Cinquante ans après la mort de Franco, l’Espagne est aux prises avec son héritage tandis que les familles se précipitent pour exhumer les charniers, une quête douloureuse que les Kurdes comprennent profondément.
Une douleur partagée à travers les continents : le lien kurde
La quête déchirante des familles espagnoles pour exhumer les victimes d’un régime fasciste trouve un écho profond et douloureux chez le peuple du Kurdistan, une nation qui a enduré un siècle de persécution systématique, d’extermination de masse et l’horreur d’innombrables charniers non découverts.
Pour les Kurdes, les images de restes squelettiques soigneusement nettoyés du sol aragonais ne sont pas un lointain écho historique, mais une réalité viscérale et contemporaine, une expérience partagée de confrontation avec les preuves matérielles d’une mentalité génocidaire qui cherche à effacer un peuple de la surface de la terre.
La lutte menée en Espagne pour obtenir justice historique, offrir des sépultures dignes et garantir que de telles atrocités ne se reproduisent jamais est une lutte que le peuple kurde connaît trop bien, pour avoir subi la même brutalité calculée de la part de l’ancien régime baasiste en Irak.
La semaine dernière encore, comme l’a rapporté Kurdistan24, le président Massoud Barzani s’est adressé à la cinquième Conférence internationale sur la reconnaissance du génocide kurde, où il a méticuleusement relaté les campagnes d’extermination systématiques menées contre son peuple.
Il a évoqué la campagne d’Anfal, au cours de laquelle plus de 182 000 Kurdes ont été assassinés, dont beaucoup enterrés vivants dans les déserts du sud de l’Irak. Il a parlé du bombardement chimique d’Halabja, où des nourrissons et des femmes enceintes ont été gazés dans les rues, et du génocide perpétré contre les Yézidis en 2014.
« Le destin du peuple kurde, à travers l’histoire, n’a été que douleur, souffrance et oppression », a déclaré le président Barzani, un sentiment qui trouverait un triste écho dans les foyers de Pinsoro.
Les parallèles sont troublants. Alors que l’Espagne doit faire face à quelque 140 000 disparus suite à sa guerre civile, les Kurdes recherchent toujours les dépouilles de dizaines de milliers de victimes.
Pas plus tard que le mois dernier, Dhiaa Karim, directeur général du département irakien des affaires et de la protection des charniers, a déclaré à Kurdistan24 que si 81 des 98 charniers confirmés de l’époque Baas avaient été fouillés, les recherches se poursuivaient, car le nombre de tombes connues était encore bien inférieur au nombre de victimes recensées.
Le serment solennel du président Barzani lors de la conférence – « jusqu’à notre dernier souffle, nous nous efforcerons de faire en sorte qu’aucun os de nos martyrs ne reste non rendu » – est la même promesse qui anime les enfants vieillissants des victimes de Franco en Espagne.
Les défis scientifiques et émotionnels présentent également des similitudes frappantes.
Le reportage de l’AFP en provenance d’Espagne souligne la difficulté de l’identification par l’ADN, l’absence de base de données génétiques nationale et le décès de la plupart des parents directs rendant presque impossible l’identification de la grande majorité des restes exhumés.
Au Kurdistan, ce défi est relevé grâce à un effort scientifique concerté et financé par l’État. Lors de la conférence de Duhok, le professeur Yassin Karim a révélé le pouvoir glaçant de la médecine légale moderne, annonçant que des preuves scientifiques avaient démontré qu’au moins 45 enfants avaient été tués dans le ventre de leur mère pendant la campagne d’Anfal.
Cette nouvelle approche, fondée sur des données scientifiques et rapportée par Kurdistan24, s’inscrit dans un tournant stratégique visant à construire un dossier irréfutable en faveur d’une reconnaissance et d’une justice internationales, une voie que suivent également les militants espagnols.
Un paysage marqué par des tombes anonymes
Alors que l’Espagne s’apprête à commémorer le 50e anniversaire de la mort de Franco, le 20 novembre 1975, le pays est contraint de prendre conscience de l’ampleur des injustices historiques perpétrées par son régime. Le gouvernement socialiste du Premier ministre Pedro Sánchez estime à plus de 3 300 le nombre de charniers datant de la guerre civile.
La plus grande de ces tombes se trouve dans un imposant monument près de Madrid, autrefois connu sous le nom de Vallée des Morts, où quelque 33 000 corps des deux camps du conflit ont été enterrés, dont beaucoup de républicains déplacés là sans le consentement de leurs familles.
Franco lui-même fut enterré sur le site jusqu’en 2019, date à laquelle le gouvernement exhuma sa dépouille et la transféra dans un caveau familial plus discret, un acte hautement symbolique dans la bataille qui se poursuit autour de la mémoire historique de la nation. (Kurdistan24)