TURQUIE / KURDISTAN – Emprisonnés depuis plus de 30 ans, certains gravement malades, d’innombrables prisonniers politiques kurdes croupissent dans les geôles turques. Selon le député Mehmet Zeki Irmez, il s’agit d’otages victimes de calcules politiques de l’État turc.
Le député du DEM Parti, Mehmet Zeki Irmez a formulé de graves accusations contre le système judiciaire turc. Lors d’une conférence de presse au Parlement, il a dénoncé la prolongation systématique des peines de prison pour les détenus politiques par les commissions administratives et de surveillance, la qualifiant d’arbitraire et d’illégale. Il a affirmé que ces décisions étaient motivées par des considérations politiques et violaient les droits fondamentaux.
« Même un ministre ne peut rien y changer. »
Irmez a évoqué des cas de détenus incarcérés depuis plus de 30 ans, sans aucun fondement légal pour leur libération. Par exemple, le détenu Tamer Tanrıkulu s’est vu refuser sa libération à cinq reprises, bien qu’ayant purgé sa peine. Lors de conversations, des détenus ont rapporté qu’un procureur de prison leur avait déclaré : « Même si un ministre appelle, rien ne changera. Je ne vous libérerai pas. »
Des prisonniers gravement malades sans accès aux soins médicaux
Dans plusieurs cas, la prolongation de la détention affecte également des prisonniers gravement malades. Hasip Avşar, incarcéré depuis 31 ans, souffre de graves maladies chroniques telles que des problèmes cardiaques et des hernies discales. Malgré cela, sa libération a été reportée à trois reprises. Metin Genli, âgé de 61 ans et atteint de sclérose en plaques, attend lui aussi sa libération depuis plus de 31 ans. L’accès aux soins médicaux est insuffisant dans de nombreux cas, selon Irmez.
Justifications illégales et isolement comme punition
Selon Irmez, les commissions ont recours à des moyens infondés et incompréhensibles pour empêcher la libération des prisonniers politiques. Même le refus de procéder aux appels nominaux, pourtant controversés, au sein de l’armée peut servir de prétexte pour prolonger leur détention. « Cette pratique est incompatible avec toutes les normes internationales », a déclaré le député.
À Aksaray, les détenus condamnés à la réclusion à perpétuité aggravée sont placés à l’isolement total. Sami Borak et Ihsan Taşdelen, par exemple, sont maintenus à l’isolement complet depuis un an et demi, sans aucun contact avec les autres détenus.
De nombreux cas d’infractions à la loi ont également été constatés à Konya.
Irmez a également documenté de nombreux cas dans la prison de haute sécurité de Konya-Ereğli où des prisonniers politiques se sont vu refuser une libération malgré l’avoir purgée de leur peine. Dans certains cas, les peines ont été prolongées de plusieurs années. Le cas de Mehmet Emin Gurban, emprisonné depuis 30 ans, qui a survécu à deux crises cardiaques et est actuellement détenu à l’isolement, est particulièrement révoltant.
« Les prisonniers politiques sont traités comme des otages »
Irmez a dénoncé une pratique profondément ancrée au sein du système judiciaire turc, qui cible spécifiquement les prisonniers politiques. « Ces commissions sont devenues des instruments de répression. Il ne s’agit plus d’un contrôle légal, mais d’un exercice du pouvoir politique », a-t-il déclaré. La Turquie, a-t-il ajouté, s’est considérablement éloignée de l’État de droit dans ses pratiques actuelles. Le député a appelé à une réforme juridique immédiate : « Nous avons besoin d’un cadre juridique clair qui empêche les décisions arbitraires et respecte la dignité humaine. La persécution politique ne doit pas se perpétuer par des manœuvres administratives. »
À la mémoire de Taybet Inan
La conférence de presse s’est tenue le jour même du décès de Taybet Inan. Cette femme de 57 ans, déjà connue sous le nom de « Mère Taybet » de son vivant, a été abattue en pleine rue par l’armée turque à Silopi le 14 décembre 2015, pendant le couvre-feu imposé dans la ville. La mort d’Inan fut particulièrement tragique car le corps de cette mère de onze enfants ne put être retrouvé pendant sept jours. Les forces de sécurité turques tiraient sur tout ce qui bougeait. Son beau-frère, Yusuf Inan, fut également tué par balle alors qu’il tentait de récupérer le corps de Taybet Inan.
Irmez a évoqué ces événements comme une « profonde blessure dans la mémoire collective du peuple kurde ». « Se souvenir de Mère Taybet et de toutes les victimes de la répression est notre devoir moral. Notre commémoration s’inscrit dans la lutte pour la vérité, la justice et la paix », a-t-il déclaré. Ce n’est qu’en faisant face au passé et en le reconnaissant que pourra réussir un nouveau départ démocratique. (ANF)