Extraits des confessions d’Ahmet Gün, un policier turc des opérations spéciales qui a combattu la résistance kurde lors des combats urbains de Cizre, Sur, Lice, Nusaybin et Derik entre 2015- 2017. (Il a passé 9 ans dans les régions kurdes en tant que policier.)
Réfugié avec ses trois enfants en Suisse, Gun déclare qu’il a été expulsé de son poste en étant accusé d’être un guleniste (adepte du mouvement de Fettullah Gulen) pour ne pas avoir obéi aux ordres barbares données lors des massacres dans les localités kurdes de Turquie entre 2015 et 2017.
« Le chef des forces spéciales a dit : Je veux voir tout rasé au sol et je ne veux pas voir de tête attachées aux corps ».
« Pendant le couvre-feu, un vieil homme est sorti avec son petit-fils malade de 2 ans. Un des policiers nationalistes lui a tiré une balle traçante pour l’effrayer et le renvoyer. Il ne l’a pas fait. »
« Le vieil homme, avec son turc cassé, a dit : Soit tu nous tues tous les deux, soit tu laisses cet enfant se faire soigner. Il y avait des tranchées devant sa maison. Mon ami policier lui a dit : Où étiez-vous quand ils ont creusé ces tranchées ? »
« On l’a renvoyé et ne lui a pas permis d’emmener son petit-fils à l’hôpital. Nous avions le pouvoir d’appeler une ambulance [pour les civils] en cas d’urgence, mais nous ne l’avons pas fait. Le gamin était très malade. Il avait pris le risque d’être tué. Je ne sais pas ce qui s’est passé par la suite. »
« Tout en expliquant l’importance de l’opération par radio, le chef adjoint des forces spéciales a dit : Je veux tout voir rasé au sol et je ne veux pas voir de tête attachée au corps. Je me souviens avoir été consterné d’entendre ça. »
« C’était début 2016. Je n’ai pas vu de cadavres dans les rues de mon quartier. Mais l’atmosphère était telle que les morts n’étaient pas comptés. Peu importait si les cadavres restaient dans la rue pendant 10 jours. Les ordres, l’humeur l’exigeaient. »
« Je les confesse maintenant et j’ai un meilleur moral, mais à cette époque, j’avais le même point de vue que les autres. Parce que quand vous avez des blessés, ça vous affecte. »
« Je ne dis pas que je suis clean. Que Dieu me pardonne ce que j’ai fait ces jours-là. Je n’ai jamais tiré sur des innocents ou endommagés des biens, mais j’aurais au moins pu démissionner. Je suis maintenant expulsé, mais j’aurais pu démissionner avec mon honneur. »
« A nos yeux, les gens [Kurdes] étaient des terroristes potentiels. Une fois adultes, ils étaient des terroristes, enfants, ils étaient des terroristes potentiels. Ceux qui sont partis pendant les opérations étaient considérés comme « blancs », ceux qui sont restés étaient des traîtres. »
On a dit aux gens : « Si l’État vous dit de partir, vous partez. Si vous restez, vous en paierez le prix. Nous avions des briefings tous les 3-5 jours et nous étions prêchés dans cette ligne. « Ils doivent partir pour la survie de l’Etat. »
« Il n’y avait pas de gens qui pensaient différemment de toute façon. Nos forces spéciales étaient pour la plupart des sympathisants des Loups gris et ne s’opposaient pas à ces idées. Je viens moi-même d’une telle famille. »
« Quand on a le puissant pouvoir de l’État, il est impossible de se mettre en travers de son chemin. Vous vous transformez en machine à crime, vous l’attachez à un véhicule et vous le traînez dans la rue sans jamais hésiter à le faire. »
« Ils ont fiché les membres du personnel qui n’ont pas approuvé le traitement inhumain (…) alors que les membres de FETÖ [sympathisants du mouvement guleniste] les purgeaient. »
« Il y avait trois sous-sols. Nous savions qu’il y avait des gens, y compris des personnes âgées, des femmes et des blessés. On ne peut pas les qualifier de terroristes. Ils ont refusé de partir quand l’État leur a demandé de le faire sans leur montrer où aller. »
« Il y avait aussi des militants. Mais les médias ont dit qu’il y avait des terroristes à l’intérieur. Nous savions que les militants kurdes n’opèrent jamais plus de 7 personnes à la fois. Des corps de 120 personnes ont été sortis de ces sous-sols. »
« Aucun membre du personnel de sécurité qui a servi dans le sud-est ne croira que 120 membres du PKK étaient au même endroit au même moment. Il y avait des civils et beaucoup de vieux, d’enfants, de femmes âgées (…) »
« Plus l’État avait de victimes, plus il devenait monstrueux. Nous étions à un point où nous attaquions les maisons avec des chars d’assaut. Il n’y avait pas de loi de la guerre. »
« Ceux piégés dans les sous-sols ont demandé des ambulances. Mais on a tiré sur des ambulances. Il n’y a aucune raison pour qu’une clique au sein des forces de l’Etat ne leur tire pas dessus pour l’argument « ils tirent même sur les ambulances, que pouvons-nous faire ». Connaissant les gens avec qui j’ai travaillé, c’est possible. »
« Là-bas, entre guillemets, les choses étaient toujours dans la loi. Ils nous ont fait attendre dans des véhicules pendant 20 heures pendant des jours. Quand il n’y a pas d’ordres, vous ne connaissez pas les limites. Parfois, il y avait des bagarres entre les policiers et les soldats. »
« Je ne pense pas que nos supérieurs aient discuté de les faire sortir vivants. Si c’était le cas, l’État avait toutes les possibilités de le faire. On avait des bombes à gaz. On aurait pu les endormir et les évacuer. Au lieu de cela, ils ont attaqué avec des chars. »
[Lorsqu’on lui demande comment la décision relative à l’opération a été prise] : « Il n’y a pas eu d’opération. Vous avez des chars d’assaut qui détruisent les maisons avec un bouton. Celui qui est mort est mort à cause de l’obus d’un char. Les autres ont été brûlés. Nous avons envoyé des soldats. Des corps de dizaines d’enfants ont été sortis des sous-sols. »
Traduit du turc depuis le site Bold