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TURQUIE. Liens entre les inégalités structurelles / repressions politiques et les suicides dans les régions kurdes

TURQUIE / KURDISTAN – L’Association des droits de l’homme I(HD) a recensé 53 cas de suicides à Mardin en dix mois, critiquant les enquêtes superficielles et le manque structurel de perspectives dans la province kurde qui exacerbe le problème.

Selon l’Association internationale des droits de l’homme (IHD), 53 suicides ou décès suspects ont été recensés cette année dans la province kurde de Mardin, d’après un rapport publié mardi par la section locale de l’IHD à Mardin. Ce rapport indique que 38 cas sont des suicides présumés, tandis que 25 autres décès, de femmes, restent inexpliqués ou sont qualifiés de « suspects ». L’enquête s’appuie sur des informations provenant de plusieurs districts de la province, notamment Kızıltepe, Artuklu, Derik et Midyat.

Le suicide touche également les mineurs et des membres des forces armées turques

Selon l’IHD, la plupart des suicides ont été signalés à Kızıltepe (14), suivi d’Artuklu (8), Derik (7) et Midyat (6).

Berivan Güneş, membre du conseil d’administration de la branche provinciale de l’IHD, a expliqué lors de la présentation du rapport que le nombre de cas par rapport à la population était particulièrement élevé dans le district de Derik. Parmi les personnes touchées figuraient des mineurs et des membres des forces de police et de l’armée turques. Un enfant de onze ans est décédé.

25 femmes sont décédées dans des circonstances inexpliquées

Outre trois féminicides avérés, au moins 23 autres décès de femmes ont été qualifiés de suspects cette année. Dans quatre cas, une enquête criminelle est en cours, dix ont été classés comme « suicide » et onze autres décès sont dus à des « causes naturelles » selon les autorités. L’IHD a exprimé des doutes quant à la transparence de ces enquêtes.

Critiques concernant l’insuffisance des enquêtes et le manque de prévention

L’Association des droits de l’homme a critiqué les autorités pour l’insuffisance des enquêtes menées sur les cas de suicide présumés. Bien souvent, les circonstances des décès ne font pas l’objet d’enquêtes systématiques. La réalisation et l’étendue de ces enquêtes dépendent en partie de la pression publique, notamment des réactions sur les réseaux sociaux. Berivan Güneş a déclaré : « La prévention du suicide n’est pas la seule responsabilité du système de santé. Elle requiert l’implication des familles, des écoles et de la société dans son ensemble. Une stratégie sociétale est essentielle pour identifier les problèmes de santé mentale à un stade précoce et protéger les groupes à risque. »

Crises sociales et manque de perspectives comme facteurs de risque

On observe une augmentation des tentatives de suicide, notamment chez les jeunes. Outre le stress familial et psychologique, des problèmes structurels tels que le chômage, la dépendance aux jeux d’argent en ligne, la consommation de drogues et le manque d’espaces sociaux propices à l’épanouissement personnel constituent également des facteurs de risque. L’IHD a appelé à une enquête approfondie sur ces facteurs sous-jacents et à la mise en place de mesures de prévention ciblées. « Les causes du suicide chez les jeunes doivent être prises au sérieux », a déclaré Güneş. « Seules des mesures politiques concrètes permettront d’autonomiser et de protéger les enfants et les jeunes. »

Inégalités structurelles et répression politique dans les provinces kurdes

La province de Mardin est l’une des régions à majorité kurde du sud-est de la Turquie. Depuis des décennies, les organisations de défense des droits humains dénoncent des discriminations structurelles dans presque tous les aspects de la vie : sous-investissement dans l’éducation, l’emploi et les infrastructures ; accès limité aux soins de santé, notamment aux soins psychologiques ; et chômage élevé, en particulier chez les jeunes.

À cela s’ajoute une restriction systématique des droits démocratiques et de l’autonomie locale. De nombreux maires élus, issus du parti de gauche kurde HDP ou de son successeur, le DEM, ont été destitués ces dernières années et remplacés par des administrateurs nommés par l’État. Ces mesures, conjuguées aux enquêtes menées sur les organisations de la société civile locale, sont considérées comme politiquement motivées et affectent particulièrement les structures susceptibles de favoriser le soutien et la participation sociale, notamment les centres pour femmes et pour jeunes.

Dans ce contexte, des organisations comme l’IHD constatent un lien entre l’augmentation du nombre de suicides et de cas suspects et l’isolement social croissant ainsi que le manque de perspectives dans la région. La destruction des réseaux politiques et sociaux et le manque de reconnaissance culturelle sont également considérés comme des facteurs pouvant affecter le bien-être mental des jeunes. (ANF)