TURQUIE / KURDISTAN – Dans la province kurde de Diyarbakir (Amed), la consommation de drogue est en hausse et l’âge de la première consommation diminue. Une initiative tire la sonnette d’alarme, dénonçant l’érosion sociale causée par la pauvreté, le désintérêt politique et des stratégies de subversion délibérées. Leur réponse : l’auto-organisation collective.
Selon les organisations de la société civile, la consommation de drogue chez les jeunes du Kurdistan du Nord est en constante augmentation. Amed (Diyarbakır), la capitale provinciale, est particulièrement touchée, et la situation s’aggrave dans plusieurs districts. Murat Kan, co-porte-parole de la plateforme kurde antidrogue « Şiyar Be ! », évoque une crise sociale caractérisée par un abaissement drastique de l’âge de la première consommation et une prévalence croissante. Il attribue ces phénomènes aux évolutions socio-économiques et politico-stratégiques de ces dernières années.
Drogues, prostitution, jeux d’argent : symptômes d’érosion sociale
« À Amed, comme dans de nombreuses autres régions du Kurdistan, nous constatons une recrudescence du trafic de drogue, mais aussi de la prostitution, des jeux d’argent illégaux et du crime organisé », a déclaré Kan à l’agence ANF. Ces phénomènes témoignent d’une crise qui s’aggrave : la pauvreté, l’exclusion sociale, la désorientation et l’aliénation par rapport à leur environnement ne cessent de croître. « Les gens ont perdu tout lien avec les valeurs collectives. Ce déracinement crée un vide, et des structures destructrices s’y engouffrent », a ajouté Kan. Il est particulièrement alarmant que cette évolution touche d’abord les enfants et les jeunes, qui n’ont plus accès à aucun filet de sécurité sociale.
Méthodes de « guerre spéciale » au Kurdistan
Outre la négligence structurelle de l’État, la plateforme dénonce également une stratégie politique délibérée à l’origine de la situation. Kan évoque une prétendue « politique de guerre spéciale » qui cible la résilience sociale de la population kurde. Selon lui, cette politique vise à affaiblir l’identité collective, à neutraliser tout potentiel de résistance et à saper systématiquement la cohésion sociale. Kan considère également que la tolérance, voire la propagation délibérée, de la consommation de drogue et d’autres dynamiques destructrices font partie intégrante de cette stratégie.
La pauvreté et la guerre comme terreaux fertiles
« Depuis le plan de désintégration de 2014, le système des forces spéciales est devenu un instrument de destruction directe de la société », a déclaré Kan. Il ne s’agit plus seulement de répression politique, mais d’une « érosion à tous les niveaux de la vie ». Un autre aspect est la pauvreté persistante, exacerbée par les crises économiques et le manque de perspectives. « Une société qui vit pendant des années dans la guerre, l’insécurité et les difficultés économiques perd inévitablement son filet de sécurité sociale », a poursuivi Kan. Cela conduit des jeunes en situation précaire à se tourner vers des structures destructrices, souvent faute d’alternatives.
Contre-stratégie : Organisation et retour aux valeurs
La négligence de l’État, les mesures de sécurité répressives et le déclin des infrastructures sociales ont engendré un climat où la dégradation est devenue la norme. La plateforme appelle donc à une réponse sociétale globale : par l’auto-organisation collective, l’éducation et la reconstruction de valeurs partagées. « Nous devons commencer là où, en tant que société, nous sommes devenus les plus vulnérables », a déclaré Kan.
Cela signifie créer des espaces sociaux où la solidarité, l’égalité, la dignité et le sentiment d’appartenance peuvent à nouveau être vécus. « Notre réponse à cette situation n’est pas le repli sur soi, mais la construction : nous devons réintégrer nos principes éthiques et politiques dans la vie quotidienne – à l’école, dans les quartiers, en famille et au sein des communautés », a déclaré Kan. Pour y parvenir, il est essentiel de mettre en place des structures sociales organisées qui offrent protection, accompagnement et participation.
La plateforme « Şiyar Be! » est active dans plusieurs villes, dont Amed, Êlih (Batman), Şirnex (Şırnak) et Mêrdîn (Mardin), et propose un soutien aux victimes et à leurs familles, ainsi qu’un travail de prévention. Son objectif est de sensibiliser le public aux causes profondes du problème, et non seulement à ses symptômes. (ANF)
Le « Plan de décomposition » (en turc : « Çöktürme Planı », que l’on pourrait traduire par « Mettre à genoux ») est une stratégie militaro-politique d’anéantissement de la société kurde, élaborée par l’État turc durant le processus de dialogue entre Ankara et le représentant kurde Abdullah Öcalan, qui s’est déroulé de 2013 à 2015. Les méthodes employées sont extrêmement diverses : au sein du mouvement kurde, le terme « guerre spéciale » désigne les moyens clandestins ou indirects de contrôle et de subversion étatiques, notamment la guerre psychologique, la désinformation, les pressions économiques et l’affaiblissement délibéré des structures sociales par le biais de problèmes sociaux tels que la drogue, la criminalité ou l’aliénation culturelle.