KURDISTAN – Les festivals culturels et artistiques sont plus que de simples occasions de réjouissance ; ils sont des expressions vivantes d’identité et de continuité. Pour de nombreuses communautés, notamment celles aux racines anciennes et aux riches traditions orales comme les Kurdes, les festivals constituent de puissants outils de préservation de la culture.
Le Festival des Mille Dafs ou defs (tambourins kurdes), organisé chaque année dans le pittoresque village de Palangan, dans la région de Hawraman, au Kurdistan oriental, n’est pas seulement une célébration musicale, mais aussi un pèlerinage artistique. C’est une mosaïque vibrante de patrimoine, de spiritualité et de rythmes communautaires, un festival où les Dafs parlent plus fort que les mots, résonnant avec l’âme commune d’un peuple, une tradition qui pourrait être millénaire.
Entre rivière et ciel
Niché au cœur des montagnes de Hawraman, Palangan est l’un des villages les plus captivants du Kurdistan oriental (nord-ouest de l’Iran). La rivière Sirwan traverse le village, le divisant en deux parties, qui s’intègrent harmonieusement aux paysages naturels du Kurdistan. Les maisons sont construites en gradins, de sorte que le toit de l’une devient le patio de l’autre, un exemple vivant d’unité architecturale. Lors du festival des Mille Dafs, cette structure unique se transforme en un amphithéâtre naturel, où chaque toit, chaque ruelle et chaque pont résonnent au rythme du Daf, résonnant à travers les maisons en escalier.
Le premier festival des Mille Dafs a eu lieu le 20 avril 2020 et est rapidement devenu l’un des événements culturels les plus attendus de la région. Le nom « Mille Dafs » s’inspire de la vision de mille percussionnistes jouant à l’unisson. Il a été inventé par le chef du conseil du village de Palangan, qui souhaitait refléter non seulement le nombre d’artistes, mais aussi l’esprit collectif des habitants qui s’y réunissaient chaque année. Depuis, le festival a attiré des milliers de visiteurs – Kurdes, Iraniens et invités internationaux, tous impatients d’assister à cette majestueuse célébration du son et de l’âme.
Couleurs et chants
Le festival est méticuleusement organisé par le conseil du village. Une semaine avant l’événement, des invitations officielles sont envoyées aux joueurs de daf de la région et d’ailleurs. Chaque participant doit maîtriser parfaitement l’art du daf, ou tambourin kurde, et les participants se produisent exclusivement dans le style traditionnel kurde afin de préserver la culture.
Un code vestimentaire strict mais coloré est également de mise ; tous les participants portent des vêtements traditionnels kurdes, mettant en valeur les styles de tout le Kurdistan : hawrami, saqzi, bokani, mahabadi, marivani, kermanshahi et bakhtiari. Résultat : un véritable musée vivant de la mode kurde, drapé dans le village tel un tissu identitaire.
Des chanteurs kurdes sont également invités au festival et interprètent une sélection de chansons soigneusement sélectionnée. Certains chantent des chansons joyeuses et dansantes, tandis que d’autres abordent des thèmes nationaux, mystiques et religieux reflétant les dimensions spirituelles et politiques de l’histoire kurde. La veille de l’événement, les rythmes des chansons sont partagés avec tous les participants pour les répétitions. Les participants sont ensuite répartis en plusieurs groupes, chacun assigné à un toit ou une terrasse spécifique, créant une symphonie sonore à plusieurs niveaux qui enveloppe tout le village, tant visuellement qu’acoustiquement.
Le rythme tonitruant
Le 20 avril au matin, le festival commence à 10 heures. Alors que le soleil se lève sur Palangan, les joueurs de daf – hommes et femmes, jeunes et vieux – prennent place. Regroupés par village, ils se tiennent fièrement sur les toits, formant des vagues rythmiques unies, appelées « vagues kurdes ». Une rive de la rivière est réservée aux artistes, tandis que l’autre est réservée aux milliers de spectateurs, touristes et photographes qui affluent vers le village ; on estime qu’ils sont entre 25 000 et 30 000. La scène est un véritable chef-d’œuvre théâtral.
À mesure que le festival progresse, le rythme tonitruant du Daf se propage comme une vague à travers le village. C’est une harmonie méticuleusement orchestrée, chaque musicien harmonisant son rythme avec le suivant, formant une puissante voix collective. Les rythmes résonnent dans la vallée et sur les flancs des montagnes, un appel aux ancêtres et un hymne au présent.
Pendant ce temps, les femmes kurdes de Palangan et des régions voisines comme Marivan et Sanandaj présentent et vendent leur artisanat – textiles tissés, vêtements brodés à la main, bijoux locaux et produits à base de plantes – ajoutant une couche d’échange économique et artistique à la journée.
Ce n’est pas un rassemblement musical ordinaire ; le Festival des Mille Daf poursuit de multiples objectifs. Sur le plan culturel, il fait revivre et protège les anciennes traditions musicales kurdes, notamment le daf , un instrument profondément lié à la spiritualité, au mysticisme soufi et à l’expression nationale. Sur le plan artistique, il offre une plateforme aux musiciens kurdes, confirmés comme émergents, pour faire valoir leurs talents.
Sur le plan social et économique, le festival attire des milliers de touristes à Palangan, dynamisant l’économie locale et encourageant l’engagement des jeunes dans les arts et la culture. C’est aussi un espace de dialogue interculturel, où les visiteurs venus de tout l’Iran et de l’étranger découvrent l’identité kurde dans un contexte vivant et festif.
Un récit vivant et des archives visuelles
Aucun festival n’est complet sans un conteur visuel, et pour le Festival des Mille Daf, Naseh Ali Khayat en est devenu la voix. Photographe kurde de renom, Khayat a passé cinq années consécutives à documenter le festival. Ses clichés, largement partagés sur les réseaux sociaux et les plateformes artistiques, ont fait découvrir la magie de Palangan au public du monde entier. Son objectif capture non seulement des images, mais aussi l’émotion, le balancement du Daf, le sourire d’un enfant en costume traditionnel et le flot coloré de vêtements sur les toits.
Grâce au travail de Khayat, le festival fait désormais partie d’une archive visuelle qui non seulement célèbre la culture kurde, mais la préserve également pour les générations futures et le monde entier. En tant qu’écrivain et observateur culturel, j’ai été touché par ces images qui évoquent des histoires – celles qui m’ont conduit à rendre hommage à un festival qui vibre au rythme du cœur kurde.
Le Festival des Mille Dafs illustre parfaitement comment la culture peut être célébrée, partagée et préservée. Dans un monde où les voix autochtones sont souvent ignorées, ce festival vibre au rythme collectif de la fierté kurde.
Que vous soyez attiré par la musique, la mode, le patrimoine ou les histoires, Palangan, le 20 avril, devient plus qu’un village, il devient un musée vivant de l’identité kurde, où chaque Daf est un conteur, chaque rythme un pas vers la résilience culturelle, et chaque ensemble un fil symphonique dans la riche mosaïque culturelle de la culture kurde.
Fatima Qasim Habib est une journaliste, écrivaine, traductrice, artiste, poète et créatrice d’art qui a organisé de nombreuses expositions d’art dans la région du Kurdistan et à l’étranger.
Article original (anglais) à lire sur le site Kurdistan Chronicle : A Symphony in Stone and Spirit