SYRIE / ROJAVA – L’entrée du leader kurde Abdullah Ocalan à Kobanê il y a 46 ans a posé la première pierre de la révolution du 19 juillet et de l’établissement du système démocratique de l’Administration autonome, qui représente les aspirations des peuples, écrit l’agence ANHA dans l’article suivant.
Le Rojava est la plus petite partie du Kurdistan, séparée du Kurdistan du Nord et du Kurdistan du Sud le 24 juillet 1923. Environ trois millions et demi de Kurdes sont restés dans cette région et ont été victimes de diverses politiques d’effacement menées par les autorités syriennes. Leur langue, leur culture et leurs fêtes ont été interdites, et leur existence même a été niée. De plus, leur identité originelle a été rejetée, et le régime a déchu des centaines de milliers de Kurdes de leur nationalité syrienne, refusant de les considérer comme résidents de cette terre.
Comme dans les autres régions du Kurdistan, les Kurdes du Rojava ont longtemps lutté contre la répression pour défendre leur identité.
La première organisation politique du Rojava est apparue avec le mouvement Khoybun (Xoybûn, fondé au Liban en 1927 et également actif à Damas). Ce mouvement a perduré jusqu’en 1946 et comptait parmi ses membres des personnalités politiques et intellectuelles telles qu’Osman Sabri, le poète Cegerxwîn, Nûreddîn Zaza, ainsi que Celadet et Kamiran Bedirxan.
En 1928, sous mandat français, les Kurdes du Rojava présentèrent pour la première fois leurs revendications à l’Assemblée constituante syrienne. Celles-ci incluaient l’enseignement en langue kurde et la reconnaissance du kurde comme langue officielle. Cependant, ces demandes furent rejetées en raison des objections des nationalistes turcs et arabes.
Suite à cela, les politiciens kurdes se sont tournés vers le Parti communiste syrien. Les jeunes kurdes de Damas, d’Alep et des villes kurdes se sont également organisés en syndicats et associations culturelles.
Le 14 juin 1957, des hommes politiques et intellectuels kurdes, parmi lesquels Osman Sabri et Nûreddîn Zaza, fondèrent le Parti démocratique du Kurdistan de Syrie (en kurde : Partiya Demokrat a Kurdî li Sûriyê, PDKS). Cependant, le parti se scinda en raison d’ingérences de formations du Kurdistan du Sud, et divers autres partis virent le jour au fil du temps. Ces divisions empêchèrent la société du Rojava d’unifier sa conscience et sa volonté.
L’année 1979 a marqué un tournant dans l’histoire du Rojava. Le 2 juillet 1979, le leader Abdullah Öcalan arriva au Rojava et en Syrie, inaugurant une nouvelle ère. Les cadres qu’il avait formés menèrent des actions d’organisation fondées sur une nouvelle philosophie prônant l’égalité, la démocratie et la liberté des femmes. Le peuple du Rojava s’est rapidement uni autour de cette philosophie, s’engageant à affirmer sa force intrinsèque.
Des milliers de jeunes hommes et femmes du Rojava ont rejoint les Forces de défense du peuple (PKK), jetant ainsi les bases d’une compréhension de la société.

Participation des femmes
Le leader Öcalan a propagé l’idée que « la liberté des femmes est la liberté de la société ». Il a formé des milliers de femmes qui, aux côtés des hommes, ont contribué à l’émancipation des femmes du Rojava en forgeant une identité culturelle, idéologique et politique forte. Les foyers sont devenus des lieux d’autoformation, de développement intellectuel et d’éveil. Surtout, les notions de vie communautaire, de coopération et de travail collectif se sont imposées. Entre 1980 et 2000, plus de 300 femmes du Rojava ont perdu la vie dans cette lutte.
Les femmes ont également joué un rôle de premier plan dans de nombreuses activités au sein de la société. Par exemple, en 1987, des femmes kurdes ont célébré le 8 mars – officiellement désigné par le régime baasiste syrien comme une journée spéciale pour le parti – comme une véritable Journée de la femme, en secret, dans une maison de Qamishlo.
Impact de la résistance de la prison d’Amed
Les sacrifices accomplis par les principaux cadres du PKK dans la prison d’Amed, au Kurdistan du Nord, en 1982, ont eu un impact profond sur la population du Rojava.
Après 1982, la flamme de Newroz brûla avec encore plus d’éclat au Rojava. D’Afrin à Dêrik, la population célébra Newroz malgré les attaques, les arrestations et la torture perpétrées par le régime. Bien que ce dernier ait déclaré le 21 mars « Fête des Mères », les Kurdes redonnèrent à cette journée toute sa signification originelle.
L’étincelle de la révolution du 19 juillet
Après vingt ans de lutte incessante jusqu’au début du XXIe siècle, le peuple du Rojava a institutionnalisé sa résistance. Sous l’impulsion de la lutte pour la liberté et face aux transformations du Moyen-Orient, des opportunités importantes se sont présentées, menant à des avancées majeures. Parmi celles-ci figure la fondation du Parti de l’union démocratique (en kurde : Partiya Yekîtiya Demokrat, PYD) le 20 septembre 2003.
Le 12 mars 2004, les forces du régime ont attaqué les habitants de Qamishlo lors d’un match de football opposant l’équipe locale, Jihad, à celle de Deir ez-Zor, Futuwwa. Elles ont perpétré un massacre de civils. En réaction, un soulèvement s’est propagé dans les villes de la Jazira et a rapidement atteint Afrin, Damas et Alep. Ce soulèvement a jeté les bases d’une organisation solide et a été l’étincelle de la révolution du Rojava. Il a également préparé le terrain pour la formation des Unités de protection du peuple (YPG) à cette époque.
Les femmes qui ont mené ce soulèvement et de nombreuses autres activités ont ensuite créé Kongra Star en 2005, fondant de nombreuses institutions sous son égide.

Révolution du 19 juillet : fruit de 46 années de lutte
Le « Printemps des peuples », également connu sous le nom de « Printemps arabe », qui a débuté en Tunisie en 2010 et s’est ensuite étendu à l’Égypte et à la Libye, a aussi eu un impact sur la Syrie. Le peuple s’est soulevé contre le régime baasiste en mars 2011. Cependant, de grandes puissances mondiales et régionales, dont la Turquie et l’Iran, sont intervenues, et des groupes tels que le Front al-Nosra et l’État islamique ont émergé, faisant dévier la révolution de sa trajectoire initiale.
Face à ces événements en Syrie, le peuple du Rojava a progressé vers la liberté, fort de 46 années d’expérience, amorcées plus précisément en 1979. Le 3 juillet 2011, le Mouvement pour une société démocratique (en kurde : Tevgera Civaka Demokratîk, TEV-DEM) a été créé en tant qu’organisation fédératrice de groupes politiques et sociaux. La même année, le Conseil populaire du Kurdistan occidental (MGRK) a été fondé.
Au Rojava, à partir de 2011, la population – menée par ses institutions – a organisé ses propres manifestations parallèlement aux « manifestations du vendredi » qui se déroulaient dans toute la Syrie, pour protester contre la répression et les attaques.
Pour faire face aux menaces et protéger leurs acquis, les Unités de protection du peuple (en kurde : Yekîneyên Parastina Gel, YPG) ont été officiellement créées en 2011. Les Unités de protection des femmes (en kurde : Yekîneyên Parastina Jin, YPJ) ont été annoncées le 4 avril 2012.
Parallèlement à la lutte contre les attaques et le régime, cette période a également été marquée par d’importants efforts d’unification de la politique kurde. Les relations entre le Conseil populaire du Kurdistan occidental (en kurde : Meclîsa Gel a Rojavayê Kurdistanê, MGRK), qui regroupait cinq partis – dont le PYD – et le Conseil national kurde de Syrie (en kurde : Encûmena Niştimanî ya Kurdî li Sûriyê, ENKS), soutenu par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), se sont renforcées. Le 11 juillet 2012, une rencontre a eu lieu entre les deux parties à Hewlêr, au Kurdistan du Sud.
Parallèlement, le peuple du Rojava a renforcé ses capacités de défense et franchi des étapes historiques. L’étincelle de la révolution du 19 juillet a jailli à Kobanî en 2012. Fruit de 46 années de lutte, elle s’est rapidement étendue à toutes les régions, d’Afrin à Dêrik.
Les rencontres entre le MGRK et l’ENKS ont abouti à la proclamation du Comité suprême kurde le 24 juillet 2012. La population du Rojava a célébré sa création sur les places publiques le 29 juillet de la même année. Cependant, malgré cet enthousiasme initial, le Conseil national kurde s’est retiré par la suite, réduisant ainsi l’influence du Comité. En 2014, les pourparlers de Duhok, visant à créer une instance politique kurde unifiée, ont également échoué en raison des positions de l’ENKS.
Afin de protéger les villes libérées, les Forces de sécurité intérieure (Asayish) ont été créées en 2012, d’abord à Kobanî, puis à Qamishlo, Hasakah, Dêrik et dans d’autres villes. Dans ce cadre, des Forces de protection communautaire (FPC) ont également été mises en place. Par ailleurs, un système de service d’autodéfense a été instauré.
Grâce à ces efforts, les structures défensives ont été renforcées d’une part, et une ligne de résistance contre les menaces et les attaques des groupes extrémistes s’est mise en place d’autre part. Les premières attaques ont eu lieu en 2012, visant Serêkaniyê, Afrin et les quartiers de Sheikh Maqsoud et d’Achrafiyeh à Alep. En réponse, les YPG ont lancé une résistance qui a ensuite connu un large écho.
Lorsque l’État islamique a attaqué Kobanê le 15 septembre 2014, après avoir conquis plusieurs zones de la Jazira, la résistance historique s’est intensifiée. Malgré des ressources limitées, la résilience des YPG et des YPJ a suscité, pour la première fois, un afflux de jeunes hommes et femmes venus de tout le Kurdistan, qui ont rejoint la région. Celle-ci a également bénéficié d’un soutien international sans précédent. Les fondements de la solidarité internationale se sont consolidés. Les soulèvements populaires se sont progressivement propagés et, le 1er novembre, une journée mondiale de solidarité avec la résistance de Kobanê a été proclamée. Cette alliance et 134 jours de résistance ont finalement abouti à la libération de Kobanî des mercenaires de l’État islamique le 26 janvier 2015. Même les principales puissances internationales ont finalement été contraintes de reconnaître cette volonté.
Le parapluie militaire : les forces démocratiques syriennes
Suite à cette lutte acharnée et à cette résistance intense, les Unités de protection du peuple (YPG) et les Unités de protection des femmes (YPJ) ont acquis une large reconnaissance dans toute la région en tant que force nationale et internationale. Des milliers de volontaires arabes, syriaques et internationaux ont rejoint leurs rangs. Au sein de ces forces de protection, des unités spéciales ont été créées pour chaque communauté. Face à l’expansion de ces forces, les Forces démocratiques syriennes ont été établies le 15 octobre 2015, constituant une coalition militaire inclusive.
Les combattants des YPG et des YPJ ont libéré Gire Spi (Tal Abyad) en 2015. Les FDS et les YPJ ont libéré Manbij en 2016, Tabqa en 2017 et Raqqa, la soi-disant capitale de l’EI, le 20 octobre 2017. Le contrôle territorial de l’EI a pris fin avec sa défaite finale à Baghuz, dans la province de Deir ez-Zor, le 23 mars 2019.

Évolutions sociales et politiques et système d’administration autonome démocratique
Après la libération des villes, les fondements de l’administration démocratique ont été progressivement posés. Des conseils et des communes ont été établis dans toutes les villes, des municipalités populaires ont été organisées et, le 12 novembre 2013, l’Assemblée populaire du Rojava a été proclamée.
Les 7 et 12 novembre 2013, le Conseil fondateur conjoint de l’administration intérimaire a été constitué à Qamishlo avec la participation de toutes les composantes ethniques et religieuses. Des comités ont été formés sur le droit électoral, la structure de gouvernance, la législation et autres réglementations.
Le 2 décembre 2013, le nom du Conseil conjoint de l’administration intérimaire a été changé en Conseil législatif, et il a été décidé qu’Afrin, Kobani et Jazira deviendraient des cantons administrativement indépendants réunis sous l’égide de l’administration autonome démocratique.
Le 5 janvier 2014, le projet d’administration autonome a été approuvé, avec la participation de représentants de toutes les composantes et de nombreux partis politiques.
Lors de sa réunion à Amuda le 6 janvier 2014, en présence de représentants de 52 partis, mouvements de la société civile, mouvements de femmes et de jeunes, et de 15 personnalités indépendantes, le Conseil législatif a ratifié la « structure administrative », le « contrat social » et les « lois électorales ». L’arabe, le kurde et le syriaque ont été adoptés comme langues officielles.
L’administration autonome démocratique du canton de Jazira a été proclamée le 21 janvier 2014, celle de Kobani le 27 janvier et celle d’Afrin le 29 janvier de la même année.
Suite à la proclamation des administrations autonomes, toutes les affaires furent placées sous l’égide d’une administration commune. L’enseignement était dispensé dans les langues officielles et chaque composante créa ses propres institutions dans les domaines culturel, social et religieux.
La diplomatie a également constitué une étape importante. Le premier bureau de représentation de l’Administration autonome a ouvert ses portes à Souleimaniye, au Kurdistan du Sud, le 15 août 2015. Un second bureau a ouvert à Moscou le 10 février 2016. D’autres bureaux de représentation ont ensuite été ouverts en Autriche, en France, en Allemagne et au Benelux (Belgique, Pays-Bas et Luxembourg). Un autre bureau a été ouvert en Suède pour les pays scandinaves (Suède, Danemark, Norvège et Islande), ainsi que des bureaux administratifs au Liban et aux Émirats arabes unis. L’Administration autonome a également participé aux réunions du Caire et de Moscou visant à résoudre la crise syrienne.
Élections et Fédération de Syrie du Nord
Afin d’harmoniser l’ensemble des régions et de mettre pleinement en œuvre le système d’administration autonome, la Fédération de Syrie du Nord a été proclamée en 2017. Le système administratif a été organisé en trois régions (Jazira, Euphrate et Afrin) et six cantons (Qamishlo et Hassaké en Jazira ; Gire Spi et Kobané en Euphrate ; Afrin et Shahba dans la région d’Afrin). Manbij, Raqqa et Tabqa ont été désignées comme administrations civiles.
Les premières élections municipales ont eu lieu en 2015 et les secondes en 2017.
Attaques d’occupation
Le 20 janvier 2018, l’État turc occupant et ses mercenaires ont attaqué Afrin. La population a opposé une forte résistance, mais la ville a finalement été occupée le 18 mars de la même année. Puis, le 9 octobre 2019, jour anniversaire du complot international contre le dirigeant Abdullah Öcalan, l’État turc occupant a attaqué Serê Kaniyê et Gire Spi.

Reconnaissance de la d’AANES
Face à ces attaques d’occupation, des efforts ont été entrepris le 6 septembre 2018 pour étendre et renforcer le système d’autonomie démocratique. L’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES) a été proclamée, et ce modèle d’autogouvernance a suscité un intérêt international. La première reconnaissance officielle de cette Administration autonome est venue du Parlement de Catalogne, en Espagne, à l’occasion de l’anniversaire de la libération de Raqqa (20 octobre 2021).
Structure finale de l’accord de défense administrative
Avec le développement du système, des changements sont apparus dans les sphères sociale, politique, économique et éducative. Dans ce contexte, le Contrat social a été réécrit et ratifié le 12 décembre 2023. Le nouveau Contrat social comprend un préambule et quatre chapitres, soit 134 articles. Des amendements ont été apportés à la structure de gouvernance, et le nom officiel de l’administration est devenu : Administration autonome démocratique de la région du Nord et de l’Est de la Syrie.
Le système provincial (Jazira, Euphrate, Afrin) a été aboli et remplacé par un système cantonal. La région compte désormais sept cantons : Afrin-Shahba, Jazira, Euphrate, Manbij, Raqqa, Deir ez-Zor et Tabqa.
Sur la base du contrat social, la loi sur l’union des municipalités, la loi sur la haute autorité électorale et la loi sur les divisions administratives ont été promulguées.
Les élections municipales étaient prévues pour le 11 juin 2024, mais elles ont été reportées à la demande des partis et organisations politiques y participant afin de permettre des préparatifs plus approfondis.
La chute du régime et la nouvelle phase
La chute du régime baasiste le 8 décembre 2024 a marqué le début d’une nouvelle phase dans la région. Un gouvernement de transition a été formé à Damas, suivi de négociations entre Damas et l’Administration autonome. Dans le but de construire l’avenir de la Syrie, l’Administration autonome est devenue un acteur central sur la scène politique.
À l’issue de discussions internationales, un accord composé de 8 articles a été conclu entre Damas et l’Administration autonome le 10 mars 2025.
Les pourparlers avec diverses puissances internationales et États étrangers se sont intensifiés. Face aux massacres survenus dans la région côtière et à Soueïda, l’administration autonome était perçue, même par les populations locales, comme la solution la plus appropriée.
L’Administration autonome continue de proposer et de défendre le système décentralisé comme modèle optimal. (ANHA)