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TURQUIE. Après les confessions d’Erdogan, les Kurdes attendent des excuses

TURQUIE / KURDISTAN – Talip Tepe, un Kurde dont plusieurs proches furent assassinés par l’armée turque, a déclaré que l’État turc devait présenter des excuses au peuple kurde pour les crimes commis par les forces armées turques et garantir la coexistence par le biais d’une réforme juridique.

Au lendemain de l’incendie des armes du Groupe pour la paix et une société démocratique le 11 juillet, le président Recep Tayyip Erdoğan a reconnu les crimes commis dans les années 1990, évoquant les exécutions extrajudiciaires, les incendies de villages et les massacres de civils. Soulignant la résolution et le processus de paix engagés grâce à ces propos, Erdoğan a insisté sur l’importance d’une commission parlementaire pour prévenir de nouvelles atrocités.

Cependant, le président Erdoğan n’a pas prononcé un mot sur les crimes contre l’humanité commis durant son mandat, ni présenté d’excuses pour ces crimes. Durant la période évoquée, environ 15 000 meurtres non élucidés ont eu lieu, des dizaines de milliers de villages ont été incendiés et des millions de personnes ont été contraintes au déplacement. Talip Tepe, témoin direct de ces pressions, a déclaré que pour une paix véritable et sincère, le gouvernement devait aller au-delà des aveux et présenter des excuses aux familles. Ayant perdu six proches au cours de ce processus, dont deux dans des meurtres non élucidés, Talip Tepe recherche depuis dix ans les restes de son neveu, Abdürrahim Tepe. Après avoir été enterré au cimetière de Garzan, le corps d’Abdürrahim a été exhumé à la pelleteuse.

Le frère de Talip Tepe, Seyfettin Tepe, et son neveu Ferhat Tepe furent tous deux victimes de meurtres non élucidés alors qu’ils travaillaient comme journalistes à Bitlis (Bitlîs). Ferhat Tepe, 19 ans, reporter pour le journal Özgür Gündem à Bitlis, fut enlevé le 28 juillet 1993. Le 4 août, son corps sans vie fut découvert par un pêcheur sur les rives du lac Hazar à Elazığ (Xarpêt). Malgré toutes les démarches et tous les recours déposés par la famille, le meurtre ne fut jamais élucidé. Après l’assassinat de Ferhat, son oncle Seyfettin Tepe, qui refusa de déposer la plume, poursuivit son travail de journaliste comme correspondant à Batman (Êlih) pour le journal Yeni Politika. Le 25 août 1995, il fut placé en garde à vue à Batman et transféré à la section antiterroriste du département de police de Bitlis. Il est décédé le 29 août 1995, à l’âge de 27 ans. Les autorités ont affirmé que Seyfettin s’était suicidé pendant sa détention. Des décennies plus tard, les circonstances de sa mort restent non élucidées.

Talip Tepe a souligné que les tortures et les crimes contre l’humanité commis ces années-là ne doivent pas être oubliés. Il a souligné que de telles atrocités sont trop graves pour se résumer à des aveux. Tepe a appelé à des excuses officielles au peuple kurde, qui subit depuis longtemps l’oppression et la torture, et a déclaré : « Nous avons tant perdu. Nous ne voulons plus que quelqu’un meure. Un processus sincère doit commencer par des excuses pour ces crimes. »

Nous avons été gravement torturés dans les années 1990

Talip Tepe a expliqué qu’avant le début du processus de paix, il ne pouvait même pas retourner dans sa ville natale : « Nous avons beaucoup souffert ici dans les années 1990. Jusqu’au processus de paix, je ne pouvais pas y retourner. Du simple fait que mon nom de famille était « Tepe », j’étais constamment menacé ou contraint de devenir informateur. Pendant des années, je n’ai pas pu revenir. Je n’y suis retourné qu’après le début du processus de paix. »

Tepe a décrit la souffrance qu’il a endurée et a poursuivi : « Dans les années 1990, j’ai subi de graves oppressions et tortures. Mon frère journaliste Ferhat Tepe et mon neveu Seyfettin Tepe ont tous deux été victimes de meurtres non élucidés à cette époque. Malgré tout, nous n’avons jamais pu identifier leurs assassins, et les responsables sont restés impunis. Ils ont été tués parce qu’ils étaient journalistes. Notre famille s’est battue avec acharnement pendant cette période, mais personne n’a jamais été poursuivi. Avec eux, six membres de ma famille ont perdu la vie dans ce processus. Plus récemment, mon neveu Abdürrahim Tepe a perdu la vie lors d’un affrontement à Bitlis en 1997. »

Talip Tepe a déclaré qu’Abdürrahim Tepe avait été enterré au cimetière de Garzan, mais qu’après les attaques visant le cimetière, son corps avait été exhumé et transporté à Istanbul. Malgré un échantillon d’ADN fourni, la famille n’a toujours pas récupéré le corps. Il a exprimé sa douleur persistante et a déclaré : « Les attaques contre les cimetières et les meurtres non élucidés sont deux formes de cruauté inhumaine. À chaque fête, les familles se rendaient sur une tombe et gardaient un peu d’espoir. Mais aujourd’hui, même cet espoir leur a été retiré. »

C’est à la fois de la torture et une grande cruauté. Ces attaques sont inhumaines et inmorales. Durant cette période de guerre, notre famille a perdu six personnes, dont deux dans des meurtres non élucidés. Nous n’avons pas pu retrouver la tombe de l’une d’elles, ni les auteurs des deux autres.

Tepe a réaffirmé son soutien au processus de paix et a ajouté : « Nous soutenons ce processus de paix. Nous voulons la paix pour que les gens puissent vivre en sécurité et dans la dignité. Nous avons perdu six de nos proches. Désormais, nous ne voulons plus voir personne mourir. »

Nous voulons des droits légaux et constitutionnels

Talip Tepe a souligné que les souffrances endurées par le peuple kurde doivent cesser : « Jusqu’à aujourd’hui, le peuple kurde a toujours lutté. Nous n’avons jamais opprimé personne, mais nous avons nous-mêmes beaucoup souffert. Nous voulons laisser cette douleur derrière nous. Nous voulons que notre langue maternelle soit libre. Nous voulons des droits légaux et constitutionnels. Nous voulons un monde où personne ne meurt plus, où personne n’est torturé et où chacun peut chanter et vivre dans sa langue maternelle. »

L’État doit présenter des excuses aux familles

Talip Tepe a interpellé l’État et conclu son intervention en soulignant la nécessité de faire face aux atrocités du passé et de présenter des excuses officielles : « L’État doit présenter des excuses pour les meurtres non élucidés et les attaques contre les cimetières. Il doit présenter des excuses aux familles. Non seulement à nous, mais à toutes les familles, à tout le peuple kurde, des excuses doivent être présentées afin qu’une voie de coexistence puisse être ouverte. Il n’existe aucune forme de torture ou d’oppression que ce peuple n’ait subie. Qu’il s’agisse d’exécutions extrajudiciaires, de torture ou d’attaques contre les cimetières… Pour que ce processus progresse, l’État doit faire face à ces injustices et présenter des excuses. » (ANF)