Quel est le rôle des Kurdes dans le conflit syrien et quel est leur programme pour l’avenir de la Syrie ?
Le conflit syrien, comme tous les problèmes du Moyen Orient, trouve sa racine dans l’histoire et spécifiquement celle du XXème siècle avec la fin de l’Empire Ottoman. Depuis la guerre civile syrienne qui débuta en 2011, grâce aux réseaux sociaux et ensuite grâce à certains médias, le monde entier est témoin de l’atrocité du gouvernement syrien envers sa population.
Dans ce contexte, en face du gouvernement central d’un État totalitaire, il y a plusieurs groupes extrémistes religieux qui ont un programme pour créer un Etat théocratique. Puis, il y a des groupes kurdes qui défendent un agenda laïc et égalitaire dans un État fédéral.
Au fur et à mesure que la guerre se propage, les participants augmentent. Dans ce cas, chaque parti a son alliance pour mener et financer ses projets. Les groupes islamiques et l’armée libre sont financés par la Turquie, le Qatar, l’Arabie Saoudite et certains pays Occidentaux. Le gouvernement syrien reçoit l’aide de l’Iran, des groupes chiites d’Irak et de Liban et de la Russie.
Malgré la place importante que les Kurdes jouent dans ce conflit et les valeurs humaines et démocratiques qu’ils défendent, les alliances de longue date et les intérêts économiques ne permettent pas aux différents acteurs de se rapprocher des Kurdes et ne font aucune alliance avec eux. Jusqu’à l’apparition de l’EIIL (État islamique en Irak et au Levant), en Irak et en Syrie. En 2014 la résistance kurde à Kobanê a attiré des sympathisants du monde entier. Après quoi, l’Amérique, membre de la coalition contre l’EIIL, a décidé de soutenir les Kurdes malgré l’opposition de la Turquie et des autres membres de la coalition.
De nos jours, grâce à la médiatisation de la situation syrienne et d’Irak, la question kurde revient sur le devant de la scène internationale. Ainsi, il y a plusieurs questions qu’on souhaite soulever et tenter d’y répondre : quelles sont les revendications du peuple kurde ? Pourquoi la communauté internationale reste indifférente envers leurs revendications ? Pourquoi à chaque fois leurs soulèvements ont été tus ? Et quel est leur programme pour l’avenir de Syrie ?
De ce fait, l’objectif principal de ce travail est d’analyser la situation actuelle en Syrie et plus spécifiquement la cause kurde. En effet, lors de ce travail, on va avoir un bref regard sur les mouvements politiques que les Kurdes ont menés. Et puis, un regard sur la place des Kurdes en Syrie jusqu’à nos jours. De plus, on va tenter de comprendre pourquoi, malgré tous les changements politiques dans cette région, la question kurde reste un problème majeur dans les pays où ils vivent. Par ailleurs, il est nécessaire de savoir que c’est l’un des obstacles auxquels fait face la Syrie depuis sa création, étant donné que les gouvernements syriens, afin d’éliminer les mouvements kurdes, ont mis en place des lois extrêmement fermes, qui toutes sont contradictoires avec les droits de l’Homme et les lois internationales.
Dans le but de mieux comprendre la question kurde, il est essentiel d’avoir un regard général sur l’histoire du XXème siècle de ce pays. De ce fait, nous pourrons examiner les demandes et les revendications du peuple kurde.
Quant à la deuxième partie de nos recherches, nous allons nous focaliser d’une part sur la manière dont les gouvernements de ce pays ont agi pour résoudre ce problème et d’autre part sur le rôle et l’agenda de Parti de l’union démocratique (PYD) qui contrôle quasiment toutes les régions kurdes en Syrie.
L’origine des Kurde et du Kurdistan
Quant à l’origine des Kurdes, il y a différents avis : certains historiens présentent les Kurdes comme des descendants des Mèdes (VIIème – VIème. Av. J.-C.) qui, en battant l’Empire d’Assyrien, avaient créé le premier Etat sur le territoire actuel du Kurdistan et une partie de l’Iran d’aujourd’hui. Et puis, il y a d’autres avis qui les présentent comme les descendants de Tribu Kardoukhois qui vivaient dans cette même région à la même époque. Xénophon, historien grec au IVème av.J.C, dans son ouvrage l’Anabase, écrit sur cette tribu qui se battit contre l’armée d’Alexandre, « lors de la retraite des Dix-Mille ». Xénophon les présente comme un peuple courageux qui vivait dans la région montagneuse et qui n’a jamais accepté d’être dominé ni par Xachira Shah, le roi d’Iran ni par celui d’Arménie.
Enfin, il faut ajouter que depuis l’apparition de l’État moderne au XIXème siècle, comme les Kurdes n’ont pas pu créer leur propre État, les historiens des États dominateurs ont commencé l’innovation des nouvelles théories sur leur histoire et leurs racines. Les avis de ces écrivains sont négatifs quant au futur des Kurdes, mais ils ne sont pas objectifs. En effet, ces écrivains ont été au service de ceux qui ont dominé, c’est-à-dire du nationalisme colonial. Ces théories dominatrices veulent assimiler, anéantir, effacer l’existence ce peuple, sans quoi les Etats dominateurs ne peuvent pas continuer leurs occupations. Notamment en Turquie, les gouvernements successifs, en utilisant ces idées, dans leur constitution, présentent les Kurdes comme les Turcs des montagnes, autrement dit, ils ignorent l’existence de ce peuple par la loi.
En ce qui concerne l’origine du mot Kurdistan, il signifie littéralement le pays des Kurdes. L’origine de ce terme remonte au XIIème siècle. En ce temps l’un des sultans seldjoukides qui gouvernait l’Iran a baptisé Kurdistan l’une de ses provinces. Au fil du temps ce terme a englobé tous les territoires où les Kurdes vivent. Actuellement, sur le plan géographique, cette région qui est majoritairement peuplée par les Kurdes, s’étend du nord-ouest de l’Iran jusqu’au nord-est de l’Irak, au sud-est de la Turquie et au nord-ouest de la Syrie. Autrement dit la terre kurde se divise en plusieurs parties.
Les Kurdes au Moyen Âge
L’arrivée de l’Islam pendant le XIIème apporte un changement majeur dans la région, car premièrement, les peuples qui y vivaient, avaient dû se soumettre à un nouveau système non seulement sur le plan gouvernemental, mais aussi sur le plan culturel, religieux, etc. Et puis, les peuples opprimés étaient obligés soit d’embarrasser la nouvelle foi soit ils devaient payer une sorte d’impôt pour continuer à vivre sur le territoire.
Quant aux Kurdes, ils n’étaient pas épargnés par ces nouveaux changements. La majorité d’entre eux s’est convertie à la nouvelle foi après quelque temps, mais certaines communautés, ont résisté, et ont continué de garder leur ancienne croyance, le zoroastrisme durant des siècles. C’est la raison pour laquelle il y a beaucoup de minorités kurdes qui, malgré tous les efforts et toutes les férocités des gouvernements des califats islamiques et des Sultans ottomans dans le but de les convertir, ont pu continuer leur existence jusqu’à nos jours. On pourrait parler notamment des Yézidîs, qui plus de 73 fois, se sont fait déportés ou massacrés par les différents gouvernements sur leur terre, et cette cruauté continue jusqu’à nos jours.
Par ailleurs, durant cette période, les principautés kurdes ayant accepté la nouvelle foi, ont pu continuer leur existence pendant des siècles, et puis certaines d’entre eux avaient pu monter dans de la hiérarchie gouvernementale du califat, allant jusqu’à diriger les armées du califat. On peut citer comme exemple Saladin qui était le fondateur de l’Empire Ayyoubide qui a gouverné durant des dizaines d’années sur l’Égypte, la Syrie et la Palestine. De plus, ce fut durant son royaume que les guerres de croisades ont eu lieu.
La première division du territoire Kurde
Jusqu’au début de XVIème, le territoire des Kurdes se trouvait sous la domination de califat islamique. Cependant, d’une part, il y avait l’Empire Ottoman et d’autre part la dynastie Séfévide, qui venait de contrôler une grande partie de l’Iran. Le territoire kurde se trouve au milieu de deux puissances en conflit de pouvoir. Par ailleurs, les Kurdes, dans le système de califat se liaient habituellement au gouvernement qui gouvernait les provinces iraniennes. Le Roi séfévide, pour montrer ses différences avec l’Empire Ottoman, voulait que toute la population qui vivait dans son royaume se convertisse au chiisme. De plus, en utilisant cette tactique que le pouvoir des principautés des Kurdes en les obligeant à obéir à l’État central. Comme les Kurdes n’ont pas accepté ces conditions, pendant la bataille de Tchaldran en 1514, entre l’Empire ottoman et les Séfévides, ils ont aidé l’Empire Ottoman. C’est pourquoi la bataille était une grande défaite pour le Roi de l’Iran et comme le sultan ottoman acceptait de respecter les autonomies des principautés, la majorité des Kurdes se sont rangés du côté de celui-ci. On doit ajouter qu’étant donné que le sentiment du tribalisme chez les Kurdes était plus fort que celui du sentiment nationaliste, en choisissant ce pacte, ils ont signé leur propre malheur car d’une part, leur territoire a été divisé entre deux puissances et d’autres part, les deux Etats ont profité de cette division pour mieux les dominer. Finalement, comme on dit : diviser pour régner !
Les révoltes kurdes
Durant le XIXème siècel, les Kurdes se sont révoltés à plusieurs reprises contre les sultans ottomans. Cependant, leur révolte n’a pas abouti à grand chose. D’une part, la mosaïque, des religieux et du peuplement, était devenue des outils que les Sultans ottomans utilisaient pour disperser les révoltes. Et d’autre part, le tribalisme a été l’un des principaux obstacles qui empêchait la naissance d’une conscience nationale kurde et l’unité du peuple.
Mais, à cause de tous ces problèmes, autant pour les Kurdes que pour les autres peuples, le XIXème siècle est devenu le début de grands soulèvements menés par les princes, les seigneurs et les cheikhs kurdes contre l’Empire ottoman et le shah d’Iran. Certaines de ces révoltes avaient pour but de garder leur territoire et leur indépendance plutôt que de créer un Etat-nation dans lequel tous les Kurdes seraient unis.,
La révolte de Baban a commencé en 1806. La principauté de Baban qui a été créée au XVIème siècle, était devenue très puissante aux yeux du sultan d’ottoman. C’est pourquoi, après la mort d’Ibrahim Pacha, l’Émir de cette principauté, l’autorité ottomane voulait imposer une personne issue d’une tribu adverse de celle-ci comme Émir. Or, le neveu de ce dernier prit la tête d’une armée contre les forces turques. Après quelque temps, il y a eu d’autres tribus qui se sont joints à ce soulèvement. Leur manque d’organisation et le fait de ne pas avoir une armée régulière ont eu comme résultat la dispersion de la révolte en 1808 et la fuite des meneurs de la révoltes en Iran.
Toutefois, il y eut d’autres soulèvements avec comme but la création d’un État indépendant et souverain, notamment le soulèvement de 1830 qui fut dirigé par Mir Mohammed, souverain de la principauté de Soran. En effet, celui- ci voulait créer un Kurdistan indépendant et il réussit à mettre en place une vraie armée, presque 30 000 hommes, des entreprises d’armements. Mir tenta d’unifier les grandes tribus. Cependant, certains n’ont pas fait alliance avec le Mir. Malgré cela, le Mir assura son autorité sur tout le Kurdistan méridional. Durant les combats qui se passèrent entre l’armée kurde et celle du sultan ottoman, l’armée ottomane s’est repliée sans avoir pu mener son projet. En revanche, le Mir kurde tira un avantage de ce répit pour conquérir le Kurdistan iranien. Finalement, après deux ans, l’armée ottomane attaqua le territoire de Mir Mohammed, mais comme l’armée kurde s’était bien préparée, elle put battre l’armée ottomane. C’est pourquoi le commandant de l’armée ottomane fit appel aux sentiments religieux des Kurdes en appelant à la rescousse unmollah kurde pour arrêter la guerre. Cette ruse a bien réussi, car un mollah kurde nommé Mollah Khati donna une fatwa selon laquelle la guerre contre le calife est « Haram » (interdite). Cela eut pour conséquence d’anéantir la résistance kurde, donc Mir Mohammed n’eut pas d’autre choix que de se rendre au sultan. Après quelques mois, le Mir fut autorisé à retourner au Kurdistan, mais sur le chemin, il fut assassiné par les hommes du sultan.
Mais, comme dit le célèbre proverbe : “On peut tuer une personne mais pas ses idées”. En effet, le peuple kurde trouva dans ce proverbe la force qu’il lui manquait, car après quelques années, il y a eu d’autres soulèvements ; chacun d’entre eux marqua l’histoire kurde.
Quatre ans après l’assassinat de Mir Mohammed, il y eut la révolte de Bedir Khan qui éclata en 1840. Bedir Khan, qui régnait sur sa principauté depuis de nombreuses années, réussit à mettre en place une armée régulière bien disciplinée. Suite à la défaite ottomane de Nizip en 1839 dans laquelle l’armée d’ottomane fut battue par celle du pacha d’Égypte, Bedir Khan profita de cette situation pour s’emparer d’une grande partie des régions kurdes de l’Empire Ottoman. Comme Bedir Khan connaissait bien les faiblesses de l’émirat, il essaya d’être juste avec toutes les minorités et de respecter tout le monde. De nouveau, les Ottomans essayèrent de corrompre les chefs des autres tribus contre Bedir Khan, mais cette démarche ne donna aucun résultat. Néanmoins, les chrétiens retournés par les mandataires anglais et américains à la demande du sultan, refusèrent de se battre contre l’armée ottomane. Après trois ans de guerre, trahi par son neveu, Bedir khan fut capturé en 1847 et envoyé en exil.
Après cette révolte, il y en a eu d’autres qui sont survenues au cours du siècle, qui montrera la suite du soulèvement kurde. Cependant, leur situation géographique, et le fait qu’ils étaient entourés par les puissances, a eu comme résultat plusieurs défaites récurrentes. Cependant, c’est en 1880 qu’il y eut un soulèvement commandé par Cheikh Ubaydullah. Avec celui-ci, on peut voir la naissance d’une véritable révolte nationale, car ces revendications visaient clairement l’existence d’un État indépendant et souverain afin que tous les Kurdes puissent être réunis sur le même territoire. Cheikh Ubaydullah qui était l’un des grands chefs spirituels des Kurdes, avait une influence crédible sur le peuple. En août 1880, dans une grande réunion à laquelle 220 chefs des tribus avaient participé, ils ont décidé de suivre le cheikh. Au début, ils ont réussi à battre l’armée Iranienne. Ce triomphe avait fini par susciter une grande inquiétude chez le gouvernement turc. C’est la raison pour laquelle, l’armée turque a aussi participé à cette guerre contre l’armée kurde; de ce fait les Kurdes rendirent les armes pour la énième fois. Ce soulèvement fut la dernière révolte kurde du XIXème siècle.
La Première Guerre mondiale (deuxième division)
En 1913, après plusieurs défaites, les jeunes-turques prirent le pouvoir. Comme les dirigeants turcs eurent (et ont encore) le rêve de la création de grande “Touran”, ils firent une alliance avec l’Empire Allemand. Ensuite, ils déclarèrent la guerre à l’Entente. Quand ils avaient perdu beaucoup de batailles, ils commencèrent à massacrer les Arméniens (plus d’un million arménien et 700000 kurdes entre 1915 et 1916). Mais, les Alliés avant la fin de la guerre avec l’accord Sykes-Picot, décidèrent de se partager le Proche-Orient à la fin de guerre. Enfin avec le traité de Sèvres, qui fut conclu le 10 août 1920 à la suite de la Première Guerre mondiale entre les Alliés et l’Empire Ottoman, le territoire de l’empire devait se partager en zones qui étaient contrôlées par les membres des Alliés, en particulier, l’Angleterre et la France. De plus ils ont signé le fait que les Kurdes et les Arméniens, comme tous les autres peuples, devaient avoir leur propre territoire. Mais, trois ans plus tard avec le traité de Lausanne, signé le 24 juillet 1923 entre les Alliés et le gouvernement turc ils ont renoncé tout simplement à l’indépendance du Kurdistan. La mise en place de ces traités et la création de nouveaux États dans cette région était un changement brusque pour les populations, car tous simplement, on n’avait pas respecté les divisions de frontière des peuples, c’est-à-dire, des pays multiculturels, plusieurs confessions et multilinguismes ont été créés. Les Kurdes jusqu’à cette date avaient été divisé entre deux pays; mais cette fois ils se trouvèrent dans cinq pays dont quatre sont des nouveaux États tels que la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Arménie.
Il faut noter que les Kurdes entre les années 1918-1921 ont eu une opportunité de créer leur propre État. Cependant, l’ignorance et la confiance des hommes politiques et religieux kurdes envers ceux des Turcs, leur ont fait rater cette occasion.
Dans le livre «les Kurdes et le Kurdistan» Kendal Nezan écrit :
«Le vide politique était total, les unionistes avaient pris la fuite et l’autorité du sultan et de son gouvernement ne dépassait guère les limites de la capitale ottomane. Les débris de ce qui fut l’armée ottomane se désagrégeaient, les officiers désemparés étaient surtout préoccupés par leur sort personnel… La Russie, à qui la majeure partie du Kurdistan devait être annexée en accord Sykes-Picot, était devenue soviétique, l’armée persane se trouvait dans un état aussi pitoyable que son homologue ottoman»2.
Ajoutons que cette fois aussi, d’une part la naïveté des chefs kurdes a été une occasion perdue pour créer un Etat kurde et puis le comportement des Alliés qui ont trahi le peuple kurde
Les Kurdes en Syrie sous mandat français
Les Kurdes de Syrie, qui vivent majoritairement au nord du pays, se trouvent dans cette situation après une longue discussion entre la France et le gouvernement turc, de 1921 jusqu’en 1939. Malgré la division de la région kurde par le traité de Lausanne en 1923, la reconnaissance de la frontière entre les deux États était un problème non résolu. C’est pourquoi après son indépendance, la Syrie conteste les traités entre la France et la Turquie et veut changer la frontière entre ces deux pays.
«Si le mandat français a contribué au développement économique des régions kurdes, il n’a pas joué dans le sens d’une reconnaissance du fait ethnique en Syrie. La France, en effet, s’est intéressée aux Kurdes en tant que minorité sur laquelle s’appuyer occasionnellement : à l’extérieur contre la Turquie, à l’intérieur face au nationalisme syrien. Mais, contrairement à d’autres communautés, Paris ne les placera pas au cœur de sa politique coloniale»3
Mais, en ce qui concerne la question kurde, il faut noter que comme la Syrie se trouvait sous mandat français, les Kurdes de cette partie avaient plus de liberté que les autres parties qui vivaient dans les pays voisins. C’est pourquoi, ce climat donnait lieu à beaucoup d’associations culturelles dont les objectifs étaient d’avancer la cause kurde au travers des journaux et des livres dans la langue kurde et en même temps de propager leurs traditions. C’est pourquoi, à cette époque, la Syrie est devenue un refuge pour les résistants kurdes qui ont fui la Turquie et l’Irak.
Les Kurdes dans la Syrie indépendante
Après la Deuxième Guerre mondiale, la Syrie trouva son indépendance. Mais au cours des années suivantes, l’instabilité régnait dans le pays : d’une part le pays passait une période de troubles à cause de la guerre des pouvoirs parmi les dirigeants de pays, qui chaque fois se terminait par un coup d’État. D’autre part, la naissance de panarabisme a fait avancer l’idée du nationalisme arabe sur la région, spécialement en Égypte et la Syrie amenaient ce discours pour engendrer une république arabe unie.
Les deux peuples, kurde et arabe avaient vécu ensemble pendant des siècles. Cependant, dans ces conditions, tout était en train de changer, car dans l’idée du panarabisme il n’y a plus de place pour les autres ethnies. À ce propos, M. Nazdar écrit
«L’idée du panarabisme ne reconnaissait pas de droits aux Kurdes en tant que minorité nationale. Elle ignorait leur existence, comme le feront tous les pays arabes à l’égard de leurs propres minorités nationales ou religieuses.»4
Dans ces circonstances, des intellectuels kurdes créèrent le premier parti politique kurde en Syrie dans l’objectif de légitimer les Kurdes en tant que groupe ethnique et donc ils devaient avoir le droit d’étudier dans leur langue et de préserver leur propre culture et tradition.
Il faut noter que jusqu’à cette date, il y avait une certaine indulgence envers les Kurdes qui faisaient des activités culturelles. Mais avec l’accroissement de l’idée de la création de la République Arabe Unie, les lois furent de plus en plus strictes contre le mouvement kurde.
Dès 1962, l’État mit en place une nouvelle politique dans les régions kurdes, dans le but de toujours opprimer leurs revendications. Notamment, il déplaçait des Kurdes vers la région sud en les remplaçant par des Arabes. Autrement dit, le but était l’arabisation des territoires kurdes (“plan de la ceinture Arabe”). « La constitution syrienne affirmait que le peuple syrien était une partie de la Nation arabe par son histoire ».
«Le 23 août 1962, le gouvernement promulgue un décret-loi (n° 93) autorisant un recensement spécial de la population dans la province de la Djézireh. On prétend que les Kurdes S’infiltrent illégalement” en Djézireh à partir du Kurdistan turc, pour “détruire son caractère arabe”. Le recensement est mené en novembre de la même année ; à la suite de ses résultats quelques (entre 120000- 150000 et certains parle de 500000) Kurdes de Djézireh sont décomptés comme “étrangers” et les droits attachés à la nationalité syrienne leur sont injustement retirés. »5.
Avec l’arrivée du parti Baas au pouvoir, un nommé Mohamed Taleb Hilal qui était chef de police de la province Djézireh, dans un livre intitulé “ Étude sur la province de Djézireh” essaya tout, dans le but de faire croire que les Kurdes ne sont pas une nation mais, des tribus qui ont acquis leur culture et leur langue grâce aux peuples dominateurs. Donc il proposa un plan en douze points pour anéantir le danger que représentaient les Kurdes de Syrie
« 1 – Transférer et disperser la population kurde.
2 – Priver les Kurdes de toute instruction, même en langue arabe.
3 – Priver les Kurdes de toute possibilité d’emploi.
4 – Livrer au gouvernement turc les rescapés des soulèvements dans les zones kurdes de Turquie.
5 – Dresser les Kurdes les uns contre les autres.
6 – Poursuivre la politique de la “ceinture arabe” déjà appliquée.
7 – Implanter des Arabes “pures nationalistes” dans la région des Kurdes pour les surveiller avant leur dispersion.
8 – Faire contrôler les Kurdes par l’armée.
9 – Soutenir les Arabes qui sont installés dans la région kurde.
10 – Imposer aux Kurdes l’apprentissage de la langue arabe.
11 – Priver les Kurdes de leurs leaders, en l’occurrence des hommes religieux kurdes, qui contestent la politique du gouvernement.
12 – Faire semer la panique parmi les Kurdes par les Arabes qui vivent dans cette région. »6
Nous devons préciser que des politiques semblables à celle- ci étaient déjà appliquées dans les pays voisins où vivaient les Kurdes. Enfin, malgré toutes ces interdictions envers le peuple kurde, les Kurdes étaient obligés de faire leur service militaire.
« Si le droit à la nationalité syrienne leur fut refusé, on leur demanda par contre de faire leur service militaire, le plus souvent à la frontière israélienne. Beaucoup se battront dans le Golan en 1967 »7
Finalement, en 1970 il y a eu un autre coup d’État grâce auquel Hafiez al-Assad prit le pouvoir. Dès qu’il devint président de la Syrie, il mis en place certains changements envers les Kurdes. Notamment en 1976, il renonça au projet de déplacement forcé. Cependant, il ne fit aucun changement dans la loi pour ceux qui furent déchus de leur nationalité. Deux menaces pesaient sur le pouvoir d’Assad. Premièrement, la menace d’une majorité sunnite. D’autre part, la menace d’une guerre avec l’Israël. De plus,le fait qu’il était membre d’une minorité alaouite, le poussa à adoucire sa politique envers d’autres minorités.
Il faut noter qu’à partir de 1982, la Syrie accueillait une nouvelle fois les partis politiques Kurdes, d’Irak et de Turquie. Notamment le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), cette collaboration continua jusqu’en 1998. Avec cette politique, le gouvernement syrien visait : d’une part affoler le mouvement kurde en Syrie et d’autre part s’appuyer sur le PKK contre la Turquie quand s’était nécessaire. Car il y avait des désaccords avec la Turquie sur la partage de l’eau d’Euphrate.
« Cette contradiction, de plus en plus flagrante, va alimenter des frustrations dont le régime aurait dû redouter l’explosion une fois le PKK « éliminé » de Syrie. »8
Le printemps kurde
Avec l’arrivée au pouvoir de Bachar al-Assad en juillet 2000, un nouvel air souffle sur la Syrie. Il y eut certaines ouvertures du régime envers des associations et des nouveaux partis politiques. Donc, pour la énième fois, les intellectuelles kurdes se rassemblent en créant un nouveau parti. Ils commencent à s’organiser et à réclamer leurs droits, particulièrement à travers des manifestations qu’ils organisaient. En 2002, à l’occasion de la journée mondiale des droits de l’homme, ils organisèrent une manifestation devant le Parlement à Damas pour que l’État les reconnaisse comme une minorité ethnique en Syrie.
En 2003, à l’occasion de la journée mondiale des droits de l’enfant, ils organisèrent à nouveau un rassemblement devant le bâtiment de l’UNESCO à Damas, afin de réclamer la nationalité pour les enfants que, comme leurs parents, sont déchus de la nationalité. Mais, les contestations deviennent de plus en plus régulières après les événements de Qamişlo en mars 2004. En effet, cette manifestation se déroule pendant un match de foot entre les supporteurs de deux équipes, l’une locale kurde et l’autre arabe de Deir ez-Zor. Quand la manifestation prise une grande ampleur, le gouverneur de l’Al-Haskah, ville majoritairement kurde, donna l’ordre d’ouvrir le feu sur les manifestants, six Kurdes furent tués. Le lendemain, lors des funérailles des victimes, des milliers de personnes défilent pacifiquement à Qamişlo.
« Les autorités ont à nouveau tiré sur la foule, ce qui a eu pour conséquence de mettre le feu aux poudres et déclencha des actes de violence tels que la destruction des statues d’Hafez al-Assad. »9
Après quoi, des contestations apparaissent dans toutes les régions où les communautés kurdes vivent. Le gouvernement syrien ne voulant pas accepter la réalité et afin de punir les responsables des violences, envoya le groupe armé, les gardiens de la République dans les villes. Cette action mit en colère les manifestants, qui attaquèrent les locaux du Parti Bass, les offices d’administrations liés à L’État. Dans certaines villes mixtes, la guerre commençait à éclater entre les Kurdes et les Arabes. Cette situation obligeait l’État à accepter la réalité. C’est pourquoi Bachar al-Assad essaya d’apaiser et de réconcilier. Finalement, Bachar al-Assad admit l’existence du problème des Kurdes déchus de leur nationalité et appela pour trouver une solution. Malgré aucun changement réel pour les Kurdes, cette déclaration du chef d’État est devenue une déclaration historique car pour la première fois, officiellement Bachar Al-Assad a reconnu l’existence du problème des Kurdes en Syrie.
Le Printemps Arabe
Le début des contestations qui ont démarré en Tunisie contre la corruption au sein de l’État, poussa le gouvernement tunisien à démissionner. Après quelques semaines, ce coup de vent souffla sur toute la région du Moyen-Orient, particulièrement sur le monde arabo-musulman. Certains de ces pays comme Arabie Saoudite et Maroc, afin d’éviter le pire, ont commencé à accepter les revendications, en faisant des réformes au sein de leurs institutions. Cependant, d’autres gouvernements voulaient éteindre les contestations par la force, comme ils l’avaient fait auparavant. C’est pourquoi, la guerre civile a commencé dans ces pays, tels que la Libye, le Yémen et la Syrie.
Force est de noter que le soulèvement de la Syrie a été différent par rapport aux autres pays, car la mésentente entre la majorité de la population qui est sunnite et le gouvernement syrien qui est contrôlé par une minorité alaouite (une branche chiite) a une racine profonde. Auparavant, toutes les manifestations contre l’État ont été écrasées sans équivoque.
Encore une fois les manifestations pacifiques en Syrie, ayant pour but d’avoir plus de libertés pour certains et un changement radical pour d’autres, sont réprimées par le gouvernement syrien. Elle a pour effet de pousser la population à la contestation, qui se propage très vite dans le pays. Face au comportement du régime, des groupes armés se forment et les manifestations pacifiques se transforment en une guerre civile.
Il faut noter qu’il y avait en plus des divisions intérieures, des facteurs extérieurs qui ont poussé la Syrie dans cette direction : d’une part l’hostilité entre l’Iran, l’allié de longue date de Bachar al-Assad, et l’Arabie Saoudite, l’alliée de l’opposition. D’autre part, la mésentente entre la Russie, autre alliée du gouvernement syrien, et l’Otan, la première voulant garder son influence dans la région et l’autre accroître sa zone d’influence.
Les Kurdes de Syrie, quant à eux, restent plus ou moins neutres, ne prenant pas clairement partie. Par conséquent, la transition dans la région kurde se passe plutôt pacifiquement car le retrait des forces armées syriennes des zones majoritairement kurdes vers des zones en conflit, laisse aux groupes kurdes une plus grande marge de manœuvre et une certaine autonomie pour diriger et administrer leur territoire. De plus, malgré des changements constitutionnels en faveur des Kurdes par le gouvernement syrien, ceux-ci restent sur leur position et n’acceptent pas de participer au conflit entre l’opposition et le gouvernement. Autrement dit, ils ont choisi la troisième voie, qui vise à la création d’un État démocratique, décentralisé et fédéral, dans lequel toutes les minorités, religieuses et ethniques, ont des droits égaux sur le plan constitutionnel. Ainsi, les zones kurdes ont pu dépasser une période difficile sans subir des répressions du gouvernement syrien.
Proclamation d’une région autonome
Alors que, depuis 2012 le Kurdistan syrien est gouverné par les partis politiques kurdes, ce sont eux qui gèrent et organisent tous les domaines tels que militaire, la sécurité, l’administration. Et puis, depuis novembre 2013, le Parti de l’union démocratique (PYD) proclame l’autonomie des cantons kurdes de Syrie : Afrîn, Djézireh et Kobanê. Pendant ce temps, ces localités sont attaquées par des groupes djihadistes comme le front al-Nosra, Ahrar al-Sham et l’État islamique. Mais ni l’opposition syrienne modérée ni le gouvernement syrien n’ont rien fait pour défendre les localités kurdes. Ainsi, le PYD, en janvier 2014, promulgue une Constitution pour le Kurdistan syrien (Rojava), sous le nom “Charte du contrat social” qui a été adoptée par les représentants des habitants du Rojava, dans laquelle ils insistent : sur les droits fondamentaux de tous les citoyens devant la loi, sur les respects de minorités religieuses et ethniques et sur l’égalité des sexes devant la loi.
Chaque canton du Rojava est dirigé par un gouvernement et celui-ci est supervisé par l’assemblée populaire où siègent les représentants de chaque région et de chaque communauté.
Les batailles de Kobanê
En août 2014 après quelques jours où l’EIIL a pu battre l’armée irakienne et envahissait la ville de Mossoul, l’EIIL a pris plus ambition pour conquérir les autres villes qu’il avait mentionnés dans leur carte d’État islamique selon laquelle le califat islamique doit être créé. Cependant les guérillas de PYD et PKK étaient les seules armées qui avaient pu bloquer l’avance des forces djihadistes lorsque celles-ci préparaient le massacrer de la minorité religieuse Ezidî. Ainsi, L’EIIL a attaqué la ville Kobané, d’une part pour venger cette défaite et d’autre part pour contrôler une centaine de kilomètres de frontière avec la Turquie, ce qui lui autorisait d’immenses facilités pour recruter les djihadistes qui viennent de quatre coins du monde et pour continuer l’import-export des marchandises et du pétrole. De plus, l’armée turque a pris la position au long de la frontière de Kobané, autrement dit la ville a été complètement encerclée, car pour la Turquie le vrai ennemi ce sont les Kurdes. C’est la raison pour laquelle elle fermait les yeux et laissait passer les djihadistes mais, elle bloquait tout renfort vers les Kurdes en attendant que la ville tombe dans la main d’EIIL.
Dès le début de la bataille, les djihadistes, grâce à leurs équipements et leurs matériels militaires ont pu prendre presque la moitié de la ville. Mais, durant ce temps, grâce à la médiatisation de la situation de combattants et combattantes d’Unités de protection du peuple (YPG) et d’Unités de défense de la femme (YPJ) qui résistaient pour empêcher la prise de la ville par les djihadistes d’EII, l’opinion des humanistes du monde entier s’est réveillée. C’est pourquoi Les États-Unis, membre de coalition contre l’EIIL, a décidé d’aider les Kurdes de Syrie malgré opposition de la Turquie et des autres membres de la coalition comme de pays de golf notamment Arabie Saoudite.
Aussitôt, les Kurdes ont progressivement repris le terrain en repoussant les djihadistes. Finalement après quelques mois de bataille acharnée, la ville de Kobanê a été entièrement libérée le 14 juin 2015. De plus, au vu de la volonté et d’autodétermination de ces guérillas, les Américains et la Russe trouvaient un partenaire crédible sur le terrain, sur qui ils peuvent compter.
Des combattantes des YPJ, les forces armées féminines du Kurdistan syrien
Les femmes combattantes
Afin des mieux comprendre le rôle de femmes dans la question du Rojava, notamment celui des YPJ, il faudrait que l’on voit un peu l’histoire des femmes qui combattent au sein du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Car celui-ci, depuis sa création, a des combattantes qui participent activement à la vie au sein de parti. Elles occupent une place importante dans la hiérarchie du parti.
Donc, comme expliqué précédemment, la Syrie avait accueil le PKK, pendant la période de conflits avec la Turquie. Et comme les Kurdes de Syrie pouvaient rejoindre les rangs du PKK, il y a eu beaucoup de femmes et d’hommes qui ont adhéré au parti et à ses idées.
Ainsi, il faut savoir que ces femmes ont une place fondamentale dans la structure du Rojava : car, d’une part, dès le début de conflit, elles assument activement des rôles sur le plan militaire tant qu’administratif où elles ont une position égale à celle de l’homme au sein du système du Rojava. De plus, il faut noter que l’engagement des femmes des YPJ se fait, non seulement pour la cause kurde mais aussi pour elles-mêmes, c’est-à-dire qu’elles sont en train de combattre contre des idées selon lesquelles les femmes n’ont aucune place, ni droit, ni libertés. C’est la raison pour laquelle elles se battent contre la soumission de la loi d’obscurantisme en espérant créer une société libre pour toutes et pour tous.
La déclaration de fédéralisme
Alors que les Kurdes contrôlent plus de 25 % du territoire de Syrie et que c’est l’un des principaux acteurs sur le terrain, qui a un programme clair et sans ambiguïté pour lequel ils se battent hardiment, ils ne peuvent pas participer à la négociation sur l’avenir de ce pays. Et la Turquie et l’Arabie Saoudite qui sont les parrains des oppositions djihadistes, et L’Iran et le gouvernement syrien font tout ce qui est en leur pouvoir, pour empêcher la participation des Kurdes aux négociations, tandis que chacun essaie d’augmenter le nombre des membres fondamentalistes qui mènent leur agenda ambigu sur le terrain.
C’est pourquoi, les Kurdes et leurs alliés sur le terrain, une fois de plus, ont envie de montrer leur projet. Le 16 mars 2016, pendant un rassemblement de 150 représentants de partis kurdes, arabes et assyriens, après une discussion sur un nouveau système pour le nord de la Syrie. Finalement, les participants approuvent le système fédéral démocratique du Rojava. De plus, les représentants mettent en avant que ce projet est créé sur une base territoriale et non ethnique, étant donné que toutes les minorités qui vivent dans ces localités ont soutenu ce système.
Mais, le gouvernement syrien, l’opposition syrienne, la Turquie et les pays arabes ont rejeté le fédéralisme en prétendant que ceci était une menace pour l’avenir de la Syrie.
Quant à la Russie et Les États-Unis, pour ne pas offenser la Turquie et les autres acteurs présents dans le conflit syrien, ils ont refusé de reconnaître le système fédéral proposé par les Kurdes et leurs alliés tout en poursuivant leur aide militaire.
Les relations avec les autres mouvements kurdes
Le PYD est présent depuis le début du conflit ; et puis, durant l’année 2013, ses régions sont attaquées par les islamistes, notamment par l’État islamique en Irak et au Levant et le front al-Nosra. Les forces YPG et YPJ sont alors les seules qui assument la défense de la population, qu’elle soit kurde, assyrienne ou arabe. C’est pourquoi au fil du temps, le PYD profite de la situation pour prendre une position de force sur toutes les régions kurdes en Syrie. Ainsi, les majorités des autres formations kurdes syriennes acceptent la supériorité de celui-ci.
Quant à la relation avec les Kurdes de la Turquie : il y a un lien étroit avec le PKK et d’autres mouvements de gauche de Turquie et ceux-ci sont reliés essentiellement par trois choses : 1- le lien historique entre la population kurde de Syrie et celle de Turquie, car malgré la frontière entre les deux pays, il existe des relations familiales qui réunissent les Kurdes de deux côtés. 2- Beaucoup de membres du PYD, avant le conflit syrien, étaient actives dans le rang de PKK. C’est pourquoi, ils ont un lien idéologique et politique très étroit. 3- Finalement, la mise en place du programme du confédéralisme démocratique grâce auquel les deux partis veulent résoudre les conflits religieux et ethniques du Moyen-Orient.
En ce qui concerne les Kurdes d’Irak : la relation est plus compliquée, car le Kurdistan irakien qui est gouverné par les Kurdes eux-mêmes depuis de nombreuses années, a une situation plus stable et en profitant de richesse de pétrole. Mais, malgré cette image, en réalité les Kurdes irakiens sont divisés entre les deux grands partis politiques PDK et UPK. Le premier a un lien étroit avec la Turquie et le deuxième avec l’Iran. C’est la raison pour laquelle leur décision politique est influencée clairement par ces deux pays. Compte tenu de la situation, hormis le PDK qui a un rapprochement très étroit avec la Turquie, et donc suit la position de gouvernement turc envers le Rojava, les autres partis politique notamment UPK soutiennent clairement le PYD.
Le Rojava
Un regard sur l’histoire des 20 siècles de la Syrie, nous montre que dans ce pays, les Kurdes, bien qu’ils forment 15% de la population, sont toujours vus comme les immigrés donc ils ne sont pas reconnues par la constitution comme minorité ethnique. De plus, l’avis officiel du parti Baas qui gouverne depuis un demi-siècle ce pays, est que les Kurdes sont des immigrés non arabes qui sont arrivés par une conspiration des pays étrangers. C’est pourquoi, ils ont mis en place une politique discriminatoire envers eux pour les obliger à partir, notamment la déchéance de nationalité, le déplacement forcé et l’interdiction de parler et d’étudier dans leur langue. Mais, après les soulèvements arabes (le printemps arabe) les Kurdes de Syrie aussi se soulèvent en 2011 pour demander leur droit et une fois pour toutes d’en finir avec les politiques assimilationnistes. Et puis, le conflit a pris une direction dans laquelle les partis kurdes ont pu d’abord contrôler les régions où ils vivent et puis mettre en place un gouvernement autonome pour le nord de la Syrie. En plus, en 2013, ils ont promulgué une constitution « la Charte du Contrat social » que l’administration doit suivre. Pour bien comprendre le système du Rojava, jetons un regard rapide sur certains articles de cette constitution.
D’abord, il faut noter que les thèmes plus importants qui sont cités, sont la place des femmes dans la société, la démocratie directe, le pluralisme et l’identité. Par exemple dans l’article trois pour montrer la diversité de la population :
« Articles3
a- La Syrie est un État libre, souverain et démocratique, gouverné par un système parlementaire basé sur les principes de décentralisation et du pluralisme.
b- Les Régions Autonomes sont composées des trois cantons libres d’Afrin, de Jazirah et de Kobané, formant partie intégrante du territoire syrien.
c- Le Canton de Jazirah est composé des communautés ethniquement et religieusement différentes de kurdes, arabes, syriaques, tchétchènes, arméniens, musulmans, chrétiens et yazidis, vivant dans la coexistence pacifique et la fraternité. L’Assemblée législative élue représente les trois cantons des Régions Autonomes. La structure de la gouvernance dans les Régions Autonomes »10
Dans l’article 21 ils acceptent sans aucune condition toutes les conventions internationales relatives aux droits de l’homme : « Article 21, la charte comprend la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention internationale relative aux droits civils et politiques, la Convention internationale relative aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que d’autres conventions internationalement reconnues des droits de l’homme »11
Ou dans cet article ils précisent le droit l’individuel devant la loi « Articles 23 a – Toute personne a le droit d’exprimer son identité ethnique, culturelle, linguistique ainsi que les droits dus à l’égalité des sexes. b – Toute personne a le droit de vivre dans un environnement sain, basé sur l’équilibre écologique. »12
Enfin dans une région où les femmes n’ont aucun droit « Article 28 Hommes et femmes sont égaux aux yeux de la loi. La Charte garantit la réalisation effective de l’égalité des femmes et oblige les institutions publiques à travailler à l’élimination de la discrimination entre les sexes. »13
En effet dans le préambule de « Charte du Contrat sociale » on propose ce programme pour toute la Syrie. « Par la construction d’une société libre de l’autoritarisme, du militarisme, du centralisme et des interventions des autorités religieuses dans les affaires publiques, la Charte reconnaît l’intégrité territoriale de la Syrie et aspire au maintien de la paix intérieure et internationale »14
Sachons que la constitution Rojava est la plus progressiste au Moyen-Orient en ce qui concerne de l’individu sur le respect d’individu, Homme / Femme, le respect de la nature, etc. Donc nous pouvons conclure que le mouvement kurde de Syrie est le seul qui ait suivi les vraies revendications le soulèvement dans ce pays.
Les relations extérieures
Il est difficile de parler des relations extérieures du Rojava avec les pays étrangers. Certes, il y a les représentants du PYD aux États-Unis, en Russie, en France et dans d’autres pays européens. De plus, tous ces pays sont d’accord que les combattants kurdes sont la seule armée sur laquelle ils puissent s’appuyer contre les djihadistes. Et puis sur cette confiance, les États-Unis et la Russie les aident militairement et accueillent certains dirigeants kurdes. Mais, les intérêts économiques et la géostratégique avec la Turquie, l’Iran, et le Monde arabe les empêchent d’officialiser leur relations avec le Rojava, c’est la raison pour laquelle tout lien entre les Kurdes et d’autres pays passe par les services de renseignements de ces pays.
Il faut noter que les États-Unis sont l’acteur clé dans la région et les Européens suivent la plus souvent la stratégie américaine. Ainsi, on pourrait dire que le rôle est partagé entre l’Amérique et la Russie. De ce fait le Rojava essaie de collaborer avec les deux acteurs sous une forme spécifique. Certes, la Russie, a permis au PYD d’ouvrir un bureau de représentation à Moscou. Mais,il y est très peu probable que les deux puissances changent leurs stratégies régionales pour les Kurdes, c’est pourquoi l’administration du Rojava essaie de mener une relation diplomatique basée sur leur propre agenda.
Conclusion
Dès le début du conflit syrien en 2011, les Kurdes essayèrent de continuer de réclamer leur droit d’une manière pacifique. Mais en ripostant contre les groupes extrémistes qui les attaquent, les forces du PYD ont pu contrôler plus de 25% du territoire viable de la Syrie. Ensuite le PYD a mis en place un programme dans lequel toutes les minorités ethniques et religieuses peuvent vivre sans aucune discrimination. Et cela n’est pas une chose donnée car pour chaque parcelle de cette terre ils ont combattu et des milliers des jeunes combattantes et combattants sont devenus martyrs pour leur cause en espérant qu’un jour ils puissent vivre dans la paix et la sérénité.
De plus, il faut que nous sachions que ces combattantes et combattants ne se battent pas seulement pour eux mais ils se battent contre un ennemie caché, qui d’une part menace la paix dans le monde entier et qui d’autre part, soumet à l’esclavage chaque personne qui ne pense pas comme lui. Ainsi, nous pourrons dire que la vraie menace n’est pas l’EIIL : celui-ci tout seul ne pourrait rien si il n’était pas soutenu dans ses idées par les Etats de la région.
Quant à l’origine de cette situation, qu’on le veuille ou non, il faut reconnaître que d’une part les Américains et les Européens et d’autre part la Russie sont responsables de cette situation. En ce qui concerne les Kurdes; après la Première Guerre mondiale, les vainqueurs trahirent les Kurdes en les laissant opprimés, assimilé. Les Kurdes ont été victimes de génocide culturel et physique par les Turcs, les Arabes et les Perses tout au long du 20 siècles. En même temps, ajoutons à cela que dans ces destructions massives contre les Kurdes, des milliers des citoyens non kurdes de ces pays, qui croyaient en la démocratie et en la liberté sont éliminées par les gouvernements d’élites en place qui sont soutenus soit par les Occidentaux, soit par l’Union soviétique.
Et puis, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’alliance entre les gagnants fut brisée en donnant naissance aux deux blocs militaires et idéologiques: l’un dirigé par les États-Unies et l’autre par l’Union soviétique. La rivalité entre ces deux adversaires a pris une ampleur immense durant la guerre d’Afghanistan (1979-1989) qui fut occupée par l’armée de l’URSS.
Les Occidentaux commencèrent à soutenir tous les groupes djihadistes qui se battirent contre l’envahisseur d’URSS. En d’autres termes, les Occidentaux dans une ignorance complète, nourrissaient un serpent en leur sein. D’ailleurs, après la chute de l’URSS, les États occidentaux continuèrent à soutenir militairement et économiquement les États totalitaires et théocrates qui opprimèrent tous les mouvements démocratiques et les soulèvements libérateurs. En retour, les mouvements islamistes ont eu la carte blanche pour mener leurs projets et semer la graine de la haine contre toutes les valeurs proclamées par l’Occident.
Les pays occidentaux se réveillèrent quand leurs villes telles que : New York, Madrid, Paris, Nice, Bruxelles, Californie, etc. subirent des attentats terroristes. Actuellement, les forces armées du PYD luttent pour la construction d’une société plus juste qui approuve toutes les valeurs proclamées également par l’Occident. Mais la Turquie qui, dès le début était contre les Kurdes, a récemment commencé à attaqué les Kurdes pour sauver les djihadistes. Dès lors, les Occidentaux doivent décider soit de soutenir les Kurdes clairement et sans ambiguïté pour réparer les erreurs morales et politiques qu’ils ont commises au fil du temps envers ce peuple, soit pour leurs intérêts économiques, une fois de plus, ils se soumettent aux exigences de leur allié turc et de ceux des pays du Golfe.
Au vu et au su de tous, nous devons préciser qu’il faut être naïf pour déclarer que les mouvements islamistes sont affaibli, car il y a 15 ans, le seul mouvement islamiste était Al-Qaïda qui se trouvait dans deux pays, mais actuellement il y a plus 20 groupes islamistes que se propagent dans plus de 15 pays du Moyen-Orient et des pays d’Afrique. Et puis, l’islamisme radical a une grande capacité de mobilisation sur laquelle ils peuvent compter pour menacer la vie de chaque personne dans le monde. Les combattants des YPG / YPJ sont une remarquable machine de guerre sur le plan politique et idéologique. Avec ou sans les Américains et les Européens, ils mèneront leur combat. ils sont prêts à sacrifier leur vie, non seulement pour défendre leur cause mais aussi pour défendre nos libertés, nos valeurs humaines. En dépit de l’avenir incertain du Rojava, ces combattantes et combattants sont en train de continuer de se battre contre l’obscurantisme, les régimes totalitaires et la théocratie.
Alors, Nous sommes certains que le progrès de la démocratisation, qui est en train de se faire au Rojava, pourrait donner l’inspiration à tous les mouvements libérateurs de la région qui voudront créer un Etat démocratique, car sans celui-ci, la division entre les différents peuples ethniques et religieux est tellement profonde qu’il est peu probable qu’ils puissent continuer de vivre ensemble dans un seul pays.
Il est certain que, jusqu’à présent, les Kurdes ne demandaient que la liberté, le respect et leur acceptation en tant que peuple, ce que les nations dominatrices ne veulent pas. C’est pourquoi, Nous croyons que les grandes puissances, au lieu d’enfoncer le couteau dans la plaie, doivent accepter la création d’un Etat kurde, sans quoi, il serait difficile de trouver la paix au Proche-Orient.
Notes
- Le Dessous des cartes, l’émission diffusée sur la chaîne de télévision franco-allemande Arte
- Les Kurdes en Syrie, in Gérard Chaliand, Les kurde et les Kurdistan : page 61
- Syrie : le facteur kurde Outre Terre 2006/1-n°14 pages 217à231)
- . Les Kurdes et le Kurdistan pages 315
- Les Kurdes en Syrie, in Gérard Chaliand, Les kurde et les Kurdistan pages 316
- . Mohamed Taleb Hilal, Etude sur la province de Djazira. La traduction française est faite par Ismet C. Vanly, Le problème kurde en Syrie p. 27-29
- . Gérard Chaliand, Le malheur kurde cit, p.169.
- . Page. 224 Syrie la facture kurde, Julie Gauthier
- . Ibid
- la traduction du charte du Rojava en français : https://blogs.mediapart.fr/maxime-azadi/blog/091114/le-contrat-social-de-rojava
- Ibid
- Ibid
- Ibid
- Ibid
Bibliographie
– Les Kurdes : Basile Nikitine
– Les Kurdes et Leur Histoire : Sabri Gigerli
– Les Kurdes et le Kurdistan : ouvrage collectif sous la direction de Gérard Chaliand
– CONNAISSANCE DES KURDES : THOMAS BOIS
– Géopolitique des Kurdes : Philippe Boulanger
– La question Kurde à l’heure de Daech: Gérard Chaliand
– Le Mouvement national Kurde : Chris Kutschera
Mohamed Taleb Hilal, Etude sur la province de Djazira. La traduction française est faite par Ismet C. Vanly, Le problème kurde en Syrie
Syrie la facture kurde, Julie Gauthier
-https://feminact.wordpress.com/2015/06/11/turquie-un-parlement-feminin-historique/
https://blogs.mediapart.fr/maxime-azadi/blog/091114/le-contrat-social-de-rojava
D. Z.
Texte écrit en 2016