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TURQUIE. Le militarisme turc a étouffé la vie à Çelê

TURQUIE / KURDISTAN – Çelê illustre parfaitement le dépeuplement des régions kurdes dû aux zones d’exclusion militaire. Trente-huit villages sont assiégés, la vie civile y est impossible. Ce qui était autrefois un espace culturel et économique est désormais le symbole d’une militarisation systématique.

Dans le district frontalier kurde de Çelê (en turc : Çukurca), au nord du pays, de vastes zones rurales restent interdites à la population civile. Au total, 38 villages et hameaux sont classés « zones de sécurité spéciales », une mesure initialement temporaire mais désormais permanente. Ce district, situé dans la province de Colemêrg (Hakkari), jouxte directement la région du Kurdistan irakien et figure parmi les zones les plus militarisées du pays.

Population déplacée et infrastructure militaire étendue

Dès les années 1990, de nombreux villages de Çelê furent entièrement vidés de leurs habitants et détruits lors d’expulsions forcées menées dans le cadre de la « contre-insurrection » – la guerre sale contre le PKK. Nombre de ces villages ne furent jamais repeuplés. À la place, des zones d’exclusion militaire, des bases et des points de contrôle furent établis. Le retour dans ces zones demeure pratiquement impossible à ce jour.

Les arrêtés de l’administration provinciale turque déclarent régulièrement de vastes portions du district zones d’exclusion militaire. L’accès y est donc limité à l’armée, à la police et aux gardes paramilitaires des villages. Cette situation affecte également les terres agricoles, les pâturages et les prairies d’été traditionnelles qui constituent depuis des générations le fondement du mode de vie régional.

La vie traditionnelle impossible

La liste des zones réglementées est longue : outre les grands villages comme Erbîş, Canmeda, Helalî et Seranî, des dizaines de hameaux et de villages isolés sont concernés, notamment Bite, Barzan, Qesirk et Sivsîdan. Même certains villages encore habités aujourd’hui, tels que Serspî et Siyavik, font l’objet de restrictions d’accès régulières. Il en résulte un exode massif : la majorité de la population a quitté Çelê. Les jeunes, en particulier, partent pour d’autres villes faute de perspectives d’avenir. L’agriculture et l’élevage, autrefois principales sources de revenus, ont quasiment disparu.

La logique sécuritaire domine, le patrimoine culturel est marginalisé.

Çelê était autrefois réputée pour sa diversité culturelle, ses échanges commerciaux transrégionaux et un tissu urbain façonné au fil des siècles. Cette topographie culturelle et sociale est de plus en plus supplantée par une logique de contrôle et de domination sécuritaire. Depuis le milieu des années 2010, le nombre d’installations militaires n’a cessé d’augmenter. De nouveaux postes d’observation ont été construits sur de nombreuses collines et les zones réglementées ont été étendues. Ces mesures, initialement qualifiées de « temporaires », sont désormais considérées de facto comme permanentes.

Un comté en état d’urgence

De par sa situation géographique en bordure du territoire turc, Çelê est devenue une sorte de zone tampon où les structures de la société civile ont quasiment disparu. Des organisations de défense des droits humains comme l’IHD dénoncent depuis des années la manière dont les mesures de sécurité sont devenues un instrument de déplacement structurel. La vie civile y est non seulement restreinte, mais systématiquement empêchée. Aucune fin n’est actuellement en vue pour ces mesures. Les initiatives de retour et les efforts de revitalisation des infrastructures n’ont pas non plus abouti. (ANF)