Le peuple kurde, réparti principalement entre le Bakûr, le Bashûr, le Rojava, Rojhilat, représente une nation sans État, mais dotée d’une identité historique, linguistique et culturelle profonde. Malgré ses ressources, sa population nombreuse, et son importance géostratégique, cette nation ne parvient pas à faire émerger une stratégie collective dans un monde dominé par les logiques économiques et politiques de la mondialisation.
Un potentiel économique ignoré
Les régions kurdes disposent de nombreux atouts : pétrole, ressources en eau, terres agricoles, corridors stratégiques, mais aussi une jeunesse nombreuse et une diaspora active. Ces éléments pourraient constituer une base solide pour bâtir un projet économique commun, attirer des partenaires internationaux, ou encore peser sur les marchés régionaux. Dans un monde où la mondialisation valorise les matières premières, les marchés de consommation émergents et la stabilité locale, les Kurdes disposent d’un réel levier.
Or, faute d’une conscience politique unifiée, ce potentiel reste inexploité. Les ressources ne sont pas gérées en fonction d’une vision nationale commune, mais fragmentées et parfois détournées par des puissances régionales ou des intérêts claniques. Le Kurdistan devient alors non pas un acteur de la mondialisation, mais un objet soumis à ses dynamiques.
L’idéalisme fraternel comme stratégie perdante
Historiquement, les forces kurdes ont souvent misé sur des alliances internationales, pensant que leur loyauté, leur rôle dans la lutte contre le terrorisme ou leur attachement à des valeurs universelles comme la démocratie, leur assureraient un soutien durable. Ce fut notamment le cas au Rojava, où les forces kurdes ont combattu Daech aux côtés des États-Unis. Cependant, cette stratégie, fondée sur des attentes morales, se heurte à la dure réalité des relations internationales: les alliances sont éphémères, dictées par les seuls intérêts des grandes puissances. Le retrait américain du Rojava en 2019, suivi d’une offensive turque, a révélé l’illusion d’une solidarité durable. Le peuple kurde continue pourtant de croire, parfois avec naïveté, à des relations d’amitié ou de fraternité avec des acteurs qui, en réalité, servent leurs propres agendas.
Des clivages partisans au service de divisions artificielles
Le facteur le plus bloquant reste toutefois interne : la division politique entre les composantes du Kurdistan. Ces clivages sont souvent présentés comme des divergences idéologiques profondes, mais ils cachent trop souvent des intérêts de pouvoir locaux, des rivalités de personnes ou des influences étrangères. Ils empêchent toute construction d’un projet national global. Le Kurdistan, au lieu de se penser comme une entité unique et cohérente, est ainsi morcelé par des logiques partisanes, qui affaiblissent sa voix dans le concert des nations.
Conclusion
Les Kurdes disposent des ressources, du capital humain et de la légitimité historique pour devenir un acteur à part entière de la mondialisation. Pourtant, leur fragmentation politique, leur foi persistante dans des alliances déséquilibrées, et leur incapacité à faire émerger une conscience nationale stratégique freinent leur émancipation. Tant que le Kurdistan restera prisonnier de divisions internes alimentées par des clivages artificiels, et tant qu’il ne transformera pas ses richesses en pouvoir de négociation, il restera vulnérable face aux logiques dominantes. Il ne manque ni de potentiel, ni de cause, mais d’unité, de lucidité stratégique, et de volonté collective.
Par la Plume de la Montagne*, un Kurde du Rojhilat réfugié en Suisse
*La publication des textes de la Plume de la montagne ne signifie pas nécessairement que le site Kurdistan au féminin partage systématiquement l’avis exprimé