Les Kurdes vivant dans les régions occupées par l’État turc où un génocide ethnique, culturel et linguistique est en cours depuis près d’un siècle, subissent de plein fouet l’interdiction de parler leur langue de nouveau. Voici une histoire écrite par un écrivain kurde qui relate l’interdiction du kurde et ce qui nous attendait si on la bravait.
Un pain en turc ou comment interdire aux Kurdes de parler leur langue maternelle
Nous sommes dans les années 1980, dans une région kurde sous occupation turque. Un paysan court à la boulangerie de son village au retour de son champ et voudrait acheter un pain avant le coucher du soleil qui est proche, car dans cette région kurde, l’Etat turc a décrété un état d’urgence avec couvre-feu au couché du soleil. Le paysan lance à la hâte « ka nanakî, bi tirkî.* » en kurde, qu’on pourrait traduire en « un pain, en turc. » Ce pauvre paysan ne sait pas parler le turc mais il faut bien qu’il achète son pain d’une façon ou d’une autre.
Maintenant, imaginons un instant que cette scène ait lieu en France, pendant l’occupation nazi : Un paysan corrézien de retour de son champ, court à la boulangerie de son village. Le soleil va bientôt se coucher, or, il y a le couvre-feu à la tombée de nuit. Les Nazis ont interdit de parler le français et ont imposé la langue allemande dans tout le pays mais notre paysans corrézien ne parle pas un mot d’allemand. Alors, il dirait, vraisemblablement : « Un pain, en allemand. »
En effet, l’État turc avait interdit le kurde dans tout le pays, y compris dans les régions kurdes et ce, depuis la création de la Turquie en 1923. Même au sein de leurs foyers, les Kurdes ne pouvaient parler leur langue sous peine d’être arrêtés et/ou torturés, en plus de payer une amende. (L’Ėtat turc avait dépêché des fonctionnaires à cet effet dans tout le Kurdistan.)
Encore aujourd’hui, en Turquie, la langue kurde reste interdite, même si dans le cadre de la vie privée on peut la parler…
En effet, les Kurdes ne peuvent recevoir un enseignement en langue kurde, ne peuvent faire leur défense devant la justice, etc. ni même prétendre qu’ils ont une langue qui s’appelle le kurde car la Turquie nie l’existence même de cette langue millénaire !
Pour couper la langue kurde à la racine, l’État turc avait décidé de créer des internats pour les enfants kurdes dans les années 1980. Dès l’âge de 7 ans, les Kurdes passaient leur année scolaire en internat à la merci des enseignants et des surveillants dont la mission était d’inculquer la langue turque à des enfants qui n’en connaissaient pas un mot et de les turquifier en les coupant de leur culture, leur langue, etc.
Cette décision mise en oeuvre a plutôt réussi, avec des effets dévastateurs qu’on peut facilement deviner sur le plan psychique et/ou socio-culturel chez les enfants kurdes.
C’est pourquoi, aujourd’hui beaucoup de Kurdes ne parlent plus leur langue mais ils sont nombreux à lutter pour avoir le droit de la réapprendre et de la parler; de s’approprier de nouveau leur musique, leurs us et coutumes, pillés et interdits par leurs colonisateurs. Le prix à payer pour les Kurdes, afin d’obtenir ce qu’ils veulent, reste très élevé. Cela coûte parfois des vies mais ils restent déterminés.
* « Ka nanakî bi tirkî / Bana türkçe bir ekmek ver » est le nom d’une nouvelle de Cezmi Ersöz, écrivain et journaliste kurde.