AccueilKurdistanRojava« Le sort de la Syrie dépend de son peuple »

« Le sort de la Syrie dépend de son peuple »

SYRIE / ROJAVA – La femme politique kurde de Syrie, Ilham Ahmed a déclaré que l’assouplissement des sanctions américaines contre la Syrie contribue à soutenir le peuple. Elle a également appelé à l’occupation turque de la Syrie et au retour sécurisé des réfugiés dans leurs foyers sous supervision internationale. Elle a souligné qu’une solution ne peut être trouvée sans un véritable soutien arabe et que le sort de la Syrie est entre les mains du peuple, l’unité nationale étant la seule voie pour mettre fin à l’occupation et à la tyrannie.

Dans le contexte des changements rapides en Syrie suite à la chute du régime précédent, des questions fondamentales se posent sur l’avenir du pays, le cours de la transition politique et l’influence des puissances régionales et internationales dans son façonnement.

Dans ce contexte, l’agence ANHA a interviewé Ilham Ahmed, coprésidente du département des relations extérieures de l’administration autonome de la Syrie du Nord et d’Est (AANES). La discussion a porté sur des questions clés, notamment les développements à Damas, l’assouplissement des sanctions, la position des puissances internationales sur les droits des Kurdes, les crimes de guerre commis par l’État occupant turc dans le nord et l’est de la Syrie et le rôle des femmes syriennes dans la prochaine phase, entre autres sujets.

L’interview :

Comment voyez-vous les changements qui se produisent à Damas ? L’assouplissement des sanctions contribuera-t-il au processus de transition politique ?

Les Syriens, en particulier, attendent et espèrent voir de nouvelles conditions en Syrie, entièrement différentes de la situation précédente. Les questions de libertés, de droits, de gouvernance participative et de préservation de la dignité humaine au sein d’une administration inclusive qui représente véritablement la structure de la société syrienne sont de la plus haute importance.

La communauté internationale et les amis de la Syrie ont imposé des sanctions au régime précédent pour aider le peuple syrien à obtenir ses droits légitimes. Sous l’administration actuelle, les sanctions restent en vigueur, même si certaines ont été levées ou assouplies. Nous considérons cela comme une étape positive pour aider le peuple syrien à se remettre des ravages de la guerre et à s’orienter vers un processus de reconstruction stable. En principe, nous ne soutenons pas les sanctions économiques qui punissent les citoyens, même si leur objectif est de freiner les excès des autorités. Dans de nombreux cas, les sanctions renforcent l’extrémisme, en particulier l’extrémisme idéologique. La priorité doit toujours être de soutenir une transition politique en douceur et de mettre en place des mécanismes efficaces pour cela.

Les efforts de facilitation internationale doivent s’accompagner de mesures sérieuses visant à améliorer les conditions de vie, à réglementer la vie quotidienne et à mettre fin aux actes de représailles individuelles qui se produisent dans des zones spécifiques du pays.

L’assouplissement des sanctions doit rester lié à un suivi continu du processus de transition, ainsi qu’à un soutien à la reconstruction et à la facilitation du dialogue national entre les différentes parties.

Vous avez récemment fait une déclaration concernant le rôle d’Israël dans le processus de paix au Moyen-Orient. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Le Moyen-Orient est actuellement le théâtre de guerres féroces entre États et entités, dont la plupart résultent des politiques de régimes traditionnels qui ont étouffé les sociétés et restreint leurs libertés pour protéger les intérêts des dirigeants plutôt que ceux des individus et des communautés. Il existe une lutte d’influence visant à façonner un nouveau Moyen-Orient, les sociétés payant le prix de leur manque de conscience politique et de leur implication dans des conflits orchestrés par des régimes pour leur propre bénéfice. Défendre les droits en niant l’existence des autres est vain. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’un large dialogue et de l’inclusion de toutes les parties dans les négociations de paix. Sans cette inclusion et avec la poursuite des politiques d’exclusion, les guerres persisteront. Pour mettre fin aux conflits et aux hostilités, il faut amener toutes les parties à la table des négociations. Le dialogue entre les peuples de la région et la conclusion d’ententes stratégiques pour parvenir à la paix et garantir les droits de tous sont d’une importance capitale.

De nombreux pays occidentaux, notamment l’Allemagne et la France, ont fait des déclarations sur la nécessité de protéger les Kurdes. Comment évaluez-vous ces déclarations ? Par ailleurs, pourquoi ces pays restent-ils silencieux sur les crimes de guerre commis par la Turquie contre les civils ?

Nous saluons toute position internationale qui soutient les droits des communautés du nord et de l’est de la Syrie. Cependant, il existe un écart important entre les déclarations et les actions réelles sur le terrain. La Turquie commet de graves violations contre les civils, notamment des bombardements, des assassinats, des changements démographiques et des attaques contre les infrastructures et les moyens de subsistance. Malgré cela, nous n’avons pas vu de mesures claires ou décisives de la part des pays occidentaux. Ce double standard porte atteinte à la crédibilité de la communauté internationale et encourage la Turquie à poursuivre ses politiques agressives sans rendre de comptes. Nous pensons que toutes les communautés syriennes ont un droit égal à leur patrie en tant que citoyens et contributeurs à l’élaboration de son avenir politique, et non en tant que minorités ayant besoin de protection.

Avez-vous évoqué la présence de forces étrangères en Syrie, notamment l’occupation turque du territoire syrien et la nécessité de renvoyer les personnes déplacées dans leurs foyers ?

Oui, cette question est toujours à l’ordre du jour de nos discussions avec les puissances internationales, en particulier les Nations Unies, les États-Unis et les pays européens. Nous soulignons que l’occupation turque de zones telles qu’Afrin, Serê Kaniyê (Ras al-Ain) et Tal Abyad viole le droit international et doit cesser. Les personnes déplacées doivent pouvoir rentrer chez elles en toute sécurité, à l’abri des changements démographiques que la Turquie met en œuvre en installant des groupes loyalistes à la place des résidents d’origine. Alors qu’un nombre important de Syriens déplacés sont rentrés chez eux dans diverses régions, les zones sous contrôle des groupes soutenus par la Turquie restent dépeuplées et les conditions de vie sont désastreuses. Par conséquent, nous appelons les Nations Unies, les forces de la coalition et la nouvelle administration à se porter garantes du retour de ces personnes déplacées.

Avez-vous présenté aux organismes internationaux des preuves des crimes de guerre commis par la Turquie contre les civils dans le nord et l’est de la Syrie ? Par ailleurs, comment voyez-vous l’effondrement potentiel du barrage de Tishreen?

Oui, nous avons des preuves documentées des crimes commis par la Turquie et nous les avons transmis aux Nations Unies, aux organisations de défense des droits de l’homme et aux États influents. La Turquie cible les civils, détruit les infrastructures et militarise l’eau en coupant l’approvisionnement de nos régions. En ce qui concerne le barrage de Tishrin, nous avons mis en garde à plusieurs reprises contre les dangers posés par les politiques turques, qui réduisent le débit de l’Euphrate, ainsi que les bombardements continus qui pourraient déclencher une catastrophe environnementale et humanitaire menaçant des millions de personnes. La Turquie doit jouer un rôle dans l’instauration de la paix en Syrie en cessant de soutenir les factions mercenaires, qui sont devenues un fardeau non seulement pour le peuple syrien mais aussi pour la Turquie elle-même. Les attaques contre les infrastructures, qu’il s’agisse des ressources énergétiques ou hydriques, nuisent à tous les Syriens, pas seulement à l’administration autonome. De plus, permettre à des criminels de guerre d’apparaître sur les plateformes de Damas envoie un message négatif sur l’administration actuelle. Certaines personnes figurant sur les listes de sanctions internationales ont du sang sur les mains, notamment celles responsables de l’assassinat de femmes politiques comme Hevrin Khalaf. Récompenser ces criminels signifie une approbation tacite de leurs actions. Nous espérons que la Turquie mettra fin à ses campagnes militaires contre la région afin que des discussions sérieuses puissent commencer sur la construction d’une nouvelle Syrie.

Concernant la politique américaine, prévoyez-vous des changements dans sa position à l’égard de la Syrie, du Nord et de l’Est du pays ?

Les États-Unis ont pris des engagements envers le nord et l’est de la Syrie, que ce soit dans la lutte contre l’EI ou pour soutenir la stabilité. Nous comprenons cependant que la politique américaine peut changer en fonction des intérêts géopolitiques. Jusqu’à présent, il n’y a pas de signes clairs de changements majeurs, mais nous continuons à travailler avec nos partenaires internationaux pour assurer un soutien continu à notre juste cause.

Avez-vous discuté avec l’administration américaine de la question de la gestion des prisons de l’EI, d’autant plus que Hayat Tahrir al-Cham (Hay’at Tahrir al-Sham – HTS) a exprimé son intérêt à en prendre le contrôle ?

Nous avons des discussions en cours avec l’administration actuelle sur de nombreux sujets, notamment la gestion des prisons. Jusqu’à présent, nous avons géré cette question en coopération avec les forces de la coalition et avons démontré notre détermination à empêcher l’EI de se regrouper. Tout changement dans l’administration pénitentiaire, en particulier pour les détenus de l’EI, nécessitera du temps, des discussions et l’approbation des États concernés.

Prévoyez-vous de visiter les pays arabes ? Si oui, quand ?

Nous sommes en contact permanent avec de nombreux pays arabes et pensons qu’une solution en Syrie ne peut être trouvée sans l’implication du monde arabe. Les visites dans ces pays figurent toujours en tête de notre agenda. Le soutien arabe à la paix et à la transition politique en Syrie est crucial et nous saluons ce renouvellement d’engagement avec la Syrie et son peuple.

Comment réagissez-vous aux appels nombreux et répétés en provenance de la côte syrienne et d’As-Suwayda ? Comment pouvez-vous les aider ? Quelles sont vos options ?

Nous prenons leurs appels très au sérieux et les considérons comme légitimes. Nous approchons d’une nouvelle phase de changement en Syrie et, par conséquent, il est crucial d’inclure ces communautés dans le processus politique. Il est de la plus haute importance de mettre fin aux violations auxquelles elles sont confrontées et d’empêcher l’émergence d’un nouveau chaos sous prétexte de transgressions individuelles. Nous affirmons que nous serons aux côtés de tous ceux qui sont opprimés et que nous coopérerons avec l’administration actuelle pour réaliser ces principes.

Dans quelle mesure les initiatives rapides lancées par les femmes du Nord et de l’Est de la Syrie contribueront – elles à résoudre la crise syrienne ?

Au cours des dernières années, en raison des guerres et conflits sanglants qui ont eu lieu en Syrie, de nouvelles influences culturelles étrangères ont pénétré la société syrienne en raison de la domination des groupes religieux extrémistes. Une grande partie de la société syrienne est certes musulmane, mais elle n’est pas extrémiste. Cependant, ces groupes ont imposé une culture qui a d’abord marginalisé les femmes, les confinant aux marges de la société. Inversement, ces circonstances ont créé de nouvelles opportunités pour de nombreuses femmes syriennes de s’organiser, de sensibiliser et de revendiquer leurs droits dans la constitution.

Les femmes du nord et de l’est de la Syrie se sont révélées être une force fondamentale de changement, que ce soit en politique, pour défendre le territoire ou pour construire un modèle administratif démocratique. Notre expérience au sein de l’administration autonome démontre que l’autonomisation des femmes est essentielle pour résoudre la crise syrienne, car elle favorise la stabilité, la justice et une véritable participation à la prise de décision.

Avez-vous un message pour le peuple syrien et les femmes syriennes ?

Au peuple syrien : le sort de la Syrie est entre les mains de son peuple, et notre unité est la seule voie vers la libération de l’occupation, de la tyrannie et du terrorisme. Quelles que soient leurs origines, nous exhortons tous les Syriens à s’engager dans le dialogue et à œuvrer ensemble pour construire une Syrie démocratique et inclusive.

Aux femmes syriennes : vous êtes les actrices du changement. Ne permettez à personne de vous réduire au silence ou de vous marginaliser. Les femmes du nord et de l’est de la Syrie ont prouvé leur capacité de leadership et vous aussi pouvez être à l’avant-garde de la construction d’une Syrie libre. (ANHA)