AccueilKurdistanRojavaL'histoire de la langue kurde au Rojava

L’histoire de la langue kurde au Rojava

La langue kurde au Rojava

La reconnaissance de la langue kurde dans les régions où vivent les Kurdes est l’une des revendications les plus essentielles que les Kurdes aient recherchées dans les quatre parties du Kurdistan, au siècle dernier.
En examinant les changements politiques et les évolutions au Kurdistan au cours des cent dernières années, on peut dire que la langue kurde (dialecte Sorani) est actuellement la langue officielle du Kurdistan irakien, mais en Iran et en Turquie, cette langue souffre de certaines limites.
La plupart des Kurdes syriens (Rojava) parlent le dialecte kurmanji avec peu de différences. Imposer des politiques strictes et interdire l’utilisation de la forme écrite et orale du kurde en Syrie a laissé des effets néfastes sur le développement et l’expansion de l’utilisation de la langue.
Cependant, en Union Soviétique, il y eut quelques tentatives pour développer et publier des livres en kurmanji, et la fondation de la Radio Yerevan fut un pas important vers la préservation du patrimoine de la langue kurmanji.
Néanmoins, les premiers efforts ont été déployés à l’époque où la France a mandaté la Syrie.
Le Dr Céladet Bedirkhan et sa famille ont été les pionniers de la modernisation de la langue et de la littérature kurmanji. Jaladat, qui parlait couramment l’allemand, le français et l’anglais, joua un rôle remarquable dans l’utilisation et la diffusion de l’alphabet latin dans les écrits en kurmanji.
Ce sont les magazines « Hawar » et « Ronahi » qui ont publié et propagé les idées de Celadet et de ses amis.
Outre la famille Bedirkhan, le poète Cigerxwîn et Osman Sabri, ainsi que d’autres poètes et écrivains kurdes, ont poursuivi leurs efforts individuels sous la forme de la Société Xoybûn (« être soi-même » en kurde), une société semi-indépendante fondée par les intellectuels kurdes en Syrie, confrontés à de nombreux problèmes. Le gouvernement de l’époque de la Syrie leur a imposé des pressions et les Français ont cessé de soutenir les Kurdes.
Après l’établissement du parti baathiste en Syrie, les limitations ont augmenté et la langue kurde a été complètement bannie. Parallèlement à cet événement, ignorer les droits de citoyenneté de tant de Kurdes et changer la démographie des régions kurdes, est devenu la priorité des politiques racistes du régime Baathiste. Cette politique a été poursuivie intensivement jusqu’en 2011.
Les Kurdes au Rojava
Il n’y a pas de statistiques précises sur le nombre de Kurdes syriens, mais les sources non officielles rapportent que leur population est d’environ 10% en Syrie.
La langue kurde après les événements de 2011 en Syrie
Au milieu de juillet 2011, et quand la révolution venait d’être déclenchée en Syrie et au Rojava, l’Institut de la langue kurde a été créé.
Dans le contrat social de l’autonomie des cantons du Rojava, dans la première section «Principes généraux», l’article 9 se lit comme suit :
Les langues officielles du canton de Jazira sont le kurde, l’arabe et le syriaque. Toutes les communautés ont le droit d’enseigner et d’être enseignées dans leur langue maternelle.
Dans la deuxième section et dans les «Principes de base», l’article 23 stipule : «Toute personne a le droit d’exprimer ses droits ethniques, culturels, linguistiques et de genre».
Il existe deux instituts dans le Rojava pour développer et diffuser la langue : le mouvement de la langue de d’éducation (TZP en kurde) et l’Institut de la langue kurde (SZK). Ces instituts organisent des conférences annuelles afin de définir et de revoir leurs stratégies et procédures éducatives.
Lors de la conférence sur la langue et l’éducation kurdes qui s’est tenue l’année dernière [en 2015] à Qamishlo, la politique du Parti de la justice et du développement au pouvoir en Turquie vis à vis de la langue et la passivité et la suspension de la langue kurde en Iran ont été condamnées. Après avoir terminé les cours d’éducation, ces instituts délivrent des certificats aux étudiants de langue kurde.
La première académie de langue kurde au Rojava a été nommée en l’honneur de Farzad Kamangar, l’enseignant kurde en Iran. À l’heure actuelle, les académies de langue et de littérature kurdes ont été ouvertes à Qamishlo, Serikaniyê, Kobanê et Afrin. La plupart des enseignants et des organisateurs de ces académies sont des femmes. Par exemple, dans le canton d’Afrin, plus de 90% des enseignants et des tuteurs sont des femmes.
L’Institut de la langue kurde à Kobanê, a été ruiné pendant la guerre et les conflits avec l’EI, comme les autres parties de la ville. Le Mouvement pour la langue et l’éducation prépare à présent les écoles à la tenue des cours de langue kurde, en nettoyant la zone et les débris et en reconstruisant les écoles.
Divers partis kurdes ont également établi leurs propres centres d’éducation en langue kurde. Jegarkhwin, l’un des pionniers de l’enseignement de la langue kurde à Amuda, a déclaré : « Malheureusement, ici, dans ce cas, nous n’avons pas non plus de politique linguistique commune ».
L’éducation se déroule dans les trois niveaux de l’élémentaire, intermédiaire et avancé. Après avoir étendu l’éducation de ces niveaux, d’autres institutions ont été chargées d’éditer et de publier les livres de divers domaines en kurde, de sorte que les autres matières et domaines soient enseignés en kurde.
En outre, dans les grandes villes syriennes telles que Damas et Alep, où il existe un nombre considérable de Kurdes, des instituts de langue kurde sont créés. A Alep, 7 écoles primaires enseignent officiellement le kurde.
Outre ces procédures, on ne peut négliger l’effet puissant des chaînes satellitaires kurdes, de la radio, des journaux et des magazines.
La plupart des livres kurdes enseignés au Rojava ont été édités et publiés à l’Institute de la langue kurde à Istanbul, en Turquie.
La langue kurde avant les événements de 2011
Feryad Suleyman, est l’une des femmes enseignant la langue kurde à Serikaniyê. Elle parle du régime de Baath syrien pour arabiser les régions kurdes, et dit : « quand le régime de Baath a pris le pouvoir, tous les noms des villages et des villes kurdes ont été changés en arabe. Par exemple, Direk a été changé en Al-Malikiah, Kobani en Ayn al-Arab, et Serikani en Ras El Ain. »
Selon cette professeur kurde, même l’utilisation de noms kurdes pour nommer les bébés était interdite. Elle ajoute : « le processus d’arabisation a été exécuté en plusieurs phases. Si une personne parlait kurde, pour chaque mot kurde, elle était condamnée à une amende de livres syriennes. »
Jegarkhwin a appris l’alphabet kurde à travers les livres d’autodidactes kurdes qui ont été acheminés en Syrie depuis le Liban et qui ont été distribués secrètement dans les maisons.
Jegarkhwin dit : « S’habituer à l’alphabet latin prenait un peu de temps et au début, nous écrivions kurde avec le même script arabe. »
Avant la déclaration de l’autonomie au Rojava, sous l’ère du régime de Baath, la compassion personnelle et l’amour de la langue kurde incitaient les gens à essayer d’apprendre secrètement la langue kurde en petits groupes.
Delil Delgash, responsable de l’Institut de langue et d’éducation kurde à Amuda : « nous étions des enfants, mais nous savions que nous avions une langue différente. Nous cachions notre stylo et notre papier dans nos vêtements et nous allions dans une maison, où les cours avaient lieu au sous-sol. »
Selon lui, la langue kurde était considérée comme une langue étrangère par le gouvernement, et ils pensaient que les Kurdes voulaient désintégrer la Syrie en utilisant leur langue et qu’ils appelaient les Kurdes «peuple étranger». Si quelqu’un parlait kurde, il était arrêté par les agents de l’État.
L’Institut de l’enseignement de la langue kurde a été fondé secrètement en 2005. Leur première conférence de cet institut s’est tenue à Alep en 2007, à laquelle ont assisté les Kurdes de diverses villes du Rojava.
Delgash était présent à cette conférence et a déclaré : « Nous étions environ 100 personnes et il nous a fallu quatre jours pour nous réunir à une heure précise. Après la conférence, de nombreux enseignants présents à la conférence ont été arrêtés. J’étais l’un d’eux. Ils ont dit que l’arabe était la langue officielle. Nous avons dit que les Chrétiens avaient des écoles spéciales, pourquoi ne pas en avoir une ? Et ils répondirent : « Vous [les Kurdes] n’êtes pas comme eux, vous créez des ennuis »
La deuxième conférence a eu lieu en 2009, à Kobanê. Une déclaration a été lue dans cette conférence qui disait : « Que le kurde soit la langue officielle du pays ». La troisième conférence s’est tenue officiellement en 2011, à Amuda.
Les prochaines étapes
Concernant le statut actuel et la présence plus active des étudiants en langues dans les écoles, Delil Delgash déclare : « nous faisons maintenant des arrangements pour éditer et publier des livres kurdes dans divers sujets et ensuite nous les distribuerons et les enseignerons dans les écoles. » L’Etat syrien continue à leur poser des problèmes : « Le régime d’Assad ne reconnaît pas la langue kurde et nous savons avec certitude que s’il reprend le contrôle des zones kurdes, il utilisera les procédures précédentes. »
Selon Delgash, la révolution populaire de 2011 leur a donné une chance historique pure et a permis de développer la langue kurde au Rojava.
Delgash poursuit : « Au début, il y avait juste des Kurdes dans les classes, mais maintenant nous avons des étudiants arabes et assyriens dans les classes. »
En ce qui concerne les réformes de l’état du régime de Baath, il a été déclaré que la langue kurde sera enseignée à l’Université de Damas. Mais il a également été dit que la langue kurde sera enseignée en alphabet arabe, ce qui était considéré comme une tromperie politique, et puis, proposé trop tard. Delgash croyant encore que la présupposition chauvine n’a pas été exclue dans le régime centralisé de Baath, déclare : « à Genève II, ils voulaient dire qu’ils ont vraiment réformé leurs méthodes. Il était tellement ironique que pendant qu’ils perturbent les affaires des écoles kurdes, ils proposent en même temps d’enseigner le kurde dans les universités. Pourquoi c’est bon pour les universités et pas les écoles ? »
Le nombre d’enseignants de langue kurde a été estimé [en 2015] à 1 325 dans le canton de Jazira, 930 à Afrin et 400 à Kobanê. Vian Amaara était l’une des enseignants kurdes qui a été tuée dans la guerre de Kobanê. Elle est aujourd’hui le symbole du mouvement linguistique et éducatif au Rojava.
Arshek Barawi, est un professeur de langue kurde vétéran à Amuda. Il a enseigné le kurde depuis 1980. Dans sa jeunesse, Arshek avait fait beaucoup d’efforts pour apprendre sa langue maternelle, mais comme il le dit, personne n’était là pour l’aider. « J’ai donc décidé de l’apprendre par moi-même. Il y avait trois partis kurdes secrets dans la ville, et quand je leur ai demandé de m’aider, ils ont dit qu’ils le feraient si je rejoignais leurs partis. Au début, j’étais tellement déçu que j’ai abandonné l’idée d’apprendre ma langue maternelle. »
Arshek était l’enfant unique de la famille. Il avait entendu dire qu’au Liban, il y avait des rassemblements kurdes ; « Mon père m’a toujours dit qu’un renard libre valait mieux qu’un lion en cage, alors il a respecté ma décision et a payé les frais de voyage jusqu’au Liban et là, je pouvais graduellement apprendre le kurde. »
En Turquie, Ataturk avait dépensé beaucoup d’argent et avait invité 70 éminents linguistes du monde en Turquie afin de promouvoir et de développer la langue turque. Arshek dit : « Au contraire du turc, notre langue est la langue souterraine et secrète qui était le résultat des efforts déployés par les intellectuels qui feraient n’importe quoi juste pour joindre les deux bouts. Par exemple, quelqu’un de cultivé comme Céladet Alî Bedirxan, dans les dernières années de sa vie. Tous ont été exilés. »
Selon Arshek, il existe encore de nombreux obstacles à l’enseignement du kurde, tels que le nombre réduit d’enseignants qui parlent couramment le kurde ; Le manque d’installations suffisantes et la crainte que les salaires des enseignants et du personnel enseignant soient coupés par les fonctionnaires du ministère de l’Education à Damas.
Ranya est une étudiante de deuxième cycle (intermédiaire) kurde à Serikani. Elle a appris l’arabe à l’école et maintenant apprend le kurde. Ranya dit qu’auparavant elle avait des paradoxes et manquait de confiance, mais maintenant elle se sent fière.
Mohammad Mahmoud Haju, l’homme chargé de coordonner les affaires de l’Institut de la langue et de l’éducation de Serikaniyê, dit que les gens avaient d’abord peur d’apprendre le kurde, parce que la présupposition du régime de Baath était toujours là. Haju dit aussi : « nous avons changé cette attitude, en travaillant dur et ayant des activités constantes. Nos gens ont peur d’apprendre le kurde, car il est toujours possible que le régime de Baath revienne. »
En plus de ces instituts, il existe d’autres organisations et académies dont l’objectif principal est de développer le kurde.
Zozaan Haji Ahmad, la responsable du Mouvement linguistique et éducatif du canton de Jazira et de l’Académie de la langue kurde à Qamishli, explique que l’établissement de l’Académie de la langue kurde avait pour but d’améliorer et de mettre à jour les niveaux académiques kurdes.
Superviser les instituts de la langue kurde et les consulter, tenir diverses conférences, soutenir les écrivains kurdes, éditer et publier des livres kurdes dans divers domaines, former des professeurs de langue kurde, éditer des dictionnaires kurdes dans différentes langues et communiquer avec les organisations linguistiques dans le monde sont les tâches de différents comités dans l’académie.
Rojda Forat, membre du Conseil de Coordination de l’Académie des Sciences Sociales de Mésopotamie, considère l’objectif de la création de l’Académie des Sciences Sociales en kurde comme une réponse aux efforts déployés pour actualiser les potentialités de la langue kurde sur le plan sociologique et humain. Elle dit que l’académie vise à créer des infrastructures, à traduire les livres de sciences humaines et à construire de nouveaux mots. Azad Qamishlu, autre membre du Conseil de coordination de l’Académie des sciences sociales de Mésopotamie, ajoute : « L’édition complète de la traduction des livres de sciences humaines et le développement des communications bilatérales avec les instituts académiques dans le monde sont les objectifs et les activités doivent être faites en premier. Nous demandons également à des linguistes experts et à des traducteurs de coopérer avec nous et de nous permettre d’utiliser leurs expériences. »
Les combattants étrangers et l’apprentissage de la langue kurde
Shuresh a vingt-quatre ans et vient de Catalogne, en Espagne, pour aider les habitants du Rojava. Il dit qu’il doit apprendre le kurde pour mieux communiquer avec les gens.
« Je pense que le kurde est une langue très agréable, même si l’apprendre c’est très difficile. Je pense qu’il y a plusieurs raisons à cela. comme la langue est très riche et a un large éventail de mots. Le manque de ressources éducatives dans d’autres langues est une autre raison de la difficulté d’apprendre le kurde. »
Je lui demande s’il y a des similitudes entre le catalan et le kurde, il répond en éclatant de rire : « oui, juste un mot; « toi » ! (« Tu » en kurde et en catalan). Mais la grammaire est complètement différente. »
Shuresh dit : « Quand Franco a pris le pouvoir en Espagne, il a essayé d’éliminer la langue et la culture catalanes. Beaucoup de gens ont été arrêtés, torturés et même tués, mais de nos jours, la langue catalane est plus vivante que jamais. Donc, je pense que le processus d’assimilation et les efforts pour éliminer le kurde en Turquie, en Syrie et en Iran, qui figurent en tête des planificateurs de l’éducation dans ces pays, sont vains et rendent les écarts plus évidents et explicites. »
A la fin de chaque interview, on m’a posé une question commune à laquelle je n’avais pas de réponse mais un sourire plat, et cette question était : « Là où vous vivez, comment la langue kurde est-elle enseignée ? »

 

Cet article fait partie d’une série écrite par Zanyar Omrani, un cinéaste kurde et militant des droits de l’homme qui a visité le Rojava, ou Kurdistan de l’Ouest, au printemps 2015.