TURQUIE / KURDISTAN – Au moins 2 651 personnes, dont 27 enfants et 46 journalistes, ont subi des mauvais traitements en détentions, y compris dans les régions kurdes du pays, selon l’Association des droits de l’homme (IHD).
Le Centre de documentation de l’Association des droits de l’homme (İHD) a publié son rapport 2024 sur les violations des droits humains en Turquie. Ce rapport, basé sur la couverture médiatique et les déclarations officielles, met en lumière des restrictions généralisées, des interventions de l’État et des atteintes aux droits humains, dont 6 094 décès liés à des violations du droit à la vie. Les opérations militaires et les affrontements armés sont responsables du plus grand nombre de décès.
Au moins 3 262 personnes ont été tuées lors d’affrontements en Turquie et dans la région du Kurdistan irakien. Parmi les victimes figurent 10 civils, 38 soldats, un garde villageois et 1 530 membres de groupes armés.
D’après le rapport, les autorités ont interdit les manifestations dans 24 provinces, pour un total de 458 jours en 2024. Au moins 1 811 personnes ont été interpellées lors de rassemblements et de manifestations, et 127 individus ont été emprisonnés pour des publications sur les réseaux sociaux. Deux maires ont été arrêtés et des administrateurs ont été nommés pour remplacer les élus dans huit municipalités.
Dans 15 affaires d’usage illégal d’armes à feu par les forces de l’ordre, neuf personnes sont décédées et dix ont été blessées. Dans cinq de ces incidents, la police a ouvert le feu sur des individus qui auraient refusé d’obtempérer aux injonctions de s’arrêter, faisant trois morts et cinq blessés.
Décès en détention et en prison
Au moins trois personnes sont décédées en détention en 2024, dont un réfugié syrien soupçonné d’avoir été torturé dans un centre de rétention, et un autre individu, GA, qui se serait jeté d’un véhicule de police. Le décès de Serhat Kahyaoğlu, qui aurait été arrêté sous la torture, a suscité l’indignation publique après que l’autopsie a révélé des signes de violence physique.
Au moins 27 personnes sont décédées en prison ou peu après leur libération des suites d’une maladie.
Décès causés par la négligence
La négligence et les erreurs des autorités ont causé 128 décès et 266 blessés lors de 64 incidents distincts. Parmi les victimes, on compte 12 enfants. Au moins 20 personnes sont décédées lors de catastrophes naturelles telles que des inondations et des tremblements de terre, et 22 autres ont péri dans des incendies, des fuites de gaz ou des accidents domestiques similaires.
Sept personnes sont décédées après avoir été percutées par des véhicules des forces de l’ordre ou d’autres organismes officiels. Neuf personnes ont été tuées par des policiers faisant usage illégal d’armes à feu, tandis qu’au moins neuf personnes, dont sept enfants, se sont noyées en nageant durant l’été.
Des explosions provoquées par des mines terrestres ou des munitions abandonnées à Diyarbakır, Şırnak et Hakkari ont tué trois personnes, dont un enfant, et en ont blessé quatre autres.
Crimes haineux et violence raciste
Le rapport a recensé 106 attaques racistes, xénophobes ou motivées par la haine en 2024, ayant fait au moins 14 morts et 40 blessés. Parmi les 65 attaques racistes identifiées, 35 visaient des réfugiés ou des ressortissants étrangers, causant la mort d’au moins 11 personnes, dont neuf réfugiés (deux enfants) et deux citoyens d’autres pays. On estime à 3 000 le nombre de réfugiés ayant quitté Kayseri à la suite de ces incidents.
Les attaques visant la communauté LGBTI+ ont fait au moins quatre morts et sept blessés lors de 23 incidents.
Au moins 103 enfants sont morts en 2024 suite à des violations de leur droit à la vie, dont 71 dans des accidents du travail. Les violences sexistes ont entraîné la mort de 378 femmes, tandis que 315 autres décès ont été jugés suspects.
Le nombre de décès liés au travail est resté élevé, avec au moins cinq décès par jour en 2024.
mauvais traitements lors des détentions et des manifestations
Selon l’İHD, au moins 2 651 personnes ont été soumises à la torture ou à des mauvais traitements lors de détentions survenues à l’occasion de 191 manifestations pacifiques, dont 27 enfants et 46 journalistes.
En outre, au moins 501 personnes, dont 14 enfants, 15 journalistes et 101 réfugiés (dont 60 dans des centres de rétention), auraient été soumis à la torture ou à des mauvais traitements lors de procédures de détention officielles ou dans des centres de détention.
En dehors des lieux de détention officiels, au moins 102 personnes, dont 31 enfants et une personne handicapée, ont été victimes de torture ou de traitements inhumains.
Détentions et poursuites arbitraires
Le rapport indique qu’au moins 4 911 personnes ont été détenues arbitrairement et 611 autres arrêtées arbitrairement au cours de l’année 2024. Les arrestations du maire de Hakkari, Mehmet Sıddık Akış, membre du parti pro-kurde Égalité des peuples et démocratie (DEM Parti), et du maire d’Esenyurt, le professeur Ahmet Özer, membre du Parti républicain du peuple (CHP), ont été citées comme exemples de détentions arbitraires.
Au moins 260 enquêtes ont été ouvertes et 355 nouveaux procès intentés contre des personnes exerçant leurs libertés d’expression, de réunion ou d’association. Par ailleurs, 519 affaires en cours ont été maintenues. La police est intervenue dans au moins 313 manifestations pacifiques, procédant à 1 811 arrestations, principalement pour des allégations de torture ou de mauvais traitements, et faisant 40 blessés.
Interdictions et censure
Les autorités ont interdit au moins 24 manifestations culturelles, dont des concerts, des projections de documentaires et des expositions, tandis que 40 autres ont été entravées de diverses manières. Au moins cinq publications et dix livres ont été interdits ou confisqués. Les locaux d’un journal ont été perquisitionnés et sept stations de télévision et de radio, dont Açık Radyo, ont vu leur licence révoquée. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (RTÜK) a infligé de nombreuses amendes aux chaînes d’opposition.
Le parquet a ouvert des enquêtes sur des personnes dansant la ronde (govend) sur de la musique kurde lors de mariages ou dans des lieux publics. Quarante-huit personnes, dont des musiciens, ont été interpellées pour « propagande terroriste », et trente d’entre elles ont été placées en détention. Au moins trois ONG ont fait l’objet de procédures de dissolution, et un administrateur judiciaire a été nommé pour l’une d’entre elles.
Conditions de détention et répression politique
Le rapport indique que les prisons turques détiennent actuellement 1 412 détenus malades, dont 335 sont classés comme étant dans un état critique.
En 2024, on a recensé au moins 3 261 violations du droit à la communication des détenus et 476 mesures disciplinaires arbitraires. Au total, 855 détenus ont été transférés sans leur consentement dans des prisons éloignées de leur famille.
L’İHD a attiré l’attention sur la détention continue du député du Parti des travailleurs de Turquie (TİP), Can Atalay, malgré une décision de la Cour constitutionnelle déclarant invalide la révocation de son statut parlementaire.
Des administrateurs ont été nommés dans huit municipalités, une métropolitaine et quatre provinciales, notamment après l’emprisonnement de deux maires élus.
Lors du long procès de Kobane, plusieurs personnalités politiques du Parti démocratique des peuples (HDP), dont les anciens coprésidents Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ, ont été condamnées à des peines de prison allant jusqu’à 42 ans. (Bianet)