SYRIE / ROJAVA – « Pour orienter le processus politique vers une voie plus inclusive et représentative, il est essentiel de prendre en compte les changements sociaux et démographiques survenus ces dernières années. Une véritable ouverture politique, incluant tous les acteurs, est nécessaire », écrit Riadh Darrar dans l’article suivant.
La reconstruction du processus politique en Syrie après la chute du régime d’Assad sera une tâche extrêmement complexe. Cela est dû aux défis internes, régionaux et internationaux qui entourent la situation. Cependant, ce n’est pas impossible. Le processus devient réalisable si une feuille de route réaliste et globale est élaborée. Cette feuille de route doit être fondée sur les principes de justice, de représentation et d’équilibre. Elle doit également bénéficier d’un soutien national et international.
Durant la phase de transition, un gouvernement de transition diversifié devrait être formé. Ce gouvernement doit inclure des représentants de l’opposition politique, de la société civile et des personnalités indépendantes possédant une compétence administrative avérée. L’ensemble du processus devrait être mené sous l’égide des Nations Unies, ce qui contribuerait à garantir la neutralité et la transparence.
Parallèlement, un cessez-le-feu global doit être déclaré et surveillé par des mécanismes internationaux efficaces. Cette étape est essentielle pour créer un environnement sûr pour les citoyens. Elle contribue également à établir les conditions politiques et sécuritaires nécessaires au lancement du processus constitutionnel.
Une nouvelle constitution devrait être adoptée par une assemblée constituante ou un comité agréé. Elle doit garantir les libertés publiques et les droits des citoyens, assurer la séparation des pouvoirs et faire respecter l’État de droit. La constitution devrait ensuite être soumise à un référendum populaire sous supervision internationale afin d’en garantir l’intégrité.
La réforme des institutions sécuritaires et militaires est une condition fondamentale du succès de toute transition démocratique. L’armée doit être restructurée pour devenir une institution nationale, non confessionnelle, indépendante de tout parti ou groupe, fonctionnant de manière professionnelle et conservant sa neutralité politique. Les factions modérées peuvent être intégrées aux institutions de l’État de manière à renforcer la paix civile.
La phase de justice transitionnelle ne peut être négligée. Elle doit reposer sur le principe de responsabilité sans vengeance et s’appuyer sur des mécanismes juridiques indépendants pour traduire en justice les responsables de crimes contre l’humanité. Elle doit s’accompagner de comités de réconciliation et d’actions d’indemnisation des victimes afin de prévenir la répétition des violations et de promouvoir une culture de tolérance et de justice.
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Des élections libres et équitables constituent l’un des piliers essentiels de toute transition démocratique. Les élections législatives et présidentielles doivent être organisées sous supervision internationale, conformément à la nouvelle constitution. Ces élections doivent garantir la liberté de la presse et d’expression et encourager une large participation politique de toutes les composantes de la société.
La reconstruction et le développement d’après-guerre constituent également un défi majeur. Pour y répondre, il est nécessaire d’adopter un plan international global financé par les pays donateurs. Ce plan doit s’appuyer sur une vision économique transparente, exempte de corruption et de favoritisme, et garantir une répartition équitable des ressources et un développement inclusif.
Le processus politique doit bénéficier de garanties internationales claires qui empêchent toute ingérence étrangère, respectent la souveraineté de la Syrie et soutiennent les nouvelles institutions du pays. Il est essentiel de s’appuyer sur la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU qui, malgré l’impasse actuelle, demeure le seul cadre politique approuvé par la communauté internationale. Elle est soutenue par la Russie, les États-Unis, l’Union européenne et plusieurs puissances régionales. Cette résolution prévoit un cessez-le-feu, un gouvernement de transition, une nouvelle constitution et des élections sous la supervision de l’ONU.
Cependant, de sérieux obstacles entravent la mise en œuvre de la résolution 2254. Le principal d’entre eux est la volonté du régime actuel de créer un État confessionnel ancré dans une référence religieuse sunnite, ce qui porte atteinte aux principes de pluralisme et de citoyenneté. L’opposition politique souffre également d’une faiblesse structurelle, manque de légitimité populaire et ne dispose pas d’outils de pression efficaces pour promouvoir un programme national global. De plus, l’attention internationale portée à la question syrienne a diminué au profit d’autres priorités, telles que la guerre en Ukraine et la concurrence économique avec la Chine.
Malgré ces obstacles, la résolution 2254 peut être réactivée si de nouvelles conditions sont réunies. Ces conditions incluent un changement de l’équilibre des forces sur le terrain et l’unification de l’opposition autour d’une vision politique claire et sérieuse. De plus, tout processus de reconstruction doit être lié à une avancée tangible sur la voie politique. La récente conférence de Djeddah a réaffirmé son engagement envers la résolution 2254. Cependant, une nouvelle approche est nécessaire, capable de convaincre les acteurs clés de s’engager dans un processus politique concret et réalisable. Cette approche doit abandonner les voies unilatérales suivies par le régime, telles que l’initiative de dialogue national, rejetée par l’ensemble du pays, et la déclaration constitutionnelle qui pose les bases d’un régime autoritaire à connotation religieuse.
Pour orienter le processus politique vers une voie plus inclusive et représentative, il est essentiel de prendre en compte les changements sociaux et démographiques survenus ces dernières années. Un changement politique significatif exige de dépasser les héritages autoritaires. Il est nécessaire d’instaurer une véritable ouverture politique qui associe toutes les composantes de la société à la construction de l’avenir du pays. Ce changement doit être porté par une volonté sincère de développer des solutions démocratiques durables.
Dans ce contexte, il est urgent de convoquer une conférence nationale globale. Cette conférence doit rassembler tous les segments de la société syrienne : Arabes, Kurdes, Syriaques, Assyriens, Turkmènes, Alaouites, Druzes, Ismaéliens et Chrétiens. Il est tout aussi important d’assurer la participation de tous les acteurs exerçant une réelle influence sur le terrain. Ce processus doit rejeter fermement l’exclusion. Il doit également empêcher la domination d’un parti unique sur le processus politique. Il doit au contraire promouvoir un dialogue inclusif reflétant la diversité du tissu social du pays. Une nouvelle vision syrienne doit être formulée. Cette vision doit s’appuyer sur un contrat social reconnaissant le pluralisme ethnique, religieux et politique. Elle doit également garantir l’égalité de citoyenneté et de droits pour tous.
La structure du nouvel État doit également être clairement définie. L’un des aspects les plus importants est la relation entre le gouvernement central et les autorités locales. Cette relation doit reposer sur un équilibre pratique : suffisamment solide pour préserver l’unité nationale grâce à la centralisation, mais suffisamment souple pour permettre la gouvernance locale grâce à la décentralisation. Un tel équilibre est essentiel pour prévenir le retour d’un régime autoritaire et éviter le risque de fragmentation nationale.
Les nouvelles forces influentes doivent être associées à ce processus, notamment l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES), les conseils locaux et les factions armées modérées. Leur inclusion garantira une représentation authentique de la diversité du paysage politique et social du pays.
La société civile, les jeunes et les femmes doivent être pleinement associés au processus politique. Leur participation doit refléter le rôle essentiel qu’ils ont joué et les sacrifices qu’ils ont consentis tout au long du conflit. Un organisme indépendant doit également être créé pour préserver la mémoire nationale du pays. Cette institution doit œuvrer pour la justice, sans tomber dans le piège de la vengeance ou des règlements de comptes politiques.
Pour que le processus politique réussisse, il doit soigneusement équilibrer les facteurs nationaux et les influences internationales. Il doit également rejeter toute tentative d’un parti unique de monopoliser la prise de décision nationale. Plus important encore, le processus doit garantir la participation des réfugiés et des déplacés syriens. Leurs voix doivent être entendues à chaque étape.
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Concernant le rôle du Conseil démocratique syrien [en kurde : Meclîsa Sûriya Demokratîk, en arabe : مجلس سوريا الديمقراطية, l’aile politique des Forces démocratiques syriennes de l’administration autonome du Nord-Est de la Syrie], il a présenté une vision équilibrée et progressiste tout au long des années de conflit. Il a également joué un rôle central dans la création de l’AANES, qui a réussi à protéger le nord-est de la Syrie des ravages de la guerre après la défaite de l’État islamique (EI). Depuis sa création en 2015, le CDS s’est employé à unifier les forces de l’opposition démocratique et a participé à diverses conférences et alliances nationales. Malgré les difficultés persistantes, il poursuit l’objectif d’un projet national démocratique.
L’un des défis majeurs réside dans le rejet persistant du CDS par la Turquie. Ce rejet exige une approche politique réaliste pour aborder la question du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Il est également nécessaire de réactiver l’initiative d’Öcalan en faveur d’une transition vers l’engagement politique et la cessation des violences en Turquie.
Il est également crucial de favoriser la communication avec les pays arabes. Cela contribuera à soutenir le processus politique, à renforcer les composantes nationales et à nouer des relations avec tous les secteurs de l’opposition politique syrienne.
Le CDS s’efforce d’accroître son rôle dans la recherche de solutions politiques. Elle cherche à engager un dialogue intra-syrien et à renforcer les liens avec les conseils locaux et les factions modérées. Elle vise également à accroître la participation arabe au sein des institutions de l’AANES, notamment à Deir ez-Zor et Raqqa. Par ailleurs, le CDS s’attache à renforcer sa présence dans les forums internationaux. Elle utilise des plateformes représentatives telles que « Tamasok » et « Al-Masar » pour souligner sans cesse que la décentralisation ne signifie pas sécession. Au contraire, la décentralisation représente un modèle de gouvernance locale conforme aux aspirations démocratiques et favorisant le développement et l’autonomie administrative.
Suite à l’accord conclu entre le commandant des FDS Mazloum Abdi et le président Ahmed Al-Sharaa le 10 mars, il est essentiel de mettre fin à la politique d’exclusion à l’encontre du CDS et des composantes du nord-est de la Syrie. Un véritable dialogue interne doit être engagé avec les autres puissances nationales. Cela permettra de construire des alliances internes flexibles et contribuera positivement à la fondation d’une Syrie unie et démocratique, capable de se renouveler.