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Crimes ottomans en terre arabe

SYRIE / ROJAVA – L’agence kurde, ANHA rappelle que malgré la chute de l’Empire ottoman, les ambitions hégémonique turco-ottomanes visant les colonies arabes étaient restées intactes et que des révoltes arabes ont été écrasées dans le sang par les ottomans jusqu’au début du XXe siècle.

Voici l’article d’ANHA:

Crimes ottomans contre les intellectuels arabes : Souvenirs des exécutions de 1916 

Bien que l’occupation et l’hégémonie séculaires de l’Empire ottoman sur la région arabe aient pris fin avec sa défaite lors de la Première Guerre mondiale, ses ambitions n’ont pas complètement disparu.

Du début du XVIe siècle jusqu’à l’effondrement de l’empire en 1918, de vastes étendues de terres arabes, dont la péninsule arabique, restèrent sous contrôle ottoman. Malgré les soulèvements répétés des peuples arabes dès que l’occasion se présentait, chacune de ces révoltes fut réprimée brutalement, sanglante et massacrée à grande échelle.

Un examen attentif de la politique ottomane envers les Arabes révèle des pratiques pouvant être qualifiées de génocide. Le premier massacre majeur a visé les Alaouites arabes sous le règne du sultan Selim Ier (dit « Yavuz »). Lors de sa campagne en Égypte et dès son entrée à Alep, il percevait les Alaouites comme une menace potentielle. Il réunit les érudits religieux de l’époque et obtint une fatwa légitimant le massacre des Alaouites au nom de la religion. Plusieurs sources rapportent qu’il aurait tendu une embuscade à d’éminentes personnalités alaouites à Alep, les aurait décapitées et aurait lancé un massacre systématique contre la communauté.

Des récits historiques suggèrent que Sélim Ier a déplacé de force près d’un demi-million de Turkmènes vers la côte syrienne, tout en tuant et en exilant de nombreux Arabes alaouites, les arrachant ainsi à leur terre natale. À l’époque, les Alaouites étaient surnommés péjorativement « Sürek » – littéralement « ceux qui sont chassés devant la cavalerie ». Les érudits religieux sunnites ont exploité ces atrocités pour émettre de nouvelles fatwas, ce qui a conduit à des massacres à Alep, forçant les Alaouites survivants à se réfugier dans les montagnes, où nombre d’entre eux ont ensuite été traqués et tués dans les zones rurales. Ces massacres ont contribué à réduire la population alaouite à une minorité marginalisée en Syrie. Encouragés par de tels précédents, des atrocités similaires ont été commises en Irak, où des factions sunnites ont massacré des hommes, commis des violences sexuelles généralisées contre des femmes et confisqué des biens.

Les campagnes ottomanes au Yémen furent également marquées par une violence extrême. En 1538, Soliman Pacha mena la première grande offensive, suivi par Sinan Pacha en 1569 et Méhémet Ali Pacha en 1830. Chaque campagne transforma le Yémen en champ de bataille – une époque si tragique que le folklore yéménite évoque encore ceux qui partirent à la guerre et ne revinrent jamais.

La péninsule arabique ne connut pas de meilleurs résultats. Les fils du wali ottoman-égyptien Muhammad Ali Pacha – Tosun et Ibrahim Pacha – perpétrèrent des massacres dévastateurs dans le désert, ciblant les familles régnantes saoudiennes et les communautés wahhabites. Ces campagnes conduisirent à la quasi-anéantissement de la population, au renversement du pouvoir saoudien et à la réinstallation forcée de la famille royale à Istanbul, où ils furent exposés publiquement puis exécutés par décapitation.

À partir de 1758, Ahmad Pacha al-Jazzar [Cezzar Ahmet Paşa ou Djezzar Pacha] fut surnommé « le boucher des chameaux » pour avoir massacré 70 caravanes arabes et leurs animaux. Les sources arabes et ottomanes le décrivent comme un personnage cruel et impitoyable, particulièrement hostile aux tribus arabes locales.

Durant les dernières années de l’Empire ottoman, les membres du Comité Union et Progrès perpétrèrent certains des massacres les plus atroces de la Grande Syrie. L’un de ses dirigeants les plus infâmes, Djemal Pacha, n’hésita pas à employer des méthodes brutales pour réprimer toute expression de sentiment nationaliste arabe.

L’essor des mouvements nationalistes européens a très tôt profondément influencé les peuples du Moyen-Orient, en particulier les Arabes. Damas, Beyrouth et Le Caire sont devenus des centres des Lumières. Cependant, l’effondrement de l’Empire ottoman a anéanti de nombreux mouvements nationalistes arabes. Les campagnes ottomanes en territoires arabes constituent certains des chapitres les plus sanglants de l’histoire arabe, dépassant même la brutalité des croisades. Djemal Pacha a écrit le dernier de ces sombres chapitres en Syrie.

En 1915, Djemal Pacha fut nommé gouverneur militaire du Liban et de la Syrie, chargé principalement de réprimer violemment le nationalisme arabe. Doté de vastes pouvoirs militaires et administratifs en raison de l’importance stratégique de la région, il concentra ses efforts sur la répression des foyers d’éveil intellectuel et politique arabe, notamment Damas et Beyrouth.

Membre éminent du Comité Union et Progrès [en turc: İttiḥād ve Teraḳḳī Cemiyeti], Djemal Pacha était considéré comme la figure idéale pour mettre en œuvre la politique centralisatrice de l’État ottoman dans les territoires arabes. Il lança une campagne d’exécutions ciblant les nationalistes arabes. Selon un récit, « il ne prenait pas de petit-déjeuner avant que vingt nationalistes arabes n’aient été exécutés ». D’autres sources affirment qu’il alignait deux ou trois prisonniers à la fois et les abattait par derrière pour économiser les munitions. L’historien turc Murat Bardakçı a également fait référence à ces affirmations. De ce fait, il devint tristement célèbre parmi les Arabes sous le nom de « Djemal le Boucher » ou simplement « Le Boucher ».

Le nationalisme turc défendu par Djemal Pacha a fait office de poignard planté au cœur des mouvements des Lumières arabes à Damas et à Beyrouth. Il a adopté des mesures draconiennes pour réprimer le nationalisme arabe, et les difficultés de la Première Guerre mondiale – notamment la famine, la censure et la pauvreté – ont exacerbé les souffrances. (Lors d’un discours prononcé le jour de l’indépendance, le président du Liban a déclaré que 1,5 million de personnes étaient touchées par la famine, tenant l’État ottoman pour responsable. En réponse, Ömer Çelik, porte-parole du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir en Turquie, a rejeté l’accusation et a publié une déclaration désobligeante à l’encontre du président libanais.) En raison des lourdes taxes imposées pendant la guerre, on estime que 40 000 personnes ont péri au Liban et en Syrie.

Djemal Pacha a mis en place un vaste réseau de renseignement pour surveiller, intimider et réduire au silence la dissidence, imposant une censure stricte à la presse. Alors que l’attention du monde entier était accaparée par la guerre mondiale, sa brutalité en Syrie et au Liban s’est considérablement intensifiée. Ces actions ont suscité une colère généralisée au sein de la population locale, même si l’État ottoman les a défendues comme des mesures nécessaires pour « préserver l’autorité centrale ».

Le massacre du 6 mai 1916 constitue l’une des dernières tentatives visant à étouffer le réveil arabe. Selon les récits historiques, les événements débutèrent par l’ordre d’arrêter 33 nationalistes arabes. 21 d’entre eux furent appréhendés et jugés devant un tribunal militaire dans la ville d’Aley, située dans l’actuel Liban et majoritairement peuplée de communautés druzes. Ils furent condamnés à mort.

Des potences furent dressées place al-Marjeh à Damas et place al-Burj à Beyrouth pour procéder aux pendaisons publiques de ces dirigeants nationalistes, parmi lesquels des intellectuels, des hommes politiques, des journalistes, d’anciens parlementaires et même un prêtre chrétien. Ceux qui échappèrent à l’arrestation furent condamnés à mort par contumace. À ce jour, le 6 mai 1916, connu sous le nom de Jour des Martyrs, reste gravé dans la mémoire arabe pour sa profonde signification nationale et politique.

Damas et Beyrouth furent parmi les premières villes à connaître les Lumières et l’essor de la pensée nationaliste arabe. Les personnes exécutées représentaient l’élite intellectuelle et idéologique du mouvement, et l’objectif était de décapiter le nationalisme arabe en éliminant ses dirigeants. Ahmad Djamal Pacha [ou Ahmed Cemal Paşa] perpétra ces atrocités sous prétexte de défendre la structure centrale de l’État ottoman et de promouvoir le nationalisme turc. Il cherchait également à imposer la langue et la culture turques à la population arabe.

Cependant, ces exécutions n’ont pas réussi à réprimer la population. Au contraire, elles ont suscité un esprit de résistance et une prise de conscience politique. Ces événements ont laissé une cicatrice profonde et durable dans la conscience arabe et ne sont jamais tombés dans l’oubli. Ils ont été le catalyseur du mouvement arabe Nahda (Renaissance) et ont renforcé l’idée répandue selon laquelle « les Turcs ont occupé les terres arabes pendant 400 ans, exploité leurs ressources, exécuté leurs dirigeants et corrompu leur religion, notamment en imposant la laïcité ».

Un mois seulement après les exécutions du 6 mai, la Grande Révolte arabe éclata le 10 juin 1916, menée par le chérif Hussein. Le Liban et la Syrie devinrent des champs de bataille majeurs dans la lutte contre la domination ottomane, qui se termina par la défaite de l’empire en 1918.

Article écrit par Raouf Karakoujan