« C’est un véritable exercice d’équilibriste que la Turquie est en train de mener, n’étant pas en mesure de trop contrarier Poutine mais souhaitant également soutenir l’Ukraine. Ses choix actuels peuvent être bien accueillis au sein de l’OTAN et ramener la Turquie dans l’alliance, mais ce serait une erreur de ne pas voir que Poutine et Erdoğan ont le même état d’esprit et le même désir de « corriger les torts historiques ».
Devons-nous également garder à l’esprit les victimes et comment elles sont perçues différemment en Europe ?
De nombreuses personnes ont pointé du doigt l’hyper-hypocrisie autour de l’attaque de Poutine contre l’Ukraine et sa volonté d’occuper le pays. L’hypocrisie d’Erdoğan s’exprimant en faveur de l’Ukraine alors qu’il bombarde le Kurdistan et occupe des parties du sud et de l’ouest du Kurdistan, et l’ensemble du nord du Kurdistan, d’ailleurs. Hypocrisie des pays occidentaux, qui ont eux-mêmes déclenché une guerre illégale en Irak dont les effets grondent encore aujourd’hui dans tout le pays. Ou, un peu plus loin, les pays occidentaux qui ont mené des guerres colonialistes contre les mouvements de libération dans les pays qu’ils occupaient. Et les États-Unis ont-ils oublié la guerre du Vietnam ? Tant d’exemples.
Blanche.
Il est bon que l’UE réagisse fortement contre la brutalité de Poutine et l’attention généralisée accordée à l’attaque contre l’Ukraine dans les médias n’est que la bienvenue. Il serait cependant paresseux de ne pas réfléchir au système de pouvoir dans lequel cette attention est toute enracinée. Plus vous êtes proche du pouvoir en tant que nation, plus l’Occident, dominé par la blancheur, vous défendra. L’Ukraine en est un exemple clair. Non seulement le pays veut rejoindre l’UE et l’OTAN, mais sa population est également majoritairement blanche et chrétienne, il est situé en Europe. Cela contribue à gagner de la sympathie non seulement dans les cercles gouvernementaux, mais aussi parmi les populations des pays d’Europe occidentale et centrale.
(…)
OK, laissez-moi reprendre mon souffle.
Dans la dynamique de puissance occidentale, le Kurdistan n’a tout simplement pas d’importance. Il n’existe même pas, formellement. La Turquie le fait. Et c’est important pour l’OTAN maintenant pour diverses raisons, mais il est crucial de voir que la Turquie travaille exactement sur le même projet dans son voisinage que Poutine dans le sien. Tous deux aspirent à restaurer la gloire perdue des temps anciens. Ils affirment tous deux que leurs attaques et leurs occupations ne sont pas nées de l’impérialisme mais sont historiquement justifiées. Tous deux affirment que les personnes qu’ils répriment sont en fait leurs frères, que la fraternité est obligatoire et que ceux qui la rejettent doivent mourir. Si l’UE veut vraiment arrêter Poutine, elle devra également arrêter Erdoğan. Ils devront voir que leur forte réaction maintenant peut provenir d’une inquiétude réelle, mais si cette inquiétude réelle ne concerne qu’eux-mêmes et non tout le monde, leur « inquiétude » leur fera un boomerang en plein visage un jour.
L’Europe devra faire face à son système basé sur la suprématie blanche, elle devra décoloniser, ou résister à la brutalité (…) dans un contexte plus large. »