TURQUIE / KURDISTAN – Bien qu’elle ait purgé sa peine depuis longtemps, la prisonnière politique kurde, Rozerin Kalkan reste incarcérée. Une commission a reporté à plusieurs reprises sa libération, invoquant notamment des lettres qu’on ne lui a pas remises.
Bien que Rozerin Kalkan ait purgé sa peine légale il y a 20 mois, cette prisonnière politique demeure détenue en Turquie. Sa libération anticipée a été bloquée à deux reprises par une commission pénitentiaire depuis avril 2024, la dernière fois au motif que des lettres contenant des « informations compromettantes » ne lui auraient pas été remises. Les organisations de défense des droits humains dénoncent une décision arbitraire et politiquement motivée.
Rozerin Kalkan est détenue depuis son arrestation en août 2016. Âgée alors de 19 ans, elle a été arrêtée dans la province kurde de Mardin et interrogée pendant neuf jours dans un commissariat. Elle accuse les autorités de violences sexuelles durant cette période. Elle a ensuite été condamnée par un tribunal à dix ans et trois mois de prison pour « appartenance à une organisation interdite ».
Critique des critères non transparents
Après avoir été détenue dans plusieurs prisons, elle a été transférée à la prison de haute sécurité pour femmes de Şakran, près d’Izmir, dans l’ouest de la Turquie. C’est là qu’en avril 2024, elle a comparu pour la première fois devant une commission d’évaluation. Ces commissions évaluent notamment le comportement des détenues et peuvent décider d’une libération anticipée ou d’un report de leur incarcération.
Dans le cas de Kalkan, sa libération a d’abord été reportée de onze mois, au motif d’un « absence de remords », de sa participation à des grèves de la faim et de son appartenance à une cellule politique. Convoquée à nouveau en mars 2025, elle a refusé de comparaître, affirmant que la décision était déjà prise. Cette seconde demande de libération a également été rejetée, et le délai a été prolongé de onze mois supplémentaires.
Le fait que le licenciement de Kalkan ait été justifié, entre autres, par des lettres qu’elle n’a jamais reçues a suscité de vives critiques. Selon la commission, ces lettres étaient jugées aptes à « motiver les membres de l’organisation ». Ses avocats ont fait appel de la décision à plusieurs reprises, mais sans succès jusqu’à présent. « On ne m’a jamais dit ce que contenaient ces lettres, mais on me les présente maintenant comme preuve de ma culpabilité », a déclaré Kalkan par l’intermédiaire de sa famille. « Je m’attends toujours à une prolongation, mais pas à onze mois. »
La mère exige la fin du système
Sa mère, Şerife Kalkan, a également vivement critiqué la procédure : « Ma fille aurait pu être libre depuis longtemps. Mais elle reste emprisonnée sur la base d’appréciations, et non de la loi. » Elle a exigé la suppression des commissions composées de surveillants de prison : « Ces instances n’ont rien à voir avec le droit et la justice. Nous voulons que Rozerin soit enfin libre. »
4 000 libérations refusées depuis 2021
D’après les données de l’organisation juridique kurde ÖHD, depuis la mise en place des commissions d’évaluation début 2021, environ 4 000 demandes de libération anticipée de prisonniers politiques ont été rejetées ou reportées. Les personnes concernées rapportent avoir été interrogées sur leurs opinions politiques, leurs contacts en prison, voire le choix de leur cellule. Parmi les questions fréquemment posées lors des évaluations figurent : « À votre avis, le PKK est-il une organisation terroriste ? » et « Que pensez-vous d’Abdullah Öcalan ? »
Instrument d’application du droit pénal à deux vitesse
Les commissions, officiellement instaurées comme mesure de « resocialisation », sont critiquées depuis longtemps pour leur évaluation des convictions politiques plutôt que des critères juridiques. En particulier concernant le traitement des prisonniers kurdes, l’expression « droit pénal ennemi » est fréquemment employée. Depuis des années, familles et organisations de défense des droits humains réclament la suppression de ces commissions et la libération immédiate des personnes concernées à l’issue de leur peine. (ANF)