t-il quand vous dites ce mot en Turquie ? Voici un guide fort utile pour éviter les ennuis au pays des absurdes…
Une famille kurde du Kurdistan d’Irak a acheté des billets d’avion pour İstanbul au départ de Stockholm. Ils allaient passer à Erbil en transit. Mais il y avait un problème : l’un des enfants de la famille s’appelait « Kurdistan ». Un employé de Turkish Airlines a arrêté la famille et leur a dit : « Désolé, mais vous ne pouvez pas entrer en Turquie avec ce prénom », leur refusant l’entrée au pays. Les gros titres disaient : « Il n’y a pas de place pour le Kurdistan. »
Le mot Kurdistan est également dangereux lorsqu’il ne désigne pas une zone géographique. Mais le plus important, c’est qui prononce le mot « Kurdistan ».
Le candidat de l’AKP peut dire « Kurdistan », mais pas les jeunes Kurdes
Par exemple, Binali Yıldırım, le candidat au poste de maire de İstanbul du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, a déclaré « Kurdistan » lors d’un rassemblement à Diyarbakir (Amed) avant les élections du 23 juin et quand on lui a posé des questions à ce sujet, il a répondu : « Le mot Kurdistan est le mot que Mustafa Kemal Atatürk utilise pour les représentants venus de la région pendant la lutte pour l’indépendance avant la fondation de la république. »
Cependant, pour l’Association du mouvement de la jeunesse du Kurdistan dans la même ville, le ministère de l’Intérieur a déclaré : « Utiliser le mot « Kurdistan » est une infraction à l’article 14 de la Constitution et à l’article 302 du Code pénal turc. Il ne peut pas être utilisé au nom d’une association. » Une poursuite a été intentée contre l’association.
En Turquie, les Kurdes ne peuvent pas dire « Kurdistan » s’il ne sert pas à « un processus » ou à « une politique », mais les premiers ministres le peuvent.
Le président et leader de l’AKP, Recep Tayyip Erdoğan a déclaré en 2013 alors qu’il était premier ministre :
« Aujourd’hui, quelle que soit l’opposition du MHP et du CHP, ils verront ce à quoi ils s’opposent dans les premiers comptes rendus parlementaires, dans les discours de (…) Mustafa Kemal Atatürk. Ils verront les mots « Kurde, Géorgien, Arabe, Laz, » le mot « Kurdistan » dans ces comptes rendus parlementaires. »
Les journalistes kurdes ne peuvent pas dire « Kurdistan », les journalistes pro-gouvernementaux le peuvent
Un procès a été intenté contre le journaliste Mehmet Sanri pour avoir partagé un discours du regretté cinéaste Yılmaz Güney où il avait prononcé le mot « Kurdistan ».
Le 37e tribunal pénal de première instance de İstanbul a rendu un verdict d’acquittement, soulignant que des administrateurs de haut niveau utilisent parfois ce mot.
D’autre part, le mot « Kurdistan » a été mentionné plus de 28 800 fois sur le site du quotidien pro-gouvernemental Yeni Şafak jusqu’à 15 juillet 2019 à 11h44.
L’histoire du Kurdistan ne s’écrit pas
Le livre « L’histoire kurde », dont la première édition a été retirée par une Cour de sûreté de l’Etat turc en 2001, a été retiré par un tribunal le 26 juillet 2018.
Abdullah Keskin, rédacteur en chef et propriétaire des Éditions Avesta, a déclaré, après avoir fait une déclaration à la police antiterroriste pour ses messages sur les médias sociaux, que ses messages étaient considérés comme un « élément de crime » simplement en raison des mots « Kurde, kurde, Kurdistan » qu’ils contenaient, et non en raison de leur teneur. Keskin a été interrogé en tant que rédacteur en chef et éditeur d’une quarantaine de livres, dont la plupart avaient pour thème le « Kurdistan ».
Le Kurdistan peut être décrit comme suit :
Selon la Constitution de l’Irak, que la Turquie reconnaît, « la région du Kurdistan, en tant que région de la République fédérale d’Irak, a un système politique multipartite, démocratique, parlementaire et républicain ».
Les universitaires ne peuvent pas dire « Kurdistan »
Le sociologue İsmail Beşikçi est l’exemple le plus connu. Il a passé 17 ans de sa vie en prison parce qu’il n’acceptait pas le discours officiel concernant les Kurdes et le Kurdistan en Turquie et avait dit que cela était « non scientifique ».
D’autres exemples peuvent être trouvés, mais ce qui ne change pas en Turquie, c’est que le mot « Kurdistan » peut ou ne peut pas être prononcer en Turquie selon l’atmosphère politique. Dire « Kurdistan » peut ou non être une offense. Mais ce qui est toujours le plus dangereux, c’est quand ce sont les Kurdes qui disent « Kurdistan ».